L’Italie se nourrit (c’est le cas de le dire…) de ses traditions régionales comme peut-être nulle part ailleurs. Mais les Italiens, si accrochés à leur esprit du clocher dans bien des domaines, font une exception quand il s’agit de faire parler l’estomac : ils s’assoient pour manger et basta. L’art de la table ne connait pas de frontières.
Moi aussi j’ai bien quelques gouttes de sang « nordique » dans ma famille, mais il n’en est rien resté dans la cuisine de ma mère. Et pourtant j’aime m’essayer à la bonne chair septentrionale.
Il fallait combler l’écart. J’ai opté alors pour le brasato (cuit sur la braise) au Barolo du Piemonte, région frontalière avec la France, connue pour ses Fiat, ses truffes, son salame d’âne, ses risotti (au canard, au champagne et crevettes, aux haricots et grenouilles…), ses grands vignobles et ses vaches, fondamentales pour la recette.
Elles appartiennent à la race Fassona, et sont élevée dans les provinces d’Asti, Torino, Cuneo et Alba. Utilisées pour le lait, le travail dans les champs et surtout pour leur chair (à cause de l’hypertrophie de ses faisceaux musculaires – fasci en italien, d’ou fassoni en patois local) ces vaches ont été reconnues pour leur qualité par le mouvement Slow food, qui vise à préserver, entre autre, la cuisine régionale. L’autre ingrédient clé 100% Piemont est le vin. Et pas n’importe le quel : le Barolo, produit avec le seul cépage Nebbiolo, est une institution des collines aux alentours de Cuneo depuis au moins le XIIIe siècle.
Bien sûr, avec une telle introduction, on pourrait objecter que la recette est impossible à réaliser faute d’ingrédients ad hoc. Dénicher un Barolo (ou tout autre vin italien de qualité) à Paris, c’est en effet chercher une aiguille dans une botte de foin. Mais avec une peu de persévérance et grâce à Internet, vous pouvez y arriver. Sinon, un bon vin rouge français (bourgogne) pourra faire l’affaire.
Pour la viande, vous pouvez utiliser un morceau de gîte ou de paleron à la place du scamone (culotte) ou de la fesa (noix de boeuf). Les viandes françaises sont excellentes. Et si vous êtes téméraires, vous pouvez aussi chercher des bouchers qui vendent de produits en provenance des Alpes franco-italiennes. Histoire de garder vif l’esprit de clocher…
Mais venons à la préparation du plat. Procurez-vous d’abord du lard (l’un des meilleurs en commerce est celui de Colonnata) et coupez-le en fines lamelles. S’il n’est pas déjà salé et poivré, faites-le. Après quoi, il faut fourrer la viande avec, dans le sens de la longueur. À ce propos, soit vous laissez le boeuf en un seul morceau (et donc il sera ficelé), soit vous le coupez toute de suite en plusieurs tronçons. Ce sera plus facile à la fin de la cuisson pour le servir. Je sais, les puristes diront que ainsi c’est un spezzatino (ragoût), mais il n’y a, au final, pas de grandes différences. Placez le tout dans un bol.
Préparez à présent les aromates pour la marinade. Il faut une carotte, un oignon, une gousse d’ail, quelques feuilles de laurier, deux clous de girofles, une branche de celeri, une morceau de cannelle et quelques grains de poivre.
Versez un litre de vin Barolo dans le bol avec la viande, ajoutez les aromates, couvrez avec un film plastique et laissez reposer le tout au frais pendant au moins douze heures. Au moment de commencer la cuisson, sortez la viande, tamponnez-la avec du Sopalin et saupoudrez-la avec de la farine. Mettez une casserole sur le feu avec de l’huile extra vierge d’olives et une noix de beurre. Ajoutez-y la viande et faites-la rissoler un moment.Sortez la viande du feu, égouttez les aromates (mais ne jetez pas le vin !), et mettez-les à cuire dans la casserole.
Dès que l’oignon change de couleur, ajoutez la viande, salez, poivrez, versez le Barolo de la marinade, et faites cuire à feu très doux pendant (au moins) trois heures. Touillez de temps en temps, et si la sauce réduit trop, ajoutez du bouillon.
Quand le brasato sera prêt, sortez-le du feu et gardez-le au chaud. Passez la sauce avec les légumes au chinois, et mélangez-la ensuite avec une noix de beurre (et même un peu de farine), pour la rendre plus dense.
Entre temps (parfois j’aimerais avoir quatre bras comme la déesse Kali) vous aurez déjà lancé la préparation de la garniture, c’est-à-dire une purée de pommes de terres. Faites d’abord bouillir les patates; passez-les ensuite au presse purée, remettez-les dans une casserole avec une pincée de sel et quelques morceaux de beurre, et touillez en mélangeant avec du lait.
Déposez à présent les morceaux de viande dans l’assiette, et couvrez avec la sauce bien chaude. Servez avec la purée.
Pour accompagner ce plat, il y a évidemment le vin Barolo (il y en a pour toutes le poches), mais la Piémont a bien d’autres nectars : le Barbaresco, ou encore un Nebbiolo des Langhe (le même cépage que le Barolo…).
Ingrédients pour quatre personnes :
700 gr. de poulpe de viande de boeuf (culotte, noix, voire paleron)
1 bouteille de Barolo (pas trop jeune)
50 gr. de lard salé
1 oignon
1 carotte
1 branche de cèleri
1 gousse d’ail
2 feuilles de laurier, 2 clous de girofle, un morceau de cannelle, quelques grains de poivre
1 noix de beurre
huile extra vierge d’olive
farine
sel et poivre
Pour la purée :
1 kg de patates
1/4 de litre de lait chaud
80 gr. de beurre
sel