Fichi secchi al forno (Figues sèches au four)

J’ai des souvenirs très doux des fins d’été, lorsque j’étais adolescent dans le Sud de l’Italie, et je pouvais encore aller à la mer début septembre. C’était le meilleur mois pour la baignade et pour les figues. Les fins de semaine, ma mère – parfois aidée par une tante – installait dans le jardin de la maison au bord de la mer une ou deux claies sur lesquelles elle étendait des figues fraîches, recouvertes d’un filet pour empêcher les insectes de se poser dessus.

Les figues – que j’avais souvent cueillies moi-même dans les alentours en pleine campagne, étaient ouvertes en deux mais sans être détachées complètement. Une fois séchées au soleil, on y ajoutait des amandes grillées, puis on les assemblait deux par deux, et on les passait au four. Finalement, avant de les mettre dans un bocal, les figues étaient arrosées de vincotto (autrement dit moût cuit), un sirop concentré obtenu à partir du moût fraîchement préparé de raisins blancs ou rouges. Les conserves de figues pour l’automne étaient ainsi prêtes.

On pourrait croire qu’il n’y a rien de vraiment particulier dans ce que je viens de raconter, et pourtant tout ce rituel remonte – à quelques détails près, à la plus haute antiquité. Et c’est émouvant de se dire que ce fil n’est pas interrompu.

Le terme « figue » vient du syrien (phénicien) pequ, lui-même dérivé de l’ancien akkadien pīqu, ou sīqu (2300 av. J.-C.). Dans l’Ancien Testament, le figuier (Ficus carica L.) est souvent cité comme symbole d’abondance, tandis qu’en Inde, il est considéré comme un arbre sacré.

Il est arrivé dans la région méditerranéenne en provenance de plusieurs pays du Moyen-Orient, la Turquie, la Syrie et l’Arabie saoudite. Dans la Grèce antique, le figuier était au cœur de nombreux mythes. Pour les Romains, il devient une plante sacrée, tout comme l’olivier et la vigne. Bien sûr, après le sacré vient toujours le profane, ce qui, pour le figuier et ses fruits, signifie son utilisation dans de nombreuses recettes…

Aujourd’hui, il y a environ 850 variétés de figues dans le monde, et le premier producteur mondial est la Turquie (plus de 300.000 tonnes !), suivie de l’Égypte, talonnée par l’Espagne, premier producteur européen. En Europe, après l’Espagne, viennent l’Albanie, l’Italie (12 000 tonnes pour 2.400 hectares), la Grèce, puis la France et le Portugal. En Italie, où on trouve 150 variétés, les régions les plus productrices sont la Campanie, les Pouilles et la Calabre. Les trois espèces les plus connues et les plus prisées sont le verdino (la figue blanche), le brogiotto (la figue noire), et le dottato (la figue vert clair, utilisée pour les figues sèches).

Ces dernières sont principalement produites dans les Pouilles, ma région natale. La Calabre aussi a toujours eu une production importante, qui dépassait les 100 000 quintaux de figues séchées jusqu’au milieu du XXe siècle, mais depuis elle est devenue marginale, presque menacée de disparition. Aujourd’hui, la production de figues sèches est d’environ 10 000 quintaux, et enfin en phase de relance.

Mais revenons aux souvenirs de septembre, à l’origine de la recette. En ce qui concerne les baignades, à Paris il n’y a que la Seine… alors tant qu’à faire, j’ai voulu tenter ma chance avec une recette de figues sèches de Calabre, plus raffinée que celle issue de ma famille. Seule difficulté : trouver des figues dignes de ce nom. Les figues en provenance de Turquie (pays qui n’applique pas les normes européennes sur les pesticides), ou d’Espagne (trop petites et franchement pas appétissantes) dominent le marché.

Complètement par hasard, j’ai déniché des figues sèches grecques… Que je me suis empressé d’ouvrir en deux (par le bas) à l’aide d’un couteau, sans pour autant les détacher complètement.

J’ai ensuite préparé la farce, à base d’amandes séchées et de cerneaux de noix. Il faut les ébouillanter quelques instants pour enlever toute impureté et pour les éplucher.

Une fois les fruits secs égouttés, il faut les émietter finement dans le robot mixeur.

Ajouter des fruits confits, des agrumes, eux aussi coupés en tout petits morceaux…

… et les mélanger dans un bol avec les amandes et les noix.

Et ce n’est pas fini ! Il ne faut pas manquer de râper une bonne dose de chocolat à dessert…

… avant de terminer avec une cuillerée de cacao amère.

Après quoi, il faut étaler une feuille de papier sulfurisé sur un plat à four, puis y déposer les figues, remplies avec de la farce. Chaque figue devra être pressée avec les doigts pour bien faire adhérer la farce aux parois internes des fruits. Allumez le four à 180°C, déposez-y les figues et laissez-les dorer pendant une vingtaine de minutes.

On a parlé tout à l’heure du vincotto. Et bien, lui aussi est un héritage des temps anciens, puisque il était déjà utilisé par les Romains, qui le nommaient defrutum, si le moût était réduit d’un tiers, ou sapa s’il était réduit de moitié. A Paris, je n’ai trouvé que du moût en provenance d’Emilie Romagne, où ils l’appellent encore saba (presque le même mot qu’en latin).

Une fois les figues sorties du four, vous n’aurez qu’à les rassembler sur une assiette…

…avant de les arroser généreusement avec le moût cuit.

Pour conserver quelques semaines vos figues, vous devez les mettre en bocal (en verre ou en terre cuite). Ajoutez-les une à une et saupoudrez-les couche après couche d’un peu de sucre de canne et de cannelle en poudre. Histoire de bien parfumer et aromatiser l’ensemble.

Il ne vous restera alors qu’à fermer le couvercle, quitte à le réouvrir très tôt. Et si vous ressentez l’envie de boire quelque chose pour les accompagner, sachez qu’il y a un vin de paille moelleux produit dans les environs de Cosence en Calabre, le Moscato passito de Saracena, tout à fait excellent.

Ingrédients : 20 figues sèches de taille moyenne (voire grosses), 60 g. d’amandes torréfiées, 60 g. de cerneaux de noix, 25 g. de fruits confits, 20 g. de chocolat à dessert, cacao amère, moût cuit, sucre de canne, cannelle en poudre.

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