Aux environs du VIIIe siècle avant notre ère, à l’époque où les Hellènes naviguaient « sur la mer couleur du vin » comme le chantait Homère dans l’Odyssée, il y avait une terre fertile en Occident, apte au développement de la vigne, déjà utilisée en Grèce depuis fort longtemps, mais là bas encore inconnue. Les colons grecs firent rapidement souche parmi les autochtones et renommèrent leur nouvelle patrie Œnotrie (Οίνωτρία), mot qui associe le vin, oinos (οἶνος), et le poteau qui soutenait les sarments, oinotron (οἴνωτρον), et dit combien cette terre – la Calabre d’aujourd’hui – était propice à la vigne (et aux autres cultures agricoles : blé, olivier, arbres fruitiers…).
La vigne italienne a connu une expansion de l’Antiquité à l’ère moderne. Et une crise majeure au XIXe, le phylloxéra. Ce minuscule puceron d’Amérique, apparu en France en 1861, gagna le Nord de la péninsule en 1879 (à Valmadrera, près de Côme) et le Sud durant les années suivantes. Et ici comme en France (et presque le monde entier), on sauva les meubles grâce à la vigne américaine, qui remplaça les ceps d’origine.
La vigne italienne a finalement souffert, plus encore que des ravages de la nature, de l’expansion des latifundi nobiliaires, de la mafia agricole et de l’émigration de la paysannerie entre la fin du XIXe et la première moitié du XXe siècle. Sauf que les régions du Nord comme le Piémont, plus riches et puissantes, réussirent à retenir les travailleurs de la vigne (avec leur savoir-faire ancestral), tandis que les terroni originaires du Sud vinrent grossir les rangs des ouvriers dans les usines… Mais les temps changent, et depuis quelques décennies, l’Italie toute entière est redevenue Œnotrie. Les vins aux acidités fortes, soutenus par des tanins austères et asséchants, utilisés pour enrichir en saveur et gradation alcoolique beaucoup de vins étrangers, sont en diminution. Les vinifications sont mieux maîtrisées, les fermentations plus justes, les vins italiens en sont devenus meilleurs. L’Italie est souvent – n’en déplaise pas aux Français – le premier producteur et exportateur de vin en Europe et au monde, pour un chiffre d’affaires total d’environ 20 milliards d’euros. Elle compte 330 appellations DOC (les AOC de la France, que en 2011 ont vu leur nombre décroître de 400 à 357), et quelque 70 appellations DOCG (appellation d’origine contrôlée et garantie). Plus de la moitié des producteurs italiens sont des entreprises familiales.
Côté spumante aussi, n’imaginez pas une seconde que c’est un mousseux de mauvaise qualité. Le ‘champagne’ italien, produit depuis 1865 grâce aux frères Gancia, soutient parfaitement la comparaison avec les nectars français. Les producteurs italiens – les classiques Franciacorta, Talento, Trento, comme les nouveaux qui utilisent les méthodes Martinotti et Charmat – ont augmenté la quantité et relevé la qualité de la production, et vendent leurs bouteilles à des prix bien plus raisonnables que leurs homologues français.
L’Italie, comme la France, fait face à l’explosion du marché de la contrefaçon. A titre d’exemple, sur la Toile, le kit canadien du Barolo (vin du Piémont) « fait maison » en poudre est à 45 dollars. Sur l’emballage, le Colisée (qui est à Rome), ne gêne pas les barbares qui achètent le produit. Aux Etats Unis la bataille actuelle porte sur les noms de domaine. C’est l’Icann, l’organisme américain qui les attribue, qui a pour mission de développer des variantes aux traditionnels .it ou .com et qui pourrait donner le .wine non pas aux indications géographiques protégées mais à n’importe quel faux producteur de vin !
L’Europe, quant à elle, ne fait pas non plus dans la dentelle, sur le volet environnemental. L’Allemagne a obtenu de Bruxelles d’autoriser une quantité importante d’anhydrides sulfureux utilisés comme antioxydants dans les vins bio : 150 milligrammes pour les blancs et 100 pour les rouges (des doses permettant aux vins allemands de résister au froid !), alors qu’en Italie le dosage est nettement inférieur, et la production de vin bio – 52.000 hectares – en pleine expansion.
Sur les parcelles viticoles non-bio, l’Italie fait figure de bon élève également. C’est le pays où il y a le moins de résidus de pesticides dans les aliments (chiffre 5 fois inférieur à la moyenne européenne et 26 fois inférieur aux pays extra-communautaires…), selon l’Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA). Pour info, la France est championne de l’utilisation des pesticides : 62.700 tonns en 2011. Et la surface viticole, qui représente 4 % des terres agricoles, absorbe 20% des pesticides employés dans le pays, y compris dans ses parcelles BIO.
Pour conclure, deux mots sur les « vins du moment », vendus à des prix acceptables. Voici ceux que j’aime (merci pour les conseils à Fabio Parasecoli), en plus de ceux que je propose en pied de chacune de mes recettes :
-le Vermentino d’Argiolas (un blanc excellent avec le poisson) de Sardaigne
-le Negroamaro di Cantele (un rouge pour les pâtes en sauce, les soupes et les fromages), et le Five Roses Leone de Castris (LE rosé depuis 1943) des Pouilles
-le Cerasuolo Zaccagnini (un autre rosé; on prends très au sérieux l’apéro…), pour les Abruzzes
– le Roero Arneis Vietti (un blanc pur les crudités, les produits de la mer, les fromages crémeux…); et le Dolcetto d’Alba Abbona (sur hors d’oeuvres, plats à base de truffe, soupe…) du Piémont
– le Falesco Vitiano (un rouge vivace, qui se marie bien avec les viandes rouges et les fromages affinés) d’Ombrie
– le Morellino di Scansano (un rouge DOCG, très fin, bon pour tout) de Toscane
– le Lambrusco Grasparossa di Castelvetro (excellent avec la charcuterie et les primi piatti de la région), d’Emilie Romagne;
– le Greco di Tufo Di Prisco (un blanc fruité parfait pour accompagner les crustacés, les grillades de poisson, les volailles) de Campanie.
Si, en revanche, vous cherchez – en moyennant finance – la perle rare, je vous invite à consulter les guides des professionnels du secteur. Mais souvenez vous toujours d’une chose : Plus il y a de marches, meilleure est la cave (proverbe bourguignon)…