
Avouez-le. Peu d’entre vous connaissent Mantoue (soit dit en passant, patrimoine Unesco). Les vieux étudiants de lettres classiques auront peut-être de vagues souvenirs du poète Virgile, le chouchou de l’empereur Auguste. Un voyageur passionné par la Renaissance fera bien le lien avec la grande famille des Gonzaga. Mais quant à la situer géographiquement ou, pire, connaître sa cuisine…
Et bien honte à vous. Mantoue, ville lombarde à la frontière avec la Vénétie et l’Emilie Romagne, a hérité de son passé et de sa position, saveurs et traditions qui peuvent bien la mettre au même niveau d’autres centres, plus grands et connus. Et pour cause.

En hors d’oeuvre, vous y dégusterez de la charcuterie de qualité. Vous aimez les pâtes fraîches, même en bouillon? Pas de problème, on y sert des agnolini, des tortelli de citrouille, des tagliatelle (cuites al dente, pas comme chez vous), des bigoli aux sardines, des capunsei (gnocchi de pain), des tripes de veau (on va y revenir). Vous préférez le riz ?
Bien, vous y trouverez du risotto à la pilota (garni de salamella de porc) et aux grenouilles. Vous optez pour un secondo piatto? Il y a le stracotto (ragoût) d’âne, le brochet en sauce, le poisson-chat frit; du gibier à poil et à plume…Vous vous laissez tenter par un dessert? Les gâteaux typiques du coin sont la torta sbrisolona (miettes de farine et sucre, auxquelles on ajoute des amandes, du beurre et des jaunes d’oeuf); la torta mantovana (je vous passe son histoire liée à Isabella d’Este, Francesco II Gonzaga et les Medici de Florence…); l’anello di Monaco (délice de Noël un peu dans le genre du panettone), le bussolano (beignet sans levure, à tremper dans le Lambrusco); le sugolo (pudding de moût de raisin), etc…
Surprenant, n’est pas? La cuisine est un peu à l’image de Mantoue, ville ducale raffinée et en même temps populaire. Connue pour ses palais et ses places monumentales, elle est aussi la patrie de Tristano Martinelli. Il fut le premier acteur de la commedia dell’arte (avec deux L) à interpréter le personnage d’Arlequin en France en 1584, en utilisant son patois natal mélangé à un charabia de latin, français, espagnol et que sais-je encore, avec le déguisement resté en vogue jusqu’à nos jours : une veste cintrée cousue d’étoffes de couleurs différentes. Et en 1600 il fut le comédien principal aux noces de Maria de Medicis et Henri IV. Comme quoi l’allégresse se marie toujours bien avec la bonne ripaille…

Mais je m’égare. Venons-en à la recette du jour. Quelques mots d’abord sur les tripes (de l’italien trippa). Ce sont des abats préparés à partir de l’estomac (et non l’intestin !) des mammifères herbivores (dans notre cas, le veau). Plus précisément le réticulum ou bonnet. Elles constituent l’un des aliments de la cuisine traditionnelle italienne, de Milan à Palerme, avec bien sûr des variations importantes de région à région.
Délaissées à tort par les nouvelles générations, elles sont à mon avis un repas de choix par un froid jour d’hiver. Passons donc à la cuisine, mais avant un petit rappel : demandez à votre boucher de blanchir les tripes la veille du repas. Ce sera plus facile pour vous de les cuisiner. Lavez et coupez en petits morceaux une branche de céleri, un oignon, une carotte et du persil.
Mettez-les à chauffer dans une casserole avec deux litres d’eau. Lorsque l’eau bouillera, ajoutez quelques feuilles de laurier, une dizaine de grains de poivre et une poignée de sel. Préparez les tripes (le bonnet), avec un os de veau (ou de vache)…
…et jetez-le tout dans le bouillon. Faites cuire une heure durant.
Entre temps, hachez les légumes de toute à l’heure. Mettez une casserole sur le feu avec un peu de beurre et de huile extra vierge, et faites-y réduire le hachis doucement.
Terminée la cuisson du bouillon, videz l’eau dans l’évier, récupérez les tripes et l’os, et ajoutez-les à la préparation. A bout d’un moment, versez un verre de vin blanc, et quand il sera évaporé, de la pulpe de tomate et une croûte de fromage Grana padano. Touillez avec une cuillère en bois.
Pendant (ou avant cette opération), mettez à bouillir un bon litre d’eau avec un dé de bouillon de boeuf, et préparez les épices : des clous de girofle (deux), une cuillère à thé de cannelle en poudre, et un peu de noix de muscade.
Lorsque l’eau sera prête, ajoutez-la aux tripes (avec les épices), et laissez cuire à feu très doux pendant…les recettes conseillent une heure et demi. Mais je peux vous assurer que, pour obtenir la bonne consistance des tripes (elles doivent être tendres comme du beurre mou), il vous faudra une journée. Et oui. J’ai commencé la cuisson à 9 heures, et je l’ai terminée le soir à 19 heures.
C’est peut-être une bonne raison pour ne pas faire ce plat pendant la semaine. Vous aurez le temps de servir les tripes (sans l’os) comme il faut. A savoir bien chaudes, parsemées de Grana râpé, accompagnées avec des petits morceaux de pain grillés (et par pitié ne les appelez pas crostinì, le duc de Gonzaga ne serait pas content…).

Quant au vin, dans les alentours de Mantoue on trouve du Lambrusco et du Colli Mantovano, mais j’ai choisi un rouge Oltrepo’ Pavese, produit dans la province de Pavia (toujours en Lombardie, mais entre l’Emilie Romagne et le Piémont).
Ingrédients pour 4 personnes :
-500 gr. de tripes (bonnet) de veau
-1 noix de beurre
-1 os de veau
-2 oignons, 1 gousse d’ail
-2 carottes
-2 branches de céleri
-persil, laurier
-3 clous de girofle
-noix de muscade
-une cuillère de cannelle en poudre
-poivre, sel
-un verre de vin blanc
-pulpe de tomate
-une croûte de fromage Grana padano
-croûtons de pain