Le succès de quelque chose est mesurable aussi à la quantité d’anecdotes, mythes et légendes qui fleurissent autour d’elle. Prenons le cas du tiramisù, LE dessert italien connu dans le monde entier. Quand il s’agit de retracer ses origines, on invente souvent – avec une verve toute italienne – des histoires nobles, patriotiques, voire licencieuses.
Commençons avec la noblesse. Le gâteau aurait été inventé à Sienne au XVIIe siècle, à l’occasion de la visite du grand duc Cosimo III de Médicis. On l’aurait même appelé la zuppa del duca (la soupe du duc). La preuve ? L’utilisation dans la recette du café, importé en Italie depuis quelques années. Hélas, le café était connu, oui, mais comme boisson. Il n’y a pas d’indications directes de son utilisation dans une recette à cette époque. Secondo : on aurait ajouté des gateaux savoiardi (boudoirs) et du mascarpone. Sauf que les premiers sont traditionnels du Piémont, le deuxième de la Lombardie.
Mais quand on connait les excès du Palio de Sienne et les rivalités entre les différents quartiers, on se dit qu’il semble impossible que dans une terre où l’esprit de clocher est aussi vivace, des éléments issus d’autres régions aient été introduit dans une recette locale. Sans compter qu’un produit sujet à tourner comme le mascarpone aurait eu du mal à arriver sur les tables toscanes à temps, vu l’état des routes et les moyens de transport de l’époque. On risquait déjà la salmonellose à cause des oeufs.
L’hypothèse patriotique. Le turinois Camillo Benso, comte de Cavour, est l’un des personnages les plus connus de l’histoire italienne, puisqu’il est à l’origine de l’unification forcée du reste de la péninsule au royaume du Piémont, qui a vu naître le royaume d’Italie en 1861. Un pâtissier de Turin, pour donner de l’élan au comte, aurait préparé pour lui le fameux tiramisù. Malheureusement pour Cavour, vu les difficultés à réaliser l’unité nationale (encore d’actualité de nos jours), il lui aurait fallu des aliments à très longue conservation…
La dernière hypothèse, la plus coquine est, bien sûr, en relation avec le sexe. Venise était connue depuis la Renaissance pour ses prostituées. Pour optimiser en quelque sorte leur travail, elles auraient installé leurs ateliers au-dessus des cafés. Les clients, après avoir dîné en bas, montaient chez elles pour y passer la nuit. Au menu le tiramisù (littéralement tire-moi en haut) devait leur permettre d’avoir de meilleures performances au lit. La littérature est pleine d’histoires de ce genre. Seul l’ingrédient miracle change. C’est tantôt les huîtres, tantôt les clous de girofle, tantôt les oeufs, donc. Sauf qu’on n’a jamais entendu parler de miracle effectif.
L’histoire, la vraie, est moins sexy que la légende. La bible des recettes italiennes, « La Scienza in cucina e L’arte di mangiar bene” de Pellegrino Artusi (de la fin du XIX siècle), ne mentionne pas le tiramisù. Par contre, il y a des traces qui feraient remonter la véritable origine de la recette à Trévise (on reste tout de même dans la Vénétie…), à la fin des années 60, avec une paternité partagée entre les restaurants « Alle Beccherie », « El Toulà » et « Al Fogher ». Le nom du père circule également : il s’agirait d’un certain Roberto Linguanotto, un chef pâtissier qui avait travaillé en Allemagne et qui se serait inspiré des gâteaux de tradition anglaise et germanique. Même si les propriétés reconstituantes de l’oeuf battu avec le sucre sont, bien sûr, connues de longue date.
Après tout ce blabla historico-légendaire, voici enfin la recette. Avec en prologue un conseil sur l’ingrédient clé : le café. L’Illy de Trieste est à mon avis l’un de meilleurs mélanges sur le marché.
Faites un café bien serré avec une moka italienne (juste en passant : je vomis le Nespresso). Mettez de côté une tasse de café par personne.
Mélangez dans un bol les jaunes d’oeuf et le sucre.
Fouettez longuement, à la main, jusqu’à obtenir une crème dense et blanchâtre. A laquelle il vous faudra ajouter le mascarpone et deux cuillères à soupe de Marsala sec de Sicile (la recette originale ne prévoit pas de liqueur mais c’est un petit plus bien goûteux et cela ne tuera pas vos enfants).
Prenez garde à ne pas mélanger trop le mascarpone, sinon vous en obtiendrez du beurre.
Faites monter des blancs en neige et, patiemment, intégrez-les à votre crème qui va devenir bien plus légère et savoureuse.
Venons maintenant aux gâteaux. La recette originale prévoit des savoiardi, mais je préfère les amaretti, des macarons à base de sucre et d’amandes. Posez-les dans un plat à four, l’un à côté de l’autre, en les humidifiant de café à l’aide d’un pinceau.
Couvrez-les avec la moitié de la crème au mascarpone et recommencez avec une nouvelle couche, de boudoirs cette fois car les amaretti sont très sucrés, deux couches rendraient l’ensemble écœurant.
Saupoudrez le haut avec du cacao amer, après quoi couvrez le plat avec un film alimentaire et mettez-le au frigo quelques heures, avant de servir.
La présentation aux invités ne dépendra que de vous. Dans un verre, cela fait tout de même plus chic.
Pour un dessert, il faut un vin doux. J’opte pour un Passito di Pantelleria. Cette petite île, au sud de la Sicile, n’a pas toujours eu bonne réputation. Sénèque disait que c’était un désert, et plus récemment Garcia Marquez a écrit qu’il n’y a pas, sur terre, un lieu plus proche de la lune.
Sauf que sur cette surface lunaire on produit un type de raisin tout à fait particulier, le zibibbo (traduction du mot arab zabīb – زبيب –, qui veut dire raisin sec), aux exceptionnelles qualités organoleptiques. Tant que plusieurs personnalités françaises y ont acheté, pendant ces années, des vignes. Et depuis le 27/11/2014, patrimoine de l’Humanité….
Ingrédients pour 6 personnes :
4 jaunes et 2 blancs d’oeuf
500 gr. de mascarpone
100 gr. de sucre
2 cuillères de Marsala sec
300 gr. environ d’amaretti et de boudoirs
six tasses de café Illy
2 cuillères de cacao amer