N’en déplaise aux idéologues, la globalisation n’est pas un phénomène du XXe siècle, elle est aussi vieille que nos civilisations. La diffusion de l’amandier n’en est qu’une illustration parmi d’autres, mais elle est remarquable pour les distances que le fruit a parcouru : des collines de la Jordanie biblique à la France de Charlemagne, en passant par l’Egypte des pharaons et la Grèce de Périclès, la Rome des Césars et la Méditerranée arabo-vénitienne, jusqu’à la Californie où il a débarqué au XIXe siècle seulement.
Dans les Pouilles, terre de frontière entre Orient et Occident, le fruit de l’amandier a été le trait d’union entre l’héritage de l’ancien monde et la tradition chrétienne; c’est aujourd’hui l’une des douceurs de Pâques les plus goûteuses qui soient : l’agneau en pâte d’amande, ou massepain. Je sais, vous pensez que je suis partial, que la Sicile tient le haut de la scène avec sa pasta reale ou martorana, mais nonobstant leurs nombreux points communs, il existe tout de même des différences notables entre les deux, et je vais vous les expliquer.
La pâte d’amande est aussi appelée marzapane, de l’arabe marṭabān (à l’origine un petit coffre pour les médicaments et les confiseries, du nom de la ville de Martaban en Myanmar). La recette sicilienne est connue depuis plus longtemps que celle des Pouilles (elle daterait aux alentours du XIIe siècle et était élaborée par les nonnes du couvent de la Martorana), mais leur origine commune arabo-byzantine – pour rester au Moyen Age – est indéniable. La vraie différence tient au fait qu’en Sicile on cuit les ingrédients, alors que chez nous on peut les travailler crus. Sans compter que dans la martorana, la proportion de sucre est nettement supérieure à celle des amandes, tandis que dans le marzapane elle est à peu près équivalente.
J’avoue avoir joué un peu à l’apprenti sorcier, en improvisant sur les quantités et en ajoutant des ingrédients, qui ne figurent pas dans la recette originale (parce que vous l’aurez compris, dans des cas comme celui-ci les versions sont multiples…). D’autant plus que les amandes – ou plutôt la farine d’amandes – libèrent rapidement une bonne partie de l’huile qu’elles contiennent, en risquant de compromettre votre travail en cours d’exécution.
Et puis j’ai longtemps cherché un moule en argile ou en plâtre pour façonner le petit agneau. C’est finalement dans un commerce de bouche alsacien que j’ai trouvé le précieux objet, similaire à celui de ma terre natale. Audentes Fortuna iuvat…
Mais venons au fait. Il faut d’abord s’occuper de la pâte d’amandes. Versez dans un saladier en verre d’abord la farine d’amandes, ensuite le sucre glace et un sachet de vanilline, touillez à l’aide d’une cuillère en bois, en ajoutant le jaune d’un œuf, un peu d’eau (très peu et tout doucement) et une cuillère de fleur d’oranger.
Vous vous apercevrez vite qu’il faudra pétrir, encore et encore. Dans les versions « nobles » de la recette, la farine d’amandes est bouillie dans l’eau avec beaucoup de sucre, je n’ai pas choisi cette option. En revanche, j’ai eu l’idée d’ajouter des amandes effilées, et puis un peu de farine de maïzena, pour rendre la pâte moins glissante, et finalement moins grasse. J’ai quand même donné un bon coup avec mon mixer (je n’ai pas de pétrisseuse mécanique…) pour façonner le tout.
Une fois cette opération terminée, vous devrez laisser reposer la pâte en boule au moins 24 h au réfrigérateur.
Passé ce délais, prenez la pâte et travaillez-la comme une saucisse. Coupez-la en suite en petits morceaux et façonnez-les en petites boules.
Prenez le moule en forme d’agneau, et beurrez l’intérieur. Placez à l’intérieur du moule un film plastique et beurrez-le également, avant d’y étaler la pâte d’amandes.
Pressez délicatement sur toute la surface, d’un côté et de l’autre, de façon homogène.
Refermez à présent le moule, et remplissez la partie inférieure, qui est ouverte, avec encore du marzapane.
Sortez l’agneau du moule, en tirant délicatement sur le plastique. Éliminez les éléments qui dépassent à l’aide d’un cure-dent, et laissez reposer la bête au frigo au moins 48 h.
En fonction de la quantité de farine produite, vous aurez plusieurs agneaux à votre disposition, sur lesquels vous pourrez exercer vos talents d’artiste, à l’aide de colorants alimentaires ou de chocolat fondu.
Personnellement, j’ai opté pour trois types d’agneaux : un blanc, recouvert de chocolat blanc et décoré avec du chocolat au lait et aux noisettes, un « nature », saupoudré de sucre glace, et un noir (il y a toujours un mouton noir…) glacé au chocolat noir.
Je sais, ils ne sont pas parfaits comme ceux des maîtres pâtissiers, mais la nature ne s’encombre pas de détails.
En revanche, voici le détail qui tue : le vin avec lequel savourer le marzapane. J’ai un faible pour le Primitivo de Manduria, produit dans les Pouilles, qui atteint les 18°. A boire dans un verre à dessert, donc, pour éviter de rouler sous la table…
Ingrédients pour trois petits agneaux :
500 gr. de farine d’amande
500 gr. de sucre glace
100 gr. d’amandes effilées
100 gr. de farine de maïzena
1 œuf
1 cuillère de fleur d’oranger
1 tasse à café d’eau
PS.: Pour un repas de Pâques complet, alla pugliese ou comme à Bari, retrouvez mes recettes ici :