Fraîchement débarqué de ma province du sud à Rome pour suivre mes études, je rencontrais un autre gars du Mezzogiorno, plus précisément de Calabre. Un de mes plus chers amis. Inutile de vous dire que notre esprit de compétition donnait souvent lieu à des joutes verbales qui, en plus des naïvetés habituels de blancs becs, portaient sur des questions de bouffe. Bien évidemment nous dénigrions tous ceux qui ne connaissaient rien au poisson et nous autres, hommes de la mer et gentilshommes, nous affrontions dans des duels à coup de « qui détient la meilleure recette »…
Après presque trente ans de voyages et d’expériences culinaires, je ne suis pas sûr d’être le gagnant. La Calabre a des traditions bien différentes des nôtres et au final des mets plus fins. Illustration avec cette recette de bar.
Le Dicentrarchus labrax, chez nous (dans le sud) est appelé spigola, à cause des pointes (sorte d’épis) de la nageoire dorsale, tandis que dans les régions du centre nord il est dénommé branzino (de branze, déformation vénitienne du mot branchies). Rien à voir avec le nom que lui prêtaient les Romains, Lupus (le loup). Et pour cause. C’est un poisson présent de l’Atlantique à la Méditerranée à la Mer Noire, et sa voracité le pousse à battre tous les sentiers de chasse, des fonds rocailleux aux prairies de posidonies, de la mer salée aux cours d’eau douce.
C’est un poisson noble, le seul pour moi qui dans un duel peut l’emporter sur la dorade. De toutes façons, on gagne toujours à le consommer : il est riche en protéines et en omega 3, il réduit le cholestérol et protège coeur et artères. De plus, en mars, il est encore pêché dans les eaux nationales et on peut en trouver du sauvage. A partir du mois d’avril, en raison des quotas qui limite la surpêche, vous aurez de fortes chances de le trouver d’importation et d’élevage.
Mais quelle que soit la saison, avant de l’acheter, reniflez toujours la bête pour vous assurer qu’il n’y a pas d’odeur d’ammoniaque. Souvent elle est utilisée pour conserver le produit plus longtemps, ou signale le début de la putréfaction. Vérifiez que la couleur des branchies est d’un vif argent, les écailles bien lucides et adhérentes à la peau, l’oeil brillant et convexe, pas concave et terne, l’abdomen bien tendu, pas gonflé.
La recette prévoit un bar, du choux rouge, un oignon, une pomme, du sucre et du vin rouge, des aromates, sel, poivre et huile extra vierge d’olive. J’ai rajouté de la grenaille de pistaches et quelques pommes de terre.
Occupez-vous d’abord du choux rouge. Coupez-le en deux puis en fines lamelles, coupez en morceaux un quartier de pomme et un demi oignon…
Mettez à chauffer de l’huile dans la poêle, versez l’oignon et deux cuillères de sucre, touillez à l’aide d’une cuillère en bois et ajoutez la pomme. Faites caraméliser un instant. Versez à présent le choux rouge dans la poèle…
…et puis quatre feuilles de laurier et le vin rouge. Couvrez et laissez cuire pendant 15 minutes.
Entre temps, allumez le four et chauffez-le à 150°C, en ajoutant un ramequin plein d’eau pour humidifier le four. Attaquez le bar et découpez les filets. Ne jetez pas la tête et la queue de la bête, vous les ferez cuire également, elles sont délicieuses.
Epluchez maintenant les pistaches et passez-les au mixer pour obtenir la grenaille. C’est la tâche la plus fastidieuse. Utilisez une partie pour recouvrir les filets de bar. Une autre sera intégrée à la purée de pommes de terre.
Mouillez un feuille de papier sulfurisé avec de l’eau tiède et recouvrez avec le fond d’un plat à four. Posez-y les filets, recouvrez-les avec la grenaille, ajoutez quelques branches de romarin, un peu d’huile, et quelques grains de poivre. Le moment venu, mettez le plat au four.
Pour enrichir le plat en saveur et contrebalancer l’amertume du choux, j’ai préparé une deuxième garniture, légèrement sucrée, à base de pommes de terres cuites dans l’eau et de pistaches. Une fois les pommes de terre bouillies, il suffit de les égoutter et de les passer au mixer, avec quelques gouttes d’eau de cuisson, de huile extra vierge d’olive et la grenaille de pistaches.
Un conseil, préparez les portions dans la cuisine avant de servir chaud à table. Ce sera plus pratique.
Dressez l’assiette en posant un filet de bar sur un lit de choux rouge et déposez à côté une cuillère de purée de pistaches.
Pour le choix du vin, il y a deux écoles. La première prévoit l’utilisation du même vin rouge utilisé pour cuire le choux. En revanche, si on préfère un blanc pour accompagner le poisson, je vous conseille un vin très particulier de Sicile, le Grillo de la zone de Marsala. Connu pour son utilisation dans la production du vin liquoreux qui porte le nom de la ville, il est à présent employé aussi pour obtenir de vins blancs de qualité, grâce à la technique de la macération pré-fermentaire à froid des raisins entiers (5°).
Ingrédients pour 4 personnes :
1 bar (800 gr. minimum)
1 choux rouge
1/2 oignon, 2 cuillères de sucre, 1/2 verre de vin rouge, 4 feuilles de laurier, 2 branches de romarin, sel, poivre, huile d’olive extra vierge
200 gr. de pommes de terre
200 gr. de pistaches (épluchées)