Formaggi : l’eccezione fr…italiana (fromages : l’exception italienne)

Un jour pas si lointain, un membre de mon entourage français (proche entourage…) m’a demandé, très sérieusement : « dis moi, je sais qu’il y a des chèvres, en Italie, mais y-a-t-il des vaches ? Parce que chez toi il fait très chaud. Et donc point de fromages, sauf le parmesan et la mozzarella. Là bas c’est un climat à faire la siesta, pas à cailler le lait… »J’avoue que j’ai eu un moment d’absence : je me suis vu comme Peter O’Toole dans le film Lawrence d’Arabie, lorsqu’il arrive au Caire après la traversée du Sinai, brûlé par le soleil, poussiéreux et assoiffé. Sans aucun fromage dans ses bagages…

Il m’a fallu rassurer mon hôte sur les différents paysages de ce lointain pays qu’est l’Italie, bien au-delà des Alpes, pauvre en déserts mais riche en montagnes, prairies, plaines, élevages de brebis, de chèvres, de vaches, et même de bufflonnes ! 

1. La France est-elle LE pays des fromages?

C’est qui est drôle chez les Français, c’est que quand on parle de fromage (véritable source d’orgueil national), ils ont tendance à se comparer (et à se hisser au-dessus) à la Hollande (le « véritable pays du fromage »), ou à la limite à la Suisse (le « vrai pays du fromage »). Jamais à l’Italie où pourtant ce marché représente un chiffre d’affaires de 22 milliards d’euros, davantage que le vin ou les pâtes ! De Gaulle s’enorgueillissait que la France ait « autant de fromages que de jours de l’année » (entre 350 et 400). Mais cela est vrai aussi pour l’Italie, puisque elle compte 472 produits recensés par les régions (plus des Suisses, qui n’ont que 450…). Pour les petits malins qui pensent à une commedia dell’Arte toute italienne pour avoir accès aux fonds communautaires de Bruxelles, je rappelle que la France est le plus gros bénéficiaire des aides européennes à l’agriculture, et ce depuis belle lurette.cocLa France (avec ses 543.965 km carrés) devance ‘la squadra azzurra‘ pour le nombre de fromages reconnus par la communauté européenne (46 DOP contre 43), mais elle est deuxième quant à la quantité : 200.000 tonnes contre les 400.000 de l’Italie (qui n’a que 301.340 km carrés). De plus, en 2011 les importations de fromages français en Italie ont chuté de 3 %, tandis que les exportations de produits italiens vers la France ont augmenté de 12 %. Probablement aussi grâce aux groupes agro-alimentaires français, qui une fois qu’ils ont acquis les grandes marques italiennes, ont bien voulu ouvrir le marché interne. « Merci messeigneurs », puisqu’à présent j’ai un peu plus de choix, à Paris du moins.

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2. Un peu de zootechnie transalpine

La majorité des entreprises italiennes produit du lait de vache pour la fabrication des fromages affinés à pâte dure (comme le parmigiano reggiano de Parme et Reggio Emilia) et cuite (comme le montasio du Friuli). Les grandes élevages sont en Lombardie, Emilie Romagne, Vénétie et Toscane, mais il existe 18 races autochtones présentes un peu partout dans la péninsule. 

Citons pèle-mêle la reggiana (présente dans la plaine du Po depuis le VIème siècle), la modicana sicilienne, avec laquelle on fait un excellent caciocavallo (le ragusano à pâte filée), ou encore la razzetta d’Oropa de Biella pour le gorgonzola (un bleu). En fait les fromages sont classés en sept catégories selon le type de lait utilisé, le taux de graisse, le type de cuisson et le façonnage de la pâte, le type de croûte (éventuelle) qui recouvre la surface.Il y a donc des fromages entiers ou maigres, crémeux, à pâte molle, semi-dure et dure, etc., produits aussi par des chèvres (cinq races autochtones), des brebis et des bufflonnes. Introduites (d’Asie) par les Arabes pendant le Haut Moyen Age, elles ont fait souche en Campanie, et sont à l’origine des plusieurs produits laitiers.

3. Le fromage est un antipasto ou un secondo piatto

Enfant, j’avais droit à un panino (avec un « o » au singulier), souvent au fromage pour le goûter. Le fromage est toujours un bon spuntino. Mais on peut le manger aussi pendant un repas. Soit comme hors d’oeuvre, seul ou accompagné par d’autres ingrédients (mozzarella et jambon, par exemple), soit comme deuxième plat, après des pâtes, du riz, ou encore une soupe. Mais on ne l’avale pas après un morceau de viande, à la différence des Français. Et cela pour deux raisons. C’est d’abord une question de goût : quand on a dans la bouche les saveurs d’une entrecôte saignante aux tomates, ou d’un foie de veau aux oignons, il est difficile d’enchaîner avec la douceur d’un produit laitier. Deuxièmement, c’est une question de santé : protéines animales de la viande + protéines animales du fromage = trop de protéines et trop de gras. 100 gr. de boeuf apportent 330 kcal; si on y ajoute 50 gr. de (par exemple) Asiago (190 kcal), à chaque repas (ou presque) comme c’est la tradition en France, on prend vite du poids et du cholestérol. Il est vrai que les Italiens mangent de plus en plus de plats tout préparés et de fast-food, ont tendance à se goinfrer, à ne pas faire d’activité physique. Ils ont de fait très souvent de l’embonpoint… mais s’ils ne mangent pas de fromage après la viande, c’est bien qu’il reste quelque chose du fameux « régime méditerranéen » !

