Le temps, ces jours-ci, m’a rendu d’humeur maussade. J’ai décidé de sortir de cette torpeur en me lançant dans une aventure à haut risque : la création d’un gâteau toscan, et plus précisément de Sienne, ville marchande et populaire, de même que noble et hautaine, et, comme le reste de ses consœurs de la région, très fière de son héritage. D’ailleurs, l’un des mot d’esprit que les Toscans se plaisent à répéter, dit à peu près cela : « noialtri, si sta da noi » (« nous autres, on reste entre nous »). Mais je sais qu’ils ne m’en tiendront pas rigueur, si je réussis mon coup. D’autant plus que le gâteau en question est tellement bon, qu’il a gagné tout le reste d’Italie depuis belle lurette.
Parlons donc de la pinolata, torta à base de sucre, farine, oeufs, lait, et bien sûr, pignons de pin. Commençons par le sucre, car contrairement au nom de la recette, le sucre reste son élément principal, les pignons eux sont surtout là pour faire joli. Mais j’ai opté pour le sucre de canne non raffiné, brunâtre, car il est riche en oligo-éléments et en vitamines, il en contient dix fois plus que le sucre blanc. Je n’ai pas trouvé de cassonade, mais j’ai utilisé du doré de canne en souvenir du bon temps et pour faire un clin d’oeil à la tradition…sicilienne.
Et oui. Bien avant qu’Espagnols, Portugais, Anglais et Français n’exploitent la canne à sucre dans les Caraïbes grâce aux esclaves africains, la ‘cannamele’ (miel de canne) était cultivée sur les côtes aux alentours de Palerme ! On va y revenir. Mais faisons d’abord un petit rappel historique, utile pour expliquer la complexité de la cuisine italienne. La canne à sucre était connue depuis la nuit de temps dans les îles polynésiennes. De là, elle fut implantée en Chine et en Inde, et ensuite en Perse. Elle parvint ainsi jusqu’aux Grecs et aux Romains : un médecin du Ier siècle après J.C., Dioscoride, la décrivait dans son traité Περὶ ὕλης ἰατρικῆς (Peri hulês iatrikês), « À propos de la matière médicale », comme une sorte de miel solide qu’on pouvait trouver sur les cannes en Inde et en Arabie (II, 104), et qu’il appelait σάκχαρον (saccaron=sucre)…
Mais ce sont les Arabes qui importèrent la canne à sucre en Méditerranée au IXe siècle de notre ère, en Egypte, en Espagne, et en Sicile, où sa culture fut reprise par les Normands et les Souabes de Frédéric II. « Épice » rare et très coûteuse, le sucre de canne sicilien était vendu comme médicament et édulcorant par les speziali (apothicaires), souvent juifs. Qui étaient nombreux à Sienne, l’une des villes les plus riches d’Italie, favorable à l’empereur germanique… CQFD. Venons-en maintenant aux pignons. Dans l’Antiquité, l’arbre de pin était très exploité : il fournissait la résine utilisée dans la fabrication du vin, et les pignons étaient considérés comme des ingrédients aphrodisiaques (la pigne était un symbole de fertilité masculine), comme l’atteste Ovide dans son Ars Amatoria (L’Art d’aimer; II, 421-4). La tradition, évidemment, fut gardée bien vivante dans le monde chrétien. Et encore à la Renaissance, Bartolomeo Sacchi, dit il Platina, humaniste, écrivain et gastronome, affirmait dans son traité De Honesta Voluptate que les pignons et le raisin sec, parsemés de sucre, stimulaient l’activité sexuelle. Ils étaient consommés par les nobles et le riches, en début et fin des repas.
Avec ces lettres de noblesse, impossible de résister davantage. J’ai donc rassemblé les ingrédients, en ajoutant du citron, pour parfumer la crème à l’intérieur de la tarte.
Mais procédons avec ordre. Il faut d’abord faire réchauffer du lait dans une casserole, à feu doux.
