Porchetta al forno (Porchetta au four)

Le street food à Rome est une institution, et ce depuis bien longtemps. Les kiosques-camionettes à panini (pluriel de panino !) sont installés dans de nombreux quartiers, à des endroits stratégiques, et sont ouverts jour et nuit, surtout la nuit en fait. Ils sont le point de rencontre de toutes les tribus urbaines, en mal de satisfaire un petit creux aux heures les plus farfelues. Bien sûr, chacun d’entre eux est connu par les noctambules grâce à un « nom de code ». Il est toujours question de « zozzone » (le crado…), parce qu’on colporte l’idée que les « chefs » cuisinent tous les ingrédients sans trop faire attention à l’hygiène…et puis, on y ajoute des noms propres, des surnoms, des histoires vraies ou inventées…
Il y a donc Giorgione (le gros George) de Ponte Flaminio, Patrizia à l’Eur, avec son panino che ti vizia (le panino qui te gâte), le père et le fils de Er panino matto (le panino fou) suivis « même sur facebook », Er Cingalese (du Sri Lanka ou des parages) qui prépare ses pitances après une « danse maori »…et enfin il y a le crado par antonomase : ‘O Zozzone de Porta Maggiore, où j’avais moi-même mes habitudes, la nuit, quand j’étais étudiant.
Je vous rassure. Chez les zozzoni, la nuit n’a rien à voir avec l’impasse existentielle de l’homonyme (et soporifique) film d’Antonioni. Ici, pas d’atmosphère tendue ou glauque comme dans les diners des périphéries américaines. A Rome, quand on mange sur le pouce, on est en pleine comédie, entre Plaute et Voltaire. On rit, on crie, on bavarde, on fait des blagues (douteuses), on se salit les mains sur du papier kraft huileux, et on se goinfre de panini pleins de toutes sortes d’aliments pas vraiment diététiques ou « vegan »…en particulier de la porchetta, la reine incontestée du slow food centre-italique.

Porchetta est le diminutif féminin de porco (le porc), et il désigne généralement une femelle adulte ou un cochon de lait, désossé et privé de ses abats, aromatisé avec des herbes, ficelé et cuit entier au four ou sur la broche. Depuis l’après-guerre, la plus fameuse porchetta est celle d’Ariccia, une commune des Castelli romani, à 26 km de la capitale. Sa particularité : elle est aromatisée au romarin et à l’ail. Les gens du coin déclarent haut et fort qu’ils sont les « inventeurs » de la recette (depuis des millénaires, rien que ça), mais n’en déplaisent aux gourmets du coin, les habitants de Norcia (Ombrie), de Campli (Abruzzes), de Monterado (Marches), ou de Monte Sansavino (Toscane), revendiquent également sa paternité (ou sa maternité).vincenzo Comme tout le centre de l’Italie en réalité. Déjà au XVIIème siècle, comme l’explique le traité du marquis et agronome Vincenzo Tanara, les porchettari des Marches et d’Ombrie étaient coutumiers des fêtes citadines et religieuses, pendant lesquelles ils vendaient de la viande de porc aux pauvres gens qui n’avaient pas les moyens ni le temps de s’attabler. Mais le sacrifice aux dieux d’un cochon rôti était pratiqué dans des temps bien plus reculés, par les premières peuplades du centre de l’Italie (entre autres, les Latins des collines au tour de Rome). Du reste, le synonyme de porc en latin est maialis (maiale en italien), probablement parce qu’il était l’animal choisi pour être sacrifié à la déesse Maia, protectrice de la croissance des végétaux au mois de mai (maggio en italien). 