4. Sur les pâtes on ne met pas que du parmigiano

Le parmigiano reggiano, râpé ou coupé en fines lamelles, s’est (trop) bien exporté. Il vient accompagner pratiquement chaque plat de pâtes à l’étranger. Mon conseil : premièrement, ne mettez pas systématiquement du parmesan sur vos pâtes (il existe d’autres fromages, j’y viens plus loin) et si vous mettez du parmesan, achetez un morceau que vous râperez vous-même plutôt qu’un sachet de fromage non identifié – ou pire – du parmesan contrefait. Mais revenons aux vrais fromages. Variez donc les plaisirs pour accommoder vos pâtes. Le parmesan et le grana padano ont un goût assez doux, très différent du piquant du pecorino romano (à base de lait de brebis de Sardaigne, Latium et Toscane). Il y a aussi des fromages moins connus, comme le pecorino casareccio, fabriqué de façon artisanale avec le lait des seules brebis de Sardaigne, la ricotta salée de Sicile, ou le canestrato pugliese (plus fort, excellent sur les orecchiette au ragoût…).

5. La mozzarella est-elle un fromage?

Oui…et non. Oui, c’est un fromage frais à pâte filée, et non, c’est un produit laitier frais qui ne fermente pas, comme c’est le cas pour les produits affinés, et qui doit donc être consommé rapidement. Quoi qu’il en soit, la mozzarella (derivation du mot mozzata = coupée à la main) est produite dans toute l’Italie, même si les plus connues viennent du Sud de la péninsule.nod

Des nodini fior di latte de Gioia del Colle (dans la province de Bari dans les Pouilles), aux bocconcini di Bojano (dans le Molise), à base de lait de vache, aux mozzarelle di bufala typiques de la Campanie et du sud du Latium, faites avec du lait de bufflonne, il existe de nombreux types de mozzarelle. En France, on trouve (hélas) presque essentiellement celles de bufflonne au petit format d’exportation, bien plus petites que celles vendues en Italie (qui arrivent jusqu’à 800 gr. à l’unité).

Encore une fois, cherchez toujours des produits de qualité. Difficile de savoir ce qu’il en est pour les mozzarelle de bufflonne. La Campanie, on le sait officiellement depuis 2008, a des sols très pollués (notamment par des déchets toxiques). Il se dit par ailleurs que pour faire face à la demande croissante de mozzarelle de bufflonne, certains producteurs peu scrupuleux n’hésitent pas à utiliser du lait de vache (car les bufflonnes produisent peu de lait).

6. Y-a-t-ils aussi des fromages frais en Italie?

N’imaginez pas qu’il fait trop chaud en Italie pour qu’on n’ait pas de fromages frais. Certes, on n’a pas autant que vous des fromages de chèvre (c’est un délice tout français). Mais il existe bel et bien des fromages crus à pâte molle, obtenus grâce à la coagulation acide du lait de vache, de brebis ou de chèvre.

Parmi les plus connus figurent le passe-partout mascarpone, la burrata di Andria (à se damner…), la casciotta d’Urbino ou le Murazzano de Cuneo.

7. Le fromage n’est pas juste un ingrédient, il y a aussi de plats à base de fromage.

Je ne cite là que les plats où le fromage n’est pas juste un ingrédient parmi d’autres, fut-il essentiel (la mozzarella dans la pizza, par exemple). Je choisis des recettes où le fromage est L’ingrédient. De la pizza quattro formaggi (mozzarella, provolone, parmesan, et gorgonzola) à la caprese (de l’île de Capri, en Campanie, avec mozzarelle de bufflonne, tomate et basilique), de la fondue de la Vallée d’Aoste (à base de fontina, un fromage semi cru), aux brochettes de scamorza fumées de Lucanie et des Pouilles cuites sous la braise.fontina

En passant par le Schiz alla panna (à la crème), une recette à base de fromage semi-cuit de vache, cuisiné dans l’huile avec du beurre et du sel, typique de Belluno (dans la Vénétie). Bref, il y en a pour tous les goûts. Moi j’aime surtout manger du fromage avec du pain ou très simplement avec des poires ou encore des fèves.scamorza affumicata

8. Il n’y a pas que l’huile d’olives dans la vie

Il y a le beurre ou la crème (panna en italien) utilisés aussi bien dans les plats salés que sucrés. La panna, qui est la partie la plus grasse du lait, est chez nous liquide, vous l’appelleriez fleurette. Elle peut accommoder des pâtes au four et constitue l’ingrédient principal des gelati (les glaces italiennes), et elle est bien sûr utilisée dans de nombreux fromages, comme le mascarpone (employé, lui, dans le tiramisu…).