Durant ce temps, fouettez quatre jaunes d’oeuf, et ajoutez ensuite le sucre de canne.
Prenez un moment pour râper l’écorce d’un citron (bio).
Ajoutez doucement le lait tiédi à l’ensemble et fouettez toujours (éventuellement, à l’aide d’un batteur électrique, si vous en avez un). Evitez de créer de grumeaux. Incorporez aussi l’écorce de citron et les grains de raisin sec (les Italiens parlent d’uvetta di Corinto – grecque. Les Français, de raisin de Smyrne – turque. Ne vous inquiétez pas, c’est la même chose).
Mettez la crème à nouveau dans la casserole, à feu doux, en la tamisant à l’aide d’une passoire. Utilisez encore le batteur. Attendez qu’elle soit arrivée à une légère ébullition.
Une fois que la crème est devenue compact, mettez-la sur une feuille de papier à four, à l’intérieur d’un moule à tarte d’environ 28 cm de diamètre. Recouvrez le tout avec du film alimentaire, et laissez refroidir à température ambiante.
Passons maintenant à la pâte à tarte. Dans un bol, mélangez le beurre, le sucre et de la levure. Vous pouvez utiliser soit de la levure chimique en sachet, soit, comme moi, de la levure de boulanger. Fouettez avec un batteur. Ajoutez un jaune d’oeuf, et puis un oeuf entier. Puis la farine tamisée.
Une fois que l’ensemble est homogène, sortez-le du bol, et pétrissez-le à la main, de façon à créer un petit carré de pâte. Couvrez-le avec du film alimentaire et laissez-le reposer au moins une heure au réfrigérateur.
Après cela, étalez-la à l’aide d’un rouleau à pâtisserie. Elle devra être fine (environ un demi centimètre), mais élastique. Après quoi, divisez-la en deux parties égales qui formeront le dessus et le dessous de la tarte (qui est en fait une tourte).
Reprenez la crème. Sortez-la du plat dans lequel elle a reposé avec le papier, et mettez-la de côté. Déposez dans le même plat une autre feuille, posez-y la première partie de la pâte (le fond de tarte), et étalez-la à l’aide de vos mains. A présent, posez sur elle la crème. Normalement, elle devrait glisser facilement du papier sulfurisé. Façonnez-la à l’aide d’une spatule. Refermez la tourte avec l’autre portion de pâte. Scellez soigneusement les bords.
Une fois terminée cette opération, mettez dans une coupelle un jaune d’oeuf et un peu de lait, et fouettez l’ensemble avec une fourchette. Passez cette préparation avec un pinceau mouillé sur l’ensemble de la surface de la tarte.
Et maintenant place aux pignons ! Disposez-les sur la surface à votre guise, et saupoudrez le tout avec du sucre glace.
Mettez la tarte au four, chauffé à 165°C, pendant 35 minutes. Le résultat le voici.
Pour la déguster, attendez qu’elle ait refroidi, ou même patientez jusqu’au lendemain. Au frais, elle peut être gardée jusqu’à trois jours.
Pour un gâteau de Sienne, je conseille bien sûr un vin santo de la région. Il est réalisé avec deux types de raisin : le Trebbiano et le Malvasia. Il existe de nombreuses théories sur son origine, toutes conviennent que c’était un vin utilisé pendant les messes. D’où son nom : ‘vin saint’…
Ingrédients pour 8 personnes :
pour la crème =
4 jaunes d’oeuf, 50 gr. de farine (pour les gâteaux), 100 gr. de sucre de canne, 500 ml. de lait, 1 citron, 60 gr. de raisins secs
pour la pâte =
1 oeuf entier et 1 jaune, 100 de sucre de canne, 250 gr. de farine (pour les gâteaux), 100 gr. de beurre, 10 gr. de levure de boulanger.
pour la garniture = 60 gr. de pignons, 1 jaune d’oeuf, 10 dl. de lait frais, sucre glace