Ahhh, Milan. A en croire les Lombards, c’est la seule ville italienne au niveau des grandes capitales européennes, avec ses Crésus de la mode, de l’industrie, du commerce, voués au travail avec une ferveur presque calviniste. La ville où, pour aller manger, on parle d’happy hour et d’appetizers, de brunch, de lunch…
Mais bien avant cela, il y avait tout de même de vraies traditions culinaires, favorisées par la fertilité de la vallée du Pô et par un riche héritage culturel, parfois oublié un peu trop vite.
Ces dernières années, hélas, ont vu l’explosion de la ‘redécouverte’ des origines celto-germaniques de la Padanie, comme les seules et uniques dépositaires des valeurs fondamentales des peuplades du coin. Un fil rouge, en quelque sorte, unirait le sud et le nord de l’Europe, mettant à l’honneur de grands moustachus et leurs heaumes à cornes. Mais rassurez-vous, l’histoire culinaire, en Italie, ne s’encombre pas des cacardements de basse cour. Et je vais vous le prouver en parlant d’un des plats les plus authentiques de la tradition milanaise (et lombarde en général) : la cassoeûla.
C’est un met d’automne-hiver, à base de verza (chou frisé), couenne, saucisses et viande de porc, auxquels on rajoute carottes et céleri, oignon et beurre. Cela vous rappelle quelque chose ? La potée ou la choucroute, peut-être, ou encore le sauerkraut allemand, pas vrai ? Et bien, non, c’est une vraie recette du Sud !
Expliquons d’abord l’origine du nom. Il vient très probablement de l’espagnol médiéval cazuela (la casserole faitout, quoi !). Sauf qu’on trouve la première attestation de la recette dans un ouvrage écrit en catalan en1520, le Llibre del coch, de Ruperto da Nola, chef cuisinier italien du roi aragonais de Naples, Ferrante I. A Naples, d’ailleurs, il y avait (et il y a toujours) une tradition très ancienne de plats à base de viande de porc et de légumes verts comme le chou, dénommés minestra maritata (littéralement soupe mariée, typique de Noël et Pâques). En tout cas le chou, à l’état sauvage, est originaire des côtes du sud-ouest de l’Europe. Les Romains en raffolaient, et il y a des fortes chances qu’il ait suivi – comme le porc – les légions en marche vers l’Europe celto-germanique, y compris la Padanie…
Mais revenons à la recette. Comment est-elle arrivée de Naples à Milan ? Et bien, au XVIe siècle, l’Italie est l’objet des tentations expansionnistes de plusieurs royaumes, comme l’Espagne et la France. Et en 1535, seulement dix ans après la publication du livre de Ruperto da Nola, les Espagnols entrent à Milan, pour y dominer jusqu’en 1706, quand ils cèdent la place aux Autrichiens. Les différentes traditions issues de l’Espagne, de la Campanie et de la Lombardie, se mêlent, avec un zeste de goût germanique et/ou français. En entrant dans l’ère moderne, les choses n’ont pas beaucoup changé. Dans les campagnes du XIXe siècle, le plat était traditionnellement associé au culte de sant’Antonio Abate (Antoine le Grand), célébré le 17 janvier, date à laquelle on terminait la période d’abattage du porc. Les paysans pouvaient ainsi se permettre d’enrichir leur soupe à base de chou, avec les parties moins nobles (et moins chères) de la bête : le groin, le jarret, la couenne, quelques saucisses et la partie finale des côtes, toutes petites (les puntine). Et comme souvent quand on parle de recettes régionales, chaque province l’a adaptée à sa façon. A Pavie et Novara, on utilise aussi la viande d’oie, dans les alentours de Milan on réalise un bottaggio (potage) à base de poulet, à Varese, on y met des verzini (des saucissons frais)…
Moi aussi, puisque j’habite à Paris et non en Lombardie, j’ai adapté un petit peu la tradition, en écartant jarret et museau, et mettant à leur place de la saucisse au coteau (presque identique aux verzini), et de la chipolata (des merguez d’origine espagnole…) très proches de la luganega (autre saucisse typique de Lombardie mais d’ancienne origine romaine). Le chou frisé (dit aussi chou de Milan) et les autres ingrédients sont eux aussi au rendez-vous.
J’ai commencé par ébouillanter la couenne pendant trois quarts d’heure. Après quoi je l’ai égoutté et séché avec du sopalin. Entre temps, j’ai doré dans une poêle les côtes de porc (coupées très fines) dans du beurre pendant une dizaine de minutes. Puis je les ai tamponnées avec du sopalin.
Pareil opération pour la chipolata et la saucisse au coteau.
En ce qui concerne le chou frisé, il faut d’abord le couper en deux et éliminer la partie blanche centrale, trop dure.
J’ai ensuite émincé le feuilles, et je les ai faites bouillir dans deux doigts d’eau, jusqu’à ce qu’elles soient tendres. A la fin, j’ai vidé l’eau dans l’évier. Attention, cela peut prendre pas mal de temps, et le dégât collatéral de cette opération c’est la mauvaise odeur du chou, due au fait que la plante contient du soufre. Rassurez-vous : il ne lui faut que 10 minutes pour disparaître. Et si encore vous hésitez, sachez que tous les choux sont des anti-inflammatoires naturels, riches en fer, calcium, fibres et acides gras, vitamines A et C…
Attaquons-nous maintenant au celeri, aux carottes et à l’oignon. Il faut d’abord les laver, et après les couper en fins morceaux.
Dorez les légumes dans du beurre. Ajoutez la saucisse, et baignez le tout avec un verre de vin blanc sec.
Laissez évaporez, puis ajoutez cette préparation dans votre faitout et laissez mijoter, salez et poivrez, ajoutez enfin les côtes de porc et la couenne, et faites cuire pendant une heure et demie.
Pendant la cuisson, ajoutez de l’eau chaude, ou du bouillon de viande, plus goûteux. Une fois la cuisson terminée, j’ai mis le tout dans un grand plat, et j’ai laissé reposer la cassoeûla une vingtaine de minutes.
Généralement la recette a comme garniture de la polenta de mais (ou d’épeautre), mais j’ai opté plutôt pour une purée de pommes de terres faite maison. Histoire de la rendre plus douce aux fans du brunch….
Et pour un plat si populaire, rien de mieux qu’un vin pétillant de grande classe, un spumante Franciacorta Brut A.O.C.G., de la province de Brescia, re-fermenté en bouteille.
Ingrédients pour 4 personnes :
150 gr. de couenne de porc
500 gr. des côtes de porc
4 verzini (morceaux de saucisse au couteau, pour 200 gr.)
200 gr. de luganega (chipolata)
1 chou frisé (1 kg)
1 oignon, 1 carotte, 1 celeri
beurre, vin blanc sec, sel, poivre
Bravo et Merci pour votre blog. Je viens de le découvrir et l’ai ajouté à mes utilitaires culinaires inspirant 🙂
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Hereux que cela vous plaise.
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