Bien entendu, à l’époque, les animaux en question étaient très différents de ceux d’aujourd’hui. Les races autochtones italiennes (nero dei nebrodi en Sicile, apulo-calabrese dans les Pouilles et en Calabre, sardo de Sardaigne, casertano de Campanie, reatino du Latium, senese en Toscane et romagnolo en Emilie Romagne), qui ont risqué de disparaître ces dernières décennies à cause de la sélection de races plus productives et de la concurrence déloyale d’autres pays, ont toutes une caractéristique en commun. Ils sont noirs et poilus, un héritage de leurs ancêtres, les sangliers.
En revanche, le cochon utilisé pour la porchetta est presque systématiquement issu de la race Large White, dérivée du Landrace anglo-danois et importée en 1873 dans la Plaine du Pô. La raison est évidente : il est plus gros, plus fertile, plus productif (le jambon de Parme est aussi issu de cette race). Pour faire une bonne porchetta (qui ne soit pas un cochon entier), on utilise plusieurs morceaux de choix. A Paris, j’ai acheté de la poitrine fraîche et désossée (de porc breton sans doute) et un rôti d’échine, une arista en italien.

Tout d’abord, j’ai aromatisé l’intérieur de la poitrine avec du poivre, deux poignées de sel fin, du persil, du thym, du laurier et des graines de fenouil (comme dans le nord du Latium).

Le rôti : il ira se loger dans la poitrine enroulée et ficelée. Comme le morceau était très volumineux, j’ai préféré le couper en tranche dans le sens de la longueur et je l’ai aromatisé comme la poitrine. 

Une fois cette opération terminée, j’ai posé les tranches sur l’un des côtés de la poitrine…

…et puis j’ai enroulé cette dernière. La difficulté est de bien maintenir l’ensemble, pendant le ficelage, sans faire sortir le rôti. La façon la plus simple de procéder est de ficeler d’abord le morceau dans le sens de la longueur, et puis (si vous n’êtes pas un expert) de faire plusieurs noeuds bien serrés dans le sens de la largeur.

La couenne devra être entaillée au couteau pour que le gras fonde, puis parsemée d’aromates.

C’est le moment d’emballer la porchetta dans une feuille de papier aluminium et de la faire reposer au réfrigérateur, pendant toute une nuit et une partie de la journée (au moins 16 heures au total).

Le moment venu, on sortira la porchetta du réfrigérateur et on la mettra au congélateur, pendant une heure. La viande aura ainsi le temps de bien se compacter avant d’affronter la cuisson. L’étape suivante se déroule comme voici : dans la partie basse du four (chauffé à 220°C, en chaleur statique), on mettra un plat à four rempli d’un verre de vin blanc sec et d’un verre d’eau. Le tout, mélangé avec une gousse d’ail et un peu de noix de muscade râpées, plus des aromates (sauge, thym). Au dessus du plat, sur une grille, on posera la porchetta, qui devra cuire une heure. Ensuite, on enlèvera le papier aluminium, on badigeonnera au pinceau la viande avec un peu d’huile extra vierge d’olive, et on poursuivra la cuisson à 200° (avec une chaleur tournante) encore le temps nécessaire (une heure pour chaque kilo de viande). Il faudra veiller à ajouter du vin et de l’eau dans le plat, s’ils s’évaporent.

Et voilà le travail. Bien aromatisée dedans et dehors, avec une peau croquante comme il faut. Et n’ayez pas peur. Au bout du compte, c’est une viande très maigre…

…Qu’on pourra déguster seule, ou, comme moi, avec du pain de campagne (ça tombait bien, j’en avais fait la veille).

La porchetta est bonne chaude, tiède, froide…

Et on peut même l’accompagner de pommes de terres, frites ou au four, pour bien comprendre pourquoi, la nuit, à Rome, on s’arrête chez un zozzone

A propos de la boisson qu’on déguste sur ce plat. Soit vous choisissez une bière blonde, soit un vin blanc, sec, préférablement des Abruzzes (pour rester en Italie centrale).Le Trebbiano pourra aisément satisfaire les palais les plus difficiles. Il est à base de cépage Bombino ou Trebbiano, et en 2012, l’un de ses producteurs (Valentini) a été sacré « meilleur vin italien ».

Ingrédients pour 4 personnes : 

800 g. de poitrine de porc désossée, 500 g. de rôti de porc, sauge, laurier, thym, graines de fenouil, romarin, persil, sel, poivre, une gousse d’ail, de la noix de muscade, un verre de vin blanc sec, un verre d’eau, de la ficelle, un peu d’huile extra vierge d’olive

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