Fatigués de vous retrouver, pendant les vacances, dans des endroits où il ne fait pas beau, où il n’y a rien à voir, où la cuisine n’est pas bonne ? J’ai une suggestion pour vous : allez à Palerme ! Le soleil y est toujours au rendez-vous, la ville a été nommée capitale italienne de la culture, et si vous avez un petit creux… alors là, mes agneaux, il y a de quoi satisfaire les gourmets et les goulus, dans le genre « tontons flingueurs ». Je ne m’attarderais pas sur les nombreuses recettes, salées ou sucrées que vous pourrez y savourer : spincione, caponata, macco di fave, pasta al cavolfiore, cannoli, arancine di riso, etc. etc. Mais quand vous aurez trop chaud et l’estomac trop plein, au petit déjeuner ou au dîner, écoutez-moi : dégustez un succulent sorbetto al limone (sorbet au citron).
Pour éclairer votre lanterne, je vais vous raconter l’histoire des trois ingrédients de la recette : les citrons (limoni en italien et limuni en patois sicilien, dérivé de l’arabe laimūn, lui aussi dérivé du persan līmūn), la neige, et le sucre.
On cultive deux variétés principales de citron en Sicile : le femminello siracusano, qui pousse dans les environs de Syracuse, fleurit trois fois par an, est riche en jus et en huiles essentielles ; et le citron Interdonato de Messine (un hybride entre un cédrat et un citron), qui est plus doux. L’Union européenne reconnaît neuf dénominations d’Indication géographique protégée (I.G.P.) pour le citron : une espagnole, une portugaise, une française. Les autres sont toutes italiennes et toutes situées dans le Mezzogiorno : en Campanie, dans les Pouilles, en Calabre, et bien sûr en Sicile, où est concentrée 85 % de la production nationale ! Hélas, l’ouverture trop rapide du marché aux concurrents internationaux, souvent mieux placés pour faire face à des coûts de production plus bas, et mieux organisés pour mener une politique commerciale plus agressive à l’export, a causé, en dix ans, la fermeture de 40 % des entreprises siciliennes, souvent de taille petite et moyenne. Le marché bascule définitivement entre les mains des géants du secteur, comme l’argentin Saint Miguèl, qui à lui seul cultive 3.200 hectares, tandis qu’en Sicile la parcelle du producteur moyen est de 3 hectares…
Mais avant d’arriver dans l’île, le citron a du se frayer un chemin depuis très loin, dans le temps et l’espace. Il y a huit millions d’années, les agrumes poussaient uniquement aux pieds de l’Himalaya. De là, lentement, mais sûrement, ils furent diffusés vers l’Est et vers l’Ouest, c’est-à-dire le nord de l’Inde. Et c’est finalement avec Alexandre le Grand, qu’ils gagnèrent le bassin méditerranéen. Le cédrat venu d’Orient, mélangé avec l’orange amère, donna alors naissance à son petit-fils, appelé en grec ancien κίτρον (citron), d’où le latin citrum, et le français citron. A l’époque de l’empereur Auguste, le citronnier était bien connu en Italie mais considéré plutôt comme une plante ornementale. Non seulement on le représentait sur les peintures pariétales des grandes maisons aristocratiques, mais on utilisait aussi ses fruits pour des offrandes aux dieux (on a retrouvé des restes dans la prison du Tullianum, en plein forum, à Rome). Ce n’est probablement qu’aux alentours du Xe siècle qu’on commença à en apprécier le jus, sous les Arabes, justement en Sicile.
Deuxième ingrédient de cette recette : la neige. Pendant l’Antiquité, on a rapidement compris qu’on pouvait l’utiliser pour refroidir en été les aliments et les boissons. Les riches pouvaient, moyennant finances, se faire livrer des montagnes des stock de neige pure qu’ils gardaient, au-dessous de quelques couches de pailles, à l’abri, dans les profondes caves de leurs maisons. La neige, devenue glace, était ensuite aromatisée avec des sirops ou des pétales de fleurs, souvent de rose. Ce n’est pas un hasard si le mot italien sorbetto dérive du verbe latin sorbeo-es-sorbere, absorber, en bon français.
