C’est une histoire qui naît dans les eaux de la mer Tyrrhénienne. Une histoire de voiliers, de longs voyages, et d’une cuisine de marins qui, au fur et à mesure, s’est adaptée à l’arrière-pays. Mais pas n’importe lequel, m’sieurs dames. Ici on met à l’honneur Pise, l’un des joyaux des la couronne; fameuse dans le monde entier, il est vrai, plus pour ses monuments que pour ses plats traditionnels. Il était temps de se rattraper.
Allons donc expliquer ce qu’est le bordatino. Son nom est – apparemment – lié au fait qu’il était préparé à bord des navires avec ce que l’on avait sous la main : de la farine de sarrasin cuite dans un bouillon de poisson, et quelques herbes. Vinrent s’y ajouter les haricots et la farine de maïs, et finalement on remit pied sur terre en y introduisant la gloire de toute la cuisine toscane, le chou noir (Brassica oleracea L. varietà palmifolia).
C’est là que je me suis trouvé en mauvaise posture, puisqu’à Paris il est quasi absent des marchés. La France garde un dédain nobiliaire pour ce légume, utilisé traditionnellement comme fourrage pour les bêtes… Bien évidemment, ici on ne l’appelle pas chou noir, mais chou palmier (c’est plus poétique), plante qui fait partie de celles commercialisées depuis peu sous le nom de « chou kale« , terme vernaculaire dérivé de l’anglais.
Et pour cause ! Aux Etats-Unis, politiciens, célébrités et intellectuels raffinés raffolent de cette plante : ils ont « découvert » qu’elle est riche en antioxydants, sel minéraux, vitamine C, et utile dans la prévention des tumeurs. Sitôt dit, sitôt fait, on trouve du kale même en France (à condition de le commander sur internet, comme moi). Quant au chou noir de Toscane, il reste encore trop plébéien pour les palais français…j’ai donc fait contre mauvaise fortune bon cœur, et je me suis mis aux fourneaux avec ce que j’avais sous la main. En m’attaquant d’abord aux haricots rouges (borlotti en italien).
Achetés bio et secs, ils ont dû tremper dans un bol d’eau pendant une nuit. Le lendemain, je les ai fait bouillir deux bonnes heures avec un cube de bouillon végétal, avant de les égoutter et les passer au mixeur (avec un peu d’huile extra vierge d’olive). Afin d’obtenir une crème assez dense.Venons-en au chou. Il faut lui retirer la tige et le couper en morceaux, pour ensuite l’ébouillanter un bon moment. Vous verrez, il est coriace…
Vous aurez le temps de préparer le reste de la recette. Il s’agit de donner une touche de légèreté à la potion. Et pour ce faire, rien de mieux qu’un bouquet de sauge officinale (Salvia officinalis), plante salvifique bien connue depuis l’Antiquité : « qui a de la sauge dans son jardin, n’a pas besoin de médecin »…
Emincez-la, de même que quelques carottes, oignons, ail, tomates et piment…
Faites frire dans l’huile ail, oignon et piment. Attendez qu’ils soient dorés, ajoutez carottes et tomates, touillez. Parsemez la sauge. Laissez mijoter…
…et versez la crème de haricots. Continuez à touiller, à feu doux, et mettez une poignée de sel fin, du poivre, et un filet d’huile.
Egouttez le chou, et remettez-le à bouillir avec un cube végétal dans un litre et demi d’eau, au moins pendant une heure (le changement d’eau pour les haricots et le chou est conseillé pour éviter les dégâts du météorisme abdominal). Au moment donné, ajoutez la crème d’haricots mélangés avec les aromates. Touillez toujours…
Pour donner du goût à la soupe, vous pouvez comme moi sortir un as de la manche : un bon morceau de guanciale (bas-joue) de porc, coupé en morceaux pour qu’il puisse fondre dans le chaudron…
Et pour donner du corps, le dernier élément, la farine de maïs, est crucial. Touillez bien pour empêcher qu’elle ne solidifie trop rapidement : le bordatino au final c’est une espèce de polenta, un peu plus liquide.
Servez-le chaud, tout de suite, voire le lendemain, mais toujours assaisonné avec un fil d’huile extra vierge d’olive à cru. Bien sûr, il y a plusieurs versions de la recette, comme il y a aussi plusieurs revendications de paternité du bordatino, de Livourne à l’île d’Elbe. Mais comme on dit à Pise, « cencio parla male distraccio » (‘chiffon parle mal de torchon’; pour dire que chacun parle toujours mal de son voisin. Et en Toscane, ce sont des spécialistes…).
Le choix du vin est quelque peu difficile, quand on parle de plats à base de légumes verts. Personnellement j’ai opté pour un rouge de la région de Pise : le Montescudaio A.O.C.G., un cépage Sangiovese 65-85%.
Ingrédients pour 4 personnes :
200 gr. de chou noir (voir chou kale)
150 gr. de farine de maïs
150 gr. de haricots rouges (borlotti)
16 feuilles de sauge
4 gousse d’ail; 1 oignon; deux carottes; 1 piment rouge, quelques tomates cerise
J'ai 55 ans, je viens du Sud de l’Italie, plus précisément de Bari dans les Pouilles, le talon de la botte. Archéologue de formation, je vis à Paris depuis 23 ans. Les plats que je propose font partie de l'histoire de ma famille, ou proviennent de l'héritage sans limites de la tradition italienne. Ce blog est une contribution d'amateur « éclairé » à tous ceux qui s'intéressent à la culture, à la cuisine et à l’histoire du Bel Paese. Donc si vous voulez, suivez U Mast, qui dans le dialecte de ma ville natale signifie le Maître...
I am 55 years old, Italian from the South, more precisely from Bari in Apulia, the heel of the boot. A former archaeologist, I have been living in Paris for 23 years. The dishes I propose are part of my family's history, or come from the limitless heritage of Italian tradition. In short, mine is an amateur contribution to all those who are interested in Culture and Cuisine of the Bel Paese. So if you want, follow U Mast, which in the dialect of my hometown, means the Master...
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