Vincisgrassi di Macerata (Vincisgrassi de Macerata)

S’il est vrai que pour le repas du dimanche chaque bon Français a droit à une poule au pot, et ça depuis belle lurette…on ne peut pas en dire autant pour les Italiens. L’histoire a été un zeste plus tourmentée : chez nous, à chaque région, son plat du dimanche ou mieux, à chaque terroir son plat du dimanche. Prenons l’exemple des Marches, terre des collines au coeur de la péninsule. Son nom, dérivé du germanique « mark« , signifie limite, frontière, et donne une idée des influences qui les traversent.
Parmi les villes principales, Ancône, sur la côte, a gardé les traditions maritimes de ses fondateurs grecs. Urbino et Pesaro ont tendance à suivre l’art culinaire de l’Emilie Romagne, plus au nord. Fabriano (située dans la province d’Ancône, mais à l’intérieur), avec sa charcuterie de haute gamme, penche du côté de ses voisins ombriens, sur les collines des Apennins. Fermo s’est fait une spécialité des maccheroncini à l’oeuf de Campofilone accompagnés de sauces de viande et de poisson. Ascoli Piceno, fameuse pour ses olives farcies, a déjà un pied dans les Abruzzes et regarde plutôt vers le Sud.

Et puis il y a Macerata, très liée historiquement aux États pontificaux, qui est la place financière de la région et la capitale d’une cuisine très riche dont la recette que je propose aujourd’hui est l’illustration.
La vulgate (encore colportée aujourd’hui avec conviction) affirme qu’en 1799, pendant la guerre que Napoléon mena contre l’Autriche dans les États de l’Église, lors du siège d’Ancône, tenue par l’héroïque Alfred Candidus Ferdinand Fürst zu Windisch-Grätz, prince et général de l’armée autrichienne, la résistance à l’ogre corse rencontra un franc succès. Les citoyens voulurent remercier leur sauveur en lui dédiant un plat fraîchement conçu pour l’occasion, et nommé Vincisgrassi, son nom italianisé. Voilà pour la légende.
Dans les faits, à l’époque en question, Herr prinz avait seulement douze ans (il sera fait général, mais bien plus tard), et personne semble remarquer l’incohérence d’un plat de pâtes typique de Macerata, mais créé à Ancône !

Il existe toutefois une autre hypothèse, plus vraisemblable : les vincisgrassi auraient été inventées par un chef cuisinier des familles nobles de Macerata, Antonio Nebbia, en 1779. A l’origine il s’agissait d’une sauce pour la pâte feuilletée, nommée « salza per il princisgras« , à base de truffe, de jambon, de béchamel et de crème fleurette. C’est donc une sauce blanche. Les tomates n’étaient encore rien d’autre alors qu’une plante ornementale.

En 1786, Nebbia changea partiellement la recette et l’appela « lasagne per il princisgras« , à base cette fois de truffe seulement (qui ne coûtait pas autant qu’aujourd’hui). Cela dit, c’était toujours un plat noble, d’où l’idée que princisgras puisse indiquer un met substantiel, grasso, destiné à l’aîné mâle de la maison, le principe (qu’il fallait mieux nourrir puisque il était l’héritier des fortunes familiales).

Changement d’époque, changement d’ingrédients. Vers la fin du XIX siècle, après l’unité italienne, le contrôle du pouvoir politique dans les Marches passa des nobles liés au pape, à la bourgeoisie marchande et aux grands propriétaires terriens, qui prolongèrent tout de même les traditions d’antan (un peu comme dans le film Le Guépard). Exit donc le mot princis, place à vincis (du latin vincio, je lie), à désigner un plat qui « tient ensemble », avec des pâtes fraîches, un assaisonnement gras. Un peu de semblant de latin ne fait jamais mal, quand on veut épater la galerie.

Et c’est avec le terme de vincisgrassi que la recette sera définitivement connue par l’intermédiaire d’un autre chef des Marches, Cesare Tirabasso, en 1927. A son intérieur, un ragoût de viande de veau et de porc, d’abats de poulet, des ris de veau, des carottes et des oignons…

Je le sais, il y a des savants parmi vous qui soupçonnent les vincisgrassi d’être une sorte de ragoût dans l’esprit des lasagnes à la bolognaise, fleuron de la cuisine de l’Emilie Romagne, toute proche. Et bien, pas tout à fait. Le ragù des vincisgrassi est préparé avec de la viande coupée de façon grossière, et pas hachée. La béchamel est plus dense, et puis il y a les épices (noix de muscade, clou de girofle). Il y a aussi du marsala dans les pâtes fraîches, et puis… il faut me suivre en cuisine.

Piqué par je ne sais pas quelle mouche, j’ai décidé d’abord de faire de vraies pâtes fraîches à l’oeuf…

La veille, j’ai donc malaxé à la main de la farine 45 (tamisée) avec des oeufs, de la semoule (pour rendre les lasagne granuleuses), du beurre en pommade, une pincée de sel et du Marsala (pour aromatiser le tout), jusqu’à obtenir une boule élastique et légèrement collante. Quand la pâte est devenue bien lisse, je l’ai enveloppée dans du film alimentaire et je l’ai laissée reposer une demi-heure au réfrigérateur.

