Vous l’aurez compris, j’aime vivre dans le passé. Je m’intéresse aux vieilles babioles, je passe mon temps à accumuler des livres poussiéreux, et en cuisine je m’obstine à suivre des règles désuètes. J’oblige donc mon entourage à partager mes lubies, en essayant de le convaincre que c’est pour son – votre – bien. Voilà pourquoi je suis parti à la recherche du farro, nom avec lequel en Italie on désigne le Triticum, un céréale proche du blé. Mais pas n’importe lequel.
Il a été le premier froment cultivé, quelque part entre la Turquie et l’Egypte, aux environ du 8.000 avant J.C. Il existe 3 espèces de Triticum, le monococcum, « petit épeautre » ou « engrain », le dicoccum, « moyen épeautre » ou « amidonnier » (celui qu’on cultive en Italie); et le « grand épeautre », ou Triticum spelta, qu’en France un poète (certainement) a nommé « le blé des Gaulois » (je ne sais pas pourquoi puisqu’il a été introduit dans les années 1990…).
La caractéristique principale du Triticum réside dans le fait que la plante pousse sur des terrains arides. En outre, chaque grain est enveloppé de deux pièces foliacées, très riches en silicium, qui le protègent de l’attaque des moisissures. Hélas, son rendement a été jugé trop faible pour l’agriculture industrielle, et d’ailleurs l’épeautre ne réagit pas aux engrais chimiques à base d’azote (alors que dans les épandages, en France, on en a abusé depuis les années 70). Dommage, parce que c’est le froment parmi le moins calorique : 100 gr. équivalent à 340 kcal; et à la différence des autres froments il contient de la méthionine, un acide aminé essentiel qui joue un rôle important dans la synthèse des protéines.
Sur ces bases, on s’attendrait à un plat ultra sophistiqué…et bien non. La recette que je vous propose aurait bien pu figurer dans le menu quotidien des Romains (farro en latin est far, d’où farine), à un détail près, les tomates. Pour le reste, on a de la couenne et de la bas-joue de porc, des aromates, oignon et ail, du fromage pecorino râpé, et de l’huile d’olive.
Mais avant de cuisiner l’épeautre, il faut le faire tremper, pour que les grains puissent absorber l’eau. Le temps de cuisson, d’environ 45 minutes, sera encore plus long si vous sautez cette étape…
A la moitié de la cuisson du farro, ébouillantez la couenne deux minutes, histoire de la rendre plus tendre…
…avant de la couper en lamelles, et de la mélanger avec un peu d’eau de cuisson et aux autres ingrédients du bouillon (qui devra cuire à feu doux au moins vingt minutes). Au cas où ajoutez aussi de l’eau de cuisson de l’épeautre.
Le moment venu, égouttez l’épeautre (en gardant l’eau), et mélangez-le dans une troisième casserole au bouillon. Ce sera plus facile pour faire les portions. Parsemez le tout de pecorino râpé et servez chaud (mais pas trop).
La recette vient du Molise, une région du sud entre les montagnes et collines des Apennins, renommée pour les productions des céréales et des vignes. D’où mon choix pour le vin, autochtone, le Rosso don Luigi (réserve 2008). Il existe depuis le XVIIIe siècle et est obtenu avec des cépages Montepulciano et Tintilia; vinifié en laissant le moût au contact du marc, il vieillit dans des barriques en liège.
Ingrédients pour 4 personnes :
400 gr. d’épeautre (en France, vous trouverez le triticum spelta, dans les magasins bio. Mais il y a aussi le t. dicoccum, du Vaucluse).
couenne de porc (à votre gré)
bas joue de porc (trois-quatre tranches fines)
300 gr. de tomates
aromates (romarin, sauge, basilic, persil, laurier, marjolaine)
1 gousse d’ail, 1 oignon, sel, poivre, huile extra vierge d’olive
fromage pecorino (sarde ou romain) râpé (à volonté)