Cavolo verza all’eugubina (Chou ‘de Milan’ à la façon de Gubbio)

Bête comme un chou, se prendre le chou, ménager le chèvre et le chou…on pourrait bien dire que le pauvre légume est un peu le souffre-douleur de la langue – et de la cuisine – française (et pas que). Mais détrompez-vous, cette jolie verdure multiforme a bien plus d’un tour dans son sac pour vous séduire.

Déjà les hommes du Néolithique, qui n’étaient pas bêtes comme les modernes, le cultivaient dans tout le pourtour européen de la Méditerranée. Et pour cause. Il est très riche en fibres, potassium, vitamine K et C, avec une grande capacité d’adaptation au froid, excellent composant dans la diète des animaux de compagnie et de la basse cour : chiens, chats, cochons, poulets, lapins, chèvres…

Mais le chou est aussi riche en soufre. Les Grecs anciens, qui avaient probablement constaté les effets collatéraux des choux quand ils sont plantés à côté de la vigne (le soufre est un puissant fongicide, mais trop concentré il brûle les racines de la plante), créèrent le mythe de Lycurgue (Géop. 12,17,16-21). Ce roi de Thrace chassa le dieu Dionysos de ses terres. L’Olympien alors le rendit fou, et Lycurgue, croyant couper les sarments des vignes sacrées, tua sa femme. Tout de suite après, le roi s’effondra et pleura des larmes que Dionysos changea en plantes de chou…

A l’origine du mot chou (cavolo en italien) il y a l’indo-européen commun kehulo, d’où provient le grec καυλός, apparenté au latin caulis. Toutefois caulis indiquait seulement la tige de la plante, tandis que le substantif bràssica désignait, quant à lui, l’espèce en général. Au IVème siècle avant J.C. le Grec Théophraste distinguait trois variétés de chou. Pline l’Ancien, au Ier siècle de notre ère, six. De nos jours, on en compte 150 (parmi lesquelles vous connaissez forcément le chou de Bruxelles, le chou rouge ou bien le broccoli). Bref, le chou, bien utile aux hommes, n’a jamais cessé d’être croisé et modifié. Au Moyen-Age, il voyagea de la péninsule italienne vers le nord de l’Europe.

Le chou blanc ou pommé (mariné façon sauerkraut) est ainsi attesté en Allemagne, pour la première fois, au XIIIème siècle. Au XIVème siècle, les Anglais cultivaient le cabbage toute l’année. Bona Sforza, fille du duc de Milan Galéas Sforza et d’Isabelle de Naples, devenue reine de Pologne, importa dans ces contrées la même variété en 1518.

Pour ma recette j’ai utilisé du cavolo verza, pour les Français « chou frisé » (ses feuilles sont gaufrées, boursouflées), ou encore « chou de Milan » (ou de Savoie). La variété verza – du latin vir(i)dia, verte – apparemment créée en Italie, est en effet mentionnée à partir du XVIème siècle en Lombardie, à la cour de Milan. Et vous savez bien qu’avec le mariage entre Catherine de Médicis et Henri II, en 1533, bon nombre de produit italiens traversent les frontières pour rejoindre la France…

J’ai choisi aussi le verza parce qu’il s’agit d’un légume d’hiver, généralement récolté d’octobre à avril. Et avec le temps qu’il fait à Paris en plein mois de mai, on pourrait bien se croire en hiver dans les environs de Gubbio, ville d’Ombrie située à 522 mètres d’altitude, d’où vient justement la recette. On estime à 300 ha la superficie consacrée à la culture du chou-fleur en Ombrie. Et par ailleurs, la région est connue pour une variété de niche appelée broccoletti du (lac) Trasimeno. Alors…

Rassasiés de culture mais affamés de nourriture ? Passons donc en cuisine pour commencer les préparatifs. Tout d’abord, il faut sélectionner un cavolo verza pas trop petit, parce qu’il faudra lui ôter une bonne partie des feuilles extérieures.

Ensuite, la crépine de porc, nécessaire pour tenir l’ensemble. Avant son utilisation, elle devra tremper dans de l’eau tiède au moins une demi-heure.

Puis, de la mie de pain, légèrement sèche. A tremper dans du lait chaud, avant de l’égoutter et de la presser.

Troisième étape : faire sauter dans la poêle avec de l’huile extra vierge d’olive un mélange de légumes : carotte, céleri, oignons, ail, et lardons fumés.

Revenons à notre frisé milanais. Il faut lui enlever les feuilles extérieures, et la partie finale de la tige, trop dure.

Ce n’est pas fini. Il faut aussi le faire bouillir entre dix et quinze minutes, pour le cuire et le garder croquant.

Entre temps, on s’occupera de la partie « animale » de la farce, en faisant un hachis de noix de veau et de longe de porc.

Et maintenant composons la farce avec la mie de pain, un oeuf entier et le jaune d’un autre, à mélanger dans un bol avec les légumes sautés et la viande hachée, plus une pincée de noix de muscade, du poivre et du sel.

Revenons au chou. Une fois séché, il faudra l’ouvrir, feuille après feuille, pour arriver au coeur, à enlever parce que trop dur.

A sa place, une grosse « paupiette » de farce. Puis, il suffira de refermer les feuilles, en faisant attention à placer entre elles, à chaque fois, une couche de farce.

Le chou, ainsi refermé sur lui-même, devra être enveloppé dans la crépine (égouttée).

Avant la cuisson à proprement parler, il y a une étape intermédiaire, le chou doit revenir quelques minutes dans une poêle avec de l’huile d’olive, pour bien dorer toute sa surface. Je sais, c’est fatiguant, mais on y est presque !

Placez ensuite le chou farci dans une grosse marmite (c’est mieux si elle est en terre cuite), dans un bouillon de viande.

Ajoutez une feuille de papier aluminium, pour bien garder l’humidité, avant de poser le couvercle. Le pot, ainsi scellé, ira dans le four (pré) chauffé à 180°C, pendant une heure. Ensuite, on enlèvera le couvercle et l’aluminium, et on laissera cuire encore quinze minutes à 200°C.

Dernier effort : égoutter le chou, le laisser refroidir un instant…

…et puis le couper en tranche, comme s’il s’agissait d’un gâteau.

Et pour le vin? Pas de souci. L’Ombrie a de quoi vous satisfaire, avec un bon Montefalco Rosso A.O.C., produit à Montefalco dans la province de Péruse, à base de cépage Sangiovese, Sagrantino et Merlot.

Ingrédients pour quatre personnes : 1 chou de Milan (700 g.), 1 cube de bouillon de viande, 1 litre et demi d’eau, 125 g. de noix de veau, 125 g. de longe de porc, 50 g. de lardons (fumés ou pas), 100 g. de mie de pain, 125 g. carottes, 200 gr. d’oignon, 50 g. de céleri, 2 oeufs, 1 crépine de porc, lait, noix de muscade, huile extra vierge d’olive, sel, poivre.

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