Dernier ingrédient : le sucre de canne. A l’époque gréco-romaine, il était connu, mais peu utilisé en raison de la distance avec les terres de production (Inde, Arabie), et de son coût très élevé. Un médecin du Ier siècle après J.C., Dioscoride, le décrivait dans son traité Περὶ ὕλης ἰατρικῆς (Peri hulês iatrikês), « À propos de la matière médicale », comme une sorte de miel solide, appelé σάκχαρον (saccaron = sucre). Il faudra attendre l’invasion arabe pour que les choses changent de façon radicale. Aux environs du IXe siècle, les nouveaux maîtres revitalisèrent les plantations d’agrumes, et introduisirent en Sicile la canne à sucre, qui s’adapta très bien au climat de l’île. Un voyageur, chroniqueur et géographe arabe du Xe siècle, Ibn Hawqal, dans sa description de Palerme, évoque les cannes à sucre (« les cannes de Perse »), florissant le long des plages. Innovateurs d’un côté, les Arabes conservèrent néanmoins l’héritage romano-byzantine du sorbet (neige + sirop), en arabe شربات, sharbat, en persan « شربة », « šarbat », et « şerbet » en turc, en ajoutant le sel comme moyen de conservation de la glace.
Mais le sucre restait un produit exotique et rare, d’abord réservé (comme les citrons) aux apothicaires (juifs) et aux élites, chez qui il était utilisé comme monnaie d’échange. Le sorbet donc était un produit pour les riches. Jusqu’à ce qu’on implante la canne à sucre dans le Nouveau Monde et qu’on en produise en grande quantité. En Sicile, la culture de la canne à sucre fut abandonnée, mais pas les sorbets (et les glaces, et les granite). Qui, petit à petit, remontèrent la péninsule jusque dans la France de Louis XIV. Le premier café de Paris – où l’on servait des sorbets – fut le Procope, fondé en 1684 par un chef pâtissier de Palerme, Francesco Procopio dei Coltelli. Ahhh, ces ritals…A Palerme, la glace – dégustée dans une brioche – et le sorbet sont une religion. Depuis une dizaine d’années, il existe même un festival de la glace traditionnelle, dénommé Sherbeth comme en turc, où sont invités les maîtres glacier du monde entier. Pour ma part, je suis loin d’être maître glacier. Mais j’ai tout de même réussi un sorbet succulent, à base de citrons bio (espagnols)…
On commence par presser les citrons, pour en recueillir le précieux jus.
Préparez ensuite le sucre raffiné (mais si cela vous tente, vous pourrez utiliser celui de canne).
Et le sucre glace, qu’il faudra tamiser et mélanger avec un blanc d’oeuf battu.
On fait bouillir de l’eau (et une écorce de citron), dans une casserole. Dès que l’eau commence à frémir, il faut ajouter le sucre raffiné. A l’aide d’une cuillère en bois, on touillera jusqu’à que le sucre soit fondu dans l’eau. Après quoi, on laissera refroidir le sirop ainsi obtenu.
Et maintenant le fouet. D’abord le blanc d’oeuf devra être battu dans un bol, le temps de voir apparaître les petites bulles en surface. On ajoutera le sucre à voile, et on montera en neige, le tout pendant une dizaine de minutes.
Le jus de citron pressé plus tôt devra être filtré, grâce à un tamis, dans l’eau sucrée, désormais froide.
…le tout sera mélangé avec l’oeuf sucré monté à neige, à l’aide d’une spatule.
Le sorbet, encore à l’état liquide, devra reposer au congélateur pendant au moins six heures, en n’oubliant pas de le remuer de temps en temps.
Quand le sorbet sera bien glacé, vous pourrez simplement le servir dans une coupe, ou, pour faire plus chic, dans un demi citron, vidé et lui aussi congelé, surmonté d’une feuille de menthe. Les Français, peuple de poètes, l’appellent citron givré, mais soyez-en sûrs, cela reste un sorbet…Pour accompagner le goût délicieusement acide du citron, voici un vin pour une fois pas sicilien, mais du Piémont, le Moscato d’Asti, légèrement pétillant et au parfum fruité et floral. Ce n’est pas une mince affaire de trouver un vin qui puisse être apprécié à sa juste valeur sur une glace. Et n’oubliez pas : il faudra toujours manger la glace après le vin, autrement le palais sera incapable de reconnaître les nuances et les senteurs du vin.
Ingrédients pour 4 personnes :
25 cl de jus de citron (qui corresponde environ à 4 citrons non traités); 250 dl d’eau; 1 blanc d’oeuf, 250 g. de sucre raffiné; 50 g. de sucre glace; quelques feuilles de menthe.
Merci pour cette recette, je sais enfin comment faire pour qu’un sorbet reste souple…. youpi.
Petit détail, dans votre recette du Sorbetto al Limone vous évoquer 1//2 dl – pour le jus de 4 citrons – peut être faudrait il rectifier…. moi j’ai estimé à 20 cl / 25 cl …
Sophie
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Merci pour l’info, j’ai du m’emmeler les pinceaux. Je vais immédiatement corriger la recette en intégrant la bonne dose de 25 cl.
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Merci je ne trouvais pas le nom en italien pour le commander au restaurant
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