C’est l’avantage d’avoir une famille nombreuse : quand j’ai besoin d’un conseil pour une recette sicilienne, il suffit de m’adresser à un de mes cousins de l’île. Mais en suivant la mode de la branche palermitaine de la famiglia, je risque de devoir – lors d’un futur voyage – faire acte de pénitence culinaire auprès de celle d’Agrigente. » Un offre que je ne pourrais pas refuser… »
L’objet de la dispute est la caponata, hors-d’oeuvre et/ou secondo piatto à base d’aubergines typique de la Sicile, un peu comme la parmigiana. Le nom remonterait à l’époque de la domination espagnole, lorsque les grands seigneurs banquetaient avec un poisson à la grosse tête, la caponada, autrement dit lampuga (Coryphaena hippurus, en français dorade coryphène).C’est un poisson carnivore pélagique, qui, adulte, peut atteindre (pour les mâles au front bossé) 1,50 mètres et 30 kg. Pêché à la traîne dans les eaux de surface lorsqu’il s’approche des côtes pour pondre en automne, il est connu en Méditerranée depuis bien longtemps (déjà dans la Crète minoenne, on le considérait comme une proie de choix).
Les paysans siciliens ne pouvaient pas se permettre l’achat d’un poisson si rare, qui a néanmoins un petit défaut : sa chair est un peu sèche et nécessite d’une sauce aigre-douce comme garniture. Ils auraient donc substitué le poisson avec ces ingrédients : aubergines, tomates, céleri, olives, oignons, câpres, gros sel, huile extra vierge d’olive et vinaigre blanc (de qualité; en Italie on en utilise beaucoup plus qu’en France). On peut utiliser de l’huile de tournesol pour cuire les aliments, son prix est nettement plus abordable que l’huile d’olives. Ce plat est souvent associé par les Français à la recette de la ratatouille, toutefois les ingrédients sont différents et la caponata est vraiment aigre-douce.
Pour bien commencer, il faut se procurer des aubergines (noires). Coupez-les en gros dés (pas trop gros, quand même).
Ensuite, posez-les en couches dans un bol, mélangées avec du gros sel. Laissez-les égoutter au moins une demi-heure, pour enlever leur amertume. Après quoi, lavez-les sous l’eau courante, et séchez-les avec du sopalin.
Entre temps, coupez en petits morceaux le céleri, et mettez-le à bouillir dans de l’eau frémissante pendant cinq minutes, avant de l’égoutter.
Préparez des olives vertes, des câpres (une poignée par personne, à dessaler), et deux oignons (avant de les couper, mettez-les dans l’eau une dizaine de minutes, cela vous évitera de pleurer au moment de les couper en fines rondelles).
Et bien sûr n’oubliez pas les tomates. Normalement on utilise du coulis, mais au début d’été les tomates fraîches siciliennes sont excellentes, alors j’ai fait un petit mélange…
Faites frire les oignons dans un peu d’huile, et ajoutez les olives, les câpres, les tomates, avec un pincée de sel. Laissez mijoter à feu doux pendant une vingtaine de minutes.
Vers la fin de la cuisson de la sauce, mettez les aubergines à frire dans une autre poêle à feu doux. Dès qu’elles commencent à dorer, ajoutez d’abord le céleri…
et finalement un peu de vinaigre (attention à ne pas exagérer. Cela risque de tout gâcher). Touillez à l’aide d’une cuillère en bois, couvrez, et attendez que l’odeur de vinaigre ait disparu. Alors la caponata sera prête pour être servie. Chaude, tout de suite, ou froide, le lendemain.
Il existe de nombreuses variantes à cette recette. A Palerme, on y ajoute parfois des feuilles de basilic, des pignons et des amandes torréfiées et râpées. A Agrigente, la recette prévoit outre les ingrédients de base des petits poivrons verts, des carottes, des concombres, du miel, et du piment. A Catane, on y met des poivrons rouges et jaunes. Enfin à Messine on utilise des tomates pelées à la place du coulis, de sorte que les goûts des différents légumes restent plus reconnaissables. Hélas, je ne connais pas les versions des autres provinces siciliennes…
Le choix du vin est chose facile, dans une terre bénie comme la Sicile. Sur un plat aux saveurs relevés comme la caponata, on appréciera un Cerasuolo di Vittoria (dans la province de Ragusa). Le cépage – un mélange de Nero d’Avola et Frappato – est connu depuis le XVIIe siècle, et classé A.O.C. depuis 2005.
Ingrédients pour 4 personnes
3 aubergines noires
3 branches de céleri
100 gr. d’olives vertes
3 poignées de câpres dessalées
20 gr. de sucre
1/3 de verre de vinaigre blanc
3 louches des sauce tomates (voire tomates Pachino)
2 oignons jaunes
Huile extra vierge d’olive (ou de tournesol)
sel