Un jour à Bari, je déjeunais debout dans un panificio (boulanger) plein de gens, de friandises salées-sucrées et de focaccia, la reine des repas sur le pouce, mi-pizza mi-fougasse. Un vigile urbano, sorte de policier de proximité, aux grandes moustaches et au ventre bien rond, rentre dans le magasin. Il commande un morceau de focaccia, et avant d’avoir terminé, il salue (en patois) le patron avec un sonore « SI NU MAST » (t’es un chef). Tirade qui déclenche un bruit instantané d’approbation, et la fierté légitime du boulanger…
Plusieurs régions italiennes ont leur type de focaccia mais dans les Pouilles, et en particulier dans la zone de Bari, c’est plus qu’une tradition, un style de vie. En 2001, McDonald’s inaugura son premier fast food dans la ville d’Altamura, connue pour son pain de farine de blé dur.
Peu après, deux frères boulangers du coin ouvrirent une focacceria (boulangerie spécialisée dans la production de fougasse). McDonald’s dut fermer ses portes. Le Goliath américain écrasé par le David italien : la nouvelle fit grand bruit en Italie, puis en France, en Allemagne et même aux Etats-Unis (grâce au New York Times). On en fit même un documentaire – « Focaccia Blues » – en 2009.
Mais qu’est-ce qu’est une focaccia ? On pourrait émettre une hypothèse à partir d’une affirmation d’Isidore, évêque de Séville (l’Hispalis des Romains) au VIe siècle après J.C., lorsque il parle des différents types de pain (Etymologiae, XX, chap. 2 par. 15): « panis subcinericius, cinere coctus et reversatus: ipse est et focacius ». En gros il y en avait un (pain), le focacius, qui était cuit sous la cendre.
Et en vérité, quand les paysans d’autrefois allumaient le four à pain, ils devaient attendre plusieurs heures (voire toute la nuit s’ils ne l’utilisaient pas tous les jours) avant d’arriver à la bonne température. Pendant ce temps, ils étalaient un morceau de pâte à pain dans un plat à four, le laissaient reposer, l’assaisonnaient et le cuisaient. Ils obtenaient ainsi une sorte de galette. La focaccia telle que nous la connaissons aujourd’hui est plus élaborée, puisque deux de ses ingrédients de base, la tomate et la pomme de terre, ont été introduits seulement à partir du XVIe siècle.
A force d’en parler, j’en ai l’eau à la bouche, je passe donc à la recette. Procurez-vous un morceau de levure de boulanger fraîche d’environ 30 gr. (ou la levure maltée en paillettes en vente dans les magasins bio), et faites-le dissoudre dans 100 ml d’eau tiède, avec une cuillère de sucre.
Epluchez une ou deux pommes de terre moyennes, et faites-les cuire. Après quoi écrasez-les dans un bol avec un filet d’huile extra vierge d’olive.Dans un large bol, mélangez la farine T45 (le fleur de farine, équivalent à la 00 italienne) avec la semoule de blé dur moulue deux fois (riche en gluten), la levure, une pincée de sel, un peu d’huile, et encore de l’eau introduite tout doucement. Mélangez le tout à l’aide d’une cuillère en bois…
…Sans machine pour vous aider, ça va être du sport !La pâte doit être lisse, souple et hydratée. Etalez-la de façon homogène dans le plat à four, bien huilé, avant de la mettre à reposer pour au moins 4 heures dans un four éteint, ou à température très basse, inférieure à 40 degrés.
Maintenant, retournez la pâte dans le plat, réchauffez le four à 220°C, et commencez à poser la garniture. D’abord les tomates cerise coupées en morceaux…
Ensuite les olives (si vous trouvez des olives baresane c’est un must).
Saupoudrez de quelques grains de gros sel et d’origan. Ajoutez un filet d’huile et enfournez. Faites cuire une trentaine de minutes (plus ou moins, selon la puissance de votre four)…
Si vous avez encore un petit creux – accompagnez votre focaccia d’une mozzarella. Et si vous craignez que cette recette toute simple ne vous fasse pas un repas, optez pour une focaccia plus riche avec des pommes de terre coupées en lamelles et du romarin, avec des poivrons, des aubergines, des oignons, des courgettes…
Une focaccia s’arrose de bière. Dans les Pouilles, il y a une excellente bière artisanale à Castel Del Monte ou la Raffo, que mon père préférait.
Ingrédients pour 4 personnes :
200 gr de semoule moulue deux fois + 200 gr de farine 45
200 ml d’eau (voire un peu plus
levure de boulanger (25 gr.)
deux pommes de terre de taille moyenne
une cuillère de sel, une cuillère de sucre
huile extra vierge d’olive
tomates cerise, origan, gros sel
olives vertes et/ou noires, dénoyautées
Mise à jour du 27/05/2013 :
le cas d’Altamura a du faire école, chez McDonald’s, puisque ils commencent (en Italie) à ‘italianiser’ leur menu, comme attesté par le quotidien anglais The Guardian : http://www.guardian.co.uk/lifeandstyle/wordofmouth/2013/may/27/mcdonalds-italianised-menu-future-fast-food.