La Toscane est une terre d’ombres et de lumières. Berceau de grandes richesses et pauvretés, de mécénats et d’usuriers, d’esprits illuminés et des particularismes rancuniers (et tout ça même en époque moderne), où certaines villes sont toujours sous les feux de la rampe, tandis que d’autres restent à l’écart de la notoriété. Pistoia est le parfait exemple de cette situation. Fondée par les romains avec le nom de Pistorium (four à pain) au long de la voie Cassia, aux pieds des Apennins, elle a tout l’apparat typique des autres centres urbains de la région. Un passé millénaire, une activité commerciale bien vivante depuis le Moyen Age, des monuments historiques, des artistes tels que Marino Marini, l’un des sculpteurs italiens majeurs du Novecento.
Et pourtant, Pistoia stagnait depuis longtemps, peut-être à cause de l’écrasante proximité avec trois prime donne : au sud/est Prato (centre industriel majeur) et Florence (la Star par excellence) et à l’ouest Lucca. C’est bien pour tout cela que le ministère italien de la Culture a voulu rattraper le temps perdu, en la faisant capitale de la culture italienne au début de l’année 2017.
A vrai dire, depuis, l’annonce n’a pas été beaucoup diffusée sur les canaux officiels, en raison d’une sorte de léthargie bien italienne. Les locaux ont réagi avec aplomb. Quoi qu’il arrive, Pistoia pourra toujours compter sur son atout principal, le « charme discret de sa bourgeoisie », adapté à tous les goûts, et qui dépasse les modes occasionnelles.
Cette discrétion s’applique aussi à sa cuisine. L’un de ses plats traditionnels est désormais difficile à trouver dans ses restaurants, peut-être à cause de son nom : il carcerato (le prisonnier). L’histoire veut que la recette soit née à cause du voisinage entre l’abattoir et la prison de Santa Caterina in Brana. Les abats des boeufs, normalement considérés de deuxième choix (le quinto quarto), au lieu d’être jetés dans le ruisseau, étaient donnés aux matons et aux taulards, pour qu’ils en puissent faire une bouillie nourrissante, avec du pain sec des jours précédents…
Vous faites la fine bouche? Sachez qu’en Toscane pour désigner les abats de veau (de sa majesté la race Chianina !) on parle de rigàglia, probablement du latin regalia, c’est-à-dire digne d’un roi…Allons voir donc tous les ingrédients du bouillon. On commence avec une base composée d’oignon, d’ail, de céleri, de carotte, de tomates, de vin blanc, d’huile extra vierge d’olive, pour passer ensuite aux choses sérieuses : du foie, du coeur, des poumons (les trois évidemment pas en entier), un morceau de la tête avec une partie de la joue (testina en patois), et puis tout ce qui tombe sous la main. Moi je n’ai pas trouvé le poumon, j’ai donc mis un os à moelle, du pied de veau, et puis des ris et des morceaux de queue. Les plus chanceux auront aussi la rate et la caillette (ou abomasum), une partie de l’estomac.


Le reste est facile. J’ai choisi d’abord coeur et foie…
…et la queue. Le tout doit cuire environ deux heures à feu moyen, en touillant de temps à autre, et en écumant le gras qui remonte à la surface.
A la fin, tour de magie. On met de côté les morceaux de viande (qui seront servis comme secondo), et on passe au chinois les ingrédients les plus tendres, désormais délités. Bien sûr, on recueille le bouillon dans un bol.
On remet sur le feu la casserole (qui traditionnellement devrait être en terre cuite), avec quelques gouttes d’huile et quelques tranches de pain (sec, possiblement). Après quoi, on y ajoute le bouillon, qui devra réduire un bon moment.
Pendant que le pain trempait, j’ai pris les plus petits morceaux de viande, je les ai passés à la moulinette et j’ai ajouté la farce à la préparation. J’ai mis du sel et du poivre, et j’ai fait réduire le tout jusqu’à l’état de bouillie semi liquide.
Au moment de passer à table, j’ai utilisé des plats en terre cuite, histoire de remonter aux sources.
Mais je n’ai pas oublié d’ajouter une goutte d’huile à cru, et de parsemer le tout avec du fromage râpé (du pecorino toscan, semi doux).
La photo du plat n’est certainement pas des plus envoûtantes, il n’a pas l’air bien raffiné, mais je peux vous assurer que le goût du carcerato est très fin.
Quel vin pour accompagner ce plat d’antan? Facile. Tout près de Pistoia, sur les collines de Montalbano, terre à vin depuis l’Antiquité, il y a 16.000 hectares de Chianti A.O.C.G., à base du cépage Sangiovese.
Ingrédients pour 4 personnes :
1 oignon, 1 carotte, 1 branche de céleri, 1 verre de vin blanc sec, quelques tomates, sel, poivre, huile extra vierge d’olive, fromage pecorino toscan, 1 litre et demi d’eau, 400 g. de pain sec, 400 g. d’abats de veau (mais bien évidemment le poids peut varier, selon la taille des morceaux)
Ah ? Du chianti pour l’accompagnement, why not ?
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