…avant de l’étaler sur une planche en bois, d’abord à l’aide d’un rouleau à pâtisserie, et ensuite avec la vieille machine à pâte de ma mère (et la faire marcher tout seul ça n’a pas été une partie de plaisir)…

Le but visé était de créer des carrés/rectangles à peu près réguliers, d’environs 10×15 cm., pour mieux les placer dans le plat à four. Mais avant d’y arriver, j’ai du le faire reposer encore une demi journée, et puis les ébouillanter quelques secondes dans une casserole, et de les passer un instant dans un autre récipient plein d’eau froide et salée. Le tout pour obtenir des pâtes fraîches, mais « dures ». Ce travail terminé, je les ai laissées toute la nuit sous un torchon propre. Faites comme moi, et vous comprendrez pourquoi les chefs (et les femmes) d’autrefois se levaient de si bonne heure…

Le lendemain, jour J, préparation des ingrédients : du lard de porc (A.O.C. de Montefeltro), une carotte et une branche de céleri, une gousse d’ail, un oignon entier avec dedans trois clous de girofle, du beurre, un os de boeuf pour le bouillon, du magro di vitello (quasi de veau) et magro di maiale (une côte première sans os de porc), des ris de veau, des abats de poulet, de la sauce tomate et de l’huile extra vierge d’olive.

Etape 2 : j’ai émincé céleri, carotte et ail, et je les ai mis à frire dans une casserole avec une noix de beurre et un peu d’huile. Le moment venu, j’ai ajouté l’oignon…

Etape 3 : quand le tout a doré, j’ai inclus l’os et la viande en morceaux.

Etape 4 : la sauce nécessite bien entendu des tomates, mais avant d’y arriver il ne faut pas oublier un verre de vin sec, qu’il faut laisser évaporer, avec une pincée de sel et poivre.

Laissons mijoter une bonne heure, en faisant réduire…

…mais pour prevenir des éventuels dégâts, un verre de lait ne sera pas de trop. 

… Enfin, il faut ajouter les abats coupés en morceaux (certaines recettes prévoient aussi des champignons). La cuisson durera encore une demi heure.

Etape 5 : la béchamel, comme au temps de la noblesse (même si je ne suis pas de La Varenne). D’ailleurs c’est simple : il suffit de fouetter de la farine tamisée dans du beurre pour créer le roux, et puis d’ajouter du lait, du poivre et de la noix de muscade. En cela, la plaque à induction a son importance capitale…

Etape 6 : à fin de cuisson j’ai enlevé l’os et l’oignon. Le ragù est désormais bien dense, mais il a quand même besoin d’un tour dans le passe-légumes, pour mieux mélanger les différentes types de viandes et abats.

Etape 7 : l’entrée en jeu des lasagnes faites maison. Dans un plat à four, il faut commencer par beurrer le fond du plat. Ensuite, une couche des pâtes, une goutte d’huile pour mieux étaler le ragù, et puis du parmesan râpé. La tradition veut qu’il y ait au total 10 couches de pâtes. Je crois que j’ai réussi à en faire huit. Pas mal, pour une première, et puis, c’était un dimanche…

Sur la dernière couche, on verse la béchamel, pour sceller ce concentrée de calories !Il convient de laisser les vincisgrassi reposer pendant quelques heures, avant de les mettre au four à un température de 200°C, pendant une trentaine des minutes, jusqu’à ce que la croûte soit dorée.

Et voilà la récompense…Le choix du vin; question d’habitudes. A mes hôtes à Paris j’ai proposé un Probus de 2007, un grand vin de Cahors. Eux auraient préféré une saveur plus délicate. Mais détrompez-vous : dans le Marches, on accompagne les vincisgrassi avec un Conero rosso A.O.C.G. de la province d’Ancône, un cépage Montepulciano à 12,5 % (à peu près la même que le Probus).

Ingrédients pour 6 personnes :

Pour les pâtes à l’oeuf = Farina 00, 225 g., oeufs 2,5; semoule 25 g., beurre 25 g., Marsala 25 dl (pour obtenir environ 360 g. de lasagnes)

pour le ragù = quasi de veau (surlonge, ou tendre de tranche) 250 g., côte première de porc sans os 50 g., un os de boeuf, lard 50 g., abats de poulet 150 gr., une frais de ris de veau, 400. g. de coulis de tomate, un verre de vin blanc sec, 50 g. de beurre, un oignon avec trois clou de girofle, 125 ml de lait, une gousse d’ail, une branche de céleri, une carotte, sel, poivre, huile extra vierge d’olive (éventuellement aussi des champignons).

pour la béchamel = entre un 1/2 et un litre de lait (plus ou moins liquide); 50 g. de beurre; 50 g. de farine; une pincée de noix de muscade, poivre

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