Coda alla vaccinara (Queue de boeuf à la façon de Rome)

ROME, celle d’antan, célébrée dans les films de Fellini, Rossellini, Magni, Scola… Aujourd’hui beaucoup de ce qui faisait son charme a disparu. Mais il y a un détail, une particularité qui résiste à la globalisation, aux masses des touristes distraits, à la coulée de béton qui grignote depuis 60 ans les quartiers et la campagne autour de la ville éternelle.

La cuisine populaire. Parce que les Romains (les vrais, pas les métèques comme moi) aiment toujours ‘magnà la ciccia !’ (bouffer de la bonne chair, en argot) et notamment le quinto quarto (le cinquième quart). C’est-à-dire ce qui restait de la vache après que les bouchers avaient vendu aux bourgeois à proximité des abattoirs (situés dans le quartier de Testaccio depuis la fin du XIX siècle) les mets de choix : les deux quarts antérieurs et les deux quart postérieurs.insegna

Dans le cinquième quart, on a donc la queue, les tripes, le coeur, la rate et tous les abats en général (même de la brebis ou du porc), comme la pajata (l’intestin grêle du vau ou de l’agneau, lavé mais pas privé du chyme). Et ne faites pas ces grimaces ! Préparée avec de la sauce tomate et associé à des pâtes, les rigatoni, elle est délicieuse, même si je vous dirait pas le mot argotique pour désigner ce plat. Pour cela il vous faudra regarder le film Il Marchese del Grillo avec Alberto Sordi Mais revenons à l’objet de l’article, la recette de la queue de vache. Il existe trois variations de cette recette. La première a été mentionnée dans le livre d’Ada Boni en 1929, La cucina romana, avec un but précis : sauver la tradition populaire que, déjà à la fin des années 1920, était en train de se perdre. Dans sa préparation, on utilise le bouillon où on fait cuire d’abord la viande pour faire un primo piatto (une soupe, généralement), tandis que la queue est la base pour un secondo piatto, la bien nommée queue à la vaccinara (à la façon du boucher).macelleria

Une autre version, plus riche, a été élaborée dans les bistrots et les restaurants du Testaccio où les stars du théâtre et du cinéma allaient ripailler avec les familles des riverains. Parmi eux, l’une des figures plus célèbres avec Alberto Sordi et Anna Magnani de la romanité moderne : Aldo Fabrizi, gourmet parmi les gourmets, lui-même chef remarquable.

La dernière version diffère des deux autres par l’utilisation de la joue de boeuf (le gaffo, en romanesco), et par l’ajout, à la fin de la cuisson, d’une pincée de cannelle ou de noix de muscade. Histoire de ne pas oublier les épices, marchandise rare de la période papaline.

Depuis la fin des années 1970, les abattoirs ont fermé leurs portes. On en a fait des lieux d’exposition, on y a construit des salles des cours d’architecture, une partie du Musée d’Art Contemporain (le MACRO), un centre social, on y a ouvert des bars très prisés de la movida nocturne…Le quartier a même vu sa population se boboïser. macro

La coda alla vaccinara est fort heureusement restée. La recette que je vous propose est la summa des trois variations que je vous ai présentées. Coupez la queue en morceaux, et faites-la bouillir pour environ trois quarts d’heure dans une casserole. A la fin, mettez-la de côté et passez au pilé les légumes (et conservez le bouillon pour autre chose, à votre guise).Coda 1Procurez-vous oignon, céleri, carotte, ail et persil. Hachez le tout très finement, et versez-le dans une autre casserole, où vous aurez précédemment fait chauffer de l’huile extra vierge d’olive et du saindoux. Laissez réduire les légumes à flamme modérée. Coda 2

Lorsque le pilé aura blondi, ajoutez la queue et la joue coupée en dés. Continuez la cuisson, et touillant régulièrement, jusqu’à ce qu’ils changent de couleur.
Coda 3Versez à présent le vin blanc, et attendez qu’il soit évaporé. Salez et poivrez. coda 5

Ajoutez la pulpe des tomates, couvrez et laissez cuire pendant au moins trois heures. De temps en temps, il faudra probablement ajouter du bouillon végétal (personnellement j’en ai mis pas mal). Coda 6

Pendant que la queue et la joue cuisent (plutôt vers la fin), épluchez du céleri; coupez-le en morceaux et ébouillantez-le brièvement dans de l’eau salé. Mouillez du raisin sec dans de l’eau tiède, après quoi égouttez-le. Le moment venu, vous ajouterez à la sauce ces deux éléments, plus des pignons secs, et une demie cuillère de cacao amer (lui aussi été considéré une épice). Coda 7

Laissez mijoter encore un quart d’heure, éteignez le feu, attendez cinq minutes et servez bien chaud. Savourez, et dites-vous que la seule chose qui manque, ici, c’est l’atmosphère de Rome, inimitable. Coda 8

A un plat si typique et riche en parfums, il faut associer un vin de caractère. Le Latium a démontré, depuis quelque années, avoir les atouts pour rivaliser avec les autres régions italiennes. Voici l’Hernicus, un rouge à base de raisin autochtone Cesanese del Piglio Superiore (produit dans les environs de Piglio, petite ville de la province de Frosinone).Cesanese del Piglio

Ingredients pour 6 personnes :

1,5 kg de queue de boeuf
1 joue de boeuf
1 kg de coulis de tomates
50 gr. de saindoux
Huile extra vierge d’olive
1 verre de vin blanc sec
1 cèleri, 1 cuillère de pignons secs, 1 cuillère de raisin sec, 1-2 cuillères de cacao amer

Pour le pilé
1 gros oignon, 1 carotte, 1 gousse d’ail, persil

3 commentaires sur “Coda alla vaccinara (Queue de boeuf à la façon de Rome)

  1. Retrouver ses racines au bout de 60 ans , ‘faut l’faire ! Mais de retour à Rome pour deux courts séjours , j’ai retrouvé instantanément l’accent et la chaleur … Après les tripes à la romaine , la coda alla vaccinara , a fait un retour en force dans ma mémoire ! Mon père est né via Baccina , et la Madonnella est toujours au début de la rue , ainsi que la maison de Pétrolini . Bon , il est vrai que dès qu’on entre dans un magasin , on vous reçoit en anglais ! .. Ammanagia !…Je vais tenter votre recette , et merci pour Il Marchese del Grillo .

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  2. Pour le repas du réveillon de la Saint-Sylvestre, j’ai préparé cette recette en respectant scrupuleusement (essentiel pour réussir cette recette) l’utilisation de tous les ingrédients et les « tours de main » de cette recette et en la testant une première fois avec des amis grands amateurs de bonne chère, avant hier. Quel succès!!!! Ils ont A-DO-RÉ!!! Je me réjouis pour mes amis et proches invités ce soir du 31 décembre. Magnifique façon de passer d’une année à l’autre! Le top, c’est le cacao amer! Essayer c’est l’adopter! Baci Oliveiro

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