9. Le ricotta se mange salée et sucrée

La ricotta, qui (selon certains) ne peut pas être considérée comme un fromage, mais un produit laitier (comme la mozzarella…), est obtenue à travers la coagulation des protéines du sérum du lait, c’est-à-dire de la partie liquide qui se sépare de la cagliata (le caillé) pendant la trasformation. La coagulation est obtenue à 80-90°C, donc le sérum est littéralement re-cuit (« ri-cotto »). On fait de la ricotta de vache (avec 8% de graisses), de brebis (24% de graisses), de chèvre et de bufflonne, de la ricotta fraîche, sèche, fumée, passée au four et poivrée. Et surtout, ne grimacez pas, la ricotta peut être consommée dans des plats salés comme pour les desserts. Travaillée avec du sucre, elle perd quasi complètement son goût de fromage : les cannoli et la cassata siciliens en témoignent.

10. L’Italie compte aussi ses bizzareries

Bien sûr, la France tient la palme des fromages qui puent. Une étude menée par la Cranfield University en 2004 l’assure, mon nez confirme. Mais l’Italie n’est pas en reste au chapitre des bizarreries. Nous avons plusieurs fromages qui puent comme des pieds pourris : le gorgonzola, le taleggio, le puzzone di Moena, et même un fromage avec des vers, le casu marzu de Sardaigne, le fromage que personne ne veut toucher de peur d’avoir les doigts « infectés » pour toute la journée ! Enjoy…

4 commentaires sur “Formaggi : l’eccezione fr…italiana (fromages : l’exception italienne)

  1. En général, les Français ont tendance à se regarder le nombril et croire qu’ils sont les meilleurs partout et qu’ils sont seuls sur terre!!!

    En réalité, ce qui est vrai pour le fromage, l’est aussi pour le vin, l’huile d ‘olive, noisettes, chataignes, farines, pâtes, patisseries, charcuteries hors du commun, les glaces, le café, le chocolat, les alcools, la bière haut de gamme inconnue, beaucoup de fruits et légumes non industriels fameux, une gastronomie qui ne doit rien aux Français, au contraire!……etc,

    Il en est de même pour leur industrie en général, excellente au demeurant, le tourisme, transports, voyages, croisières etc…. vaut mieux arrêter, car certains vont chialer de ne plus être seuls au monde!!

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  2. Un peu marre d’entendre ce genre de choses sur les Français qui sont profondément Italophiles. On a jamais autant ouvert de restaus Italiens à Paris depuis 10 ans (l’inverse?). Un amour incroyable pour les subtils nectars transalpins vendus dans la plupart des caves (des vraies pas Nicolas). l’inverse n’existe quasi pas. Alors continuez à penser du mal là où vous vous installez le plus, c’est à dire en France, là où on vous aime profondément. Pour moi la France et l’Italie c’est un échange permanent. Je vois moins de restau Français en Italie qu’en France. Alors le protectionisme me fait bien rigoler. On doit vous apprécier plus que vous nous le rendez. Pas grave. Moi je continuerai à vendre vos sublimes vins et tenter de m’installer chez vous en Italie, que vous fuyiez…

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    1. L’Italie et la France sont un film de Don Camillo et Peppone mais la France a souvent eu la prétension de jouer le r^ole de Don Camillo… Les Italiens aiment les Francais, leur pays et leur cuisine. J’habite pour l’instant en Belgique où la communauté d’expat francais ne fait qu’augmenter et la pluspart de mes amis sont francais. Les restaurants francais sont rares en Italie comme ailleurs pour la simple raison que la cible est différente: la cuisine francaise na^it dans les restos et est une cuisine toujours raffinée (et chère). La cuisine italienne na^it dans les foyers et s’étend dans les restos: sa cible est plus vaste et son emploi plus versatile. Ce qui dérange les Italiens (et si je peux me permettre un peu tout le monde) c’est que les Francais sont très centrés sur leur pays sans reconnaitre ce qui leur est venu de l’extérieur. C’est très rare d’écouter des critiques des Francais à leur cuisine ou à leur pays en général; les italiens ont tendance à ^etre plus autoironiques. En outre, un certain r^ole joue le fait que parfois la France ne montre pas beaucoup de respect vis-a-vis de l’Italie … ( voir funivie du Mont-Blanc, migrant et STX…) alors que les Italiens sont toujours respectueux. Cela dit probablement il y a des choses des italiens qu’emb^ete les Francais … Dans tous les cas qui aime bien chiarie bien …

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