La tradition, en cuisine, a du bon, mais le hasard aussi fait bien les choses. Qu’en serait-il des grandes recettes, si quelqu’un n’avait pas décidé, un jour, d’expérimenter ? Voici un cas d’école pour le prouver : le vitello tonnato, un plat de viande du Piémont, région montagneuse, que prévoit l’utilisation de boeuf…d’anchois et de thon. Mais comment est-ce possible? Et bien, tout d’abord il faut dire que – côté nature – pour les montagnards avoir du sel sous la main a été toujours un problème. Côté histoire, entre le XVIIe et le XVIIIe siècle, presque tout le nord de l’Italie était le champ de bataille de deux puissances étrangères, l’Espagne et la France (puis il y aura l’Autriche…). Par conséquent, il y avait peu de tout, et tout coûtait très cher. Alors, des marchands commencèrent à faire de la contrebande. Ils marchaient des jours entiers pour arriver à la mer ligurienne pour acheter du sel. Et ils le cachaient au retour sous des anchois ou du thon.
Et un beau matin, quelque part entre Cuneo et Asti, dans les Langhe brumeuses du Pièmont, quelqu’un a décidé de joindre la mer et la montagne dans une seule recette. Il est resté inconnu, mais grâce à un gastronome d’exception, Pellegrino Artusi, et à son oeuvre La scienza in cucina e l’arte di mangiar bene (La Science dans la cuisine et l’art de bien manger), publiée en 1891, la recette est parvenue jusqu’à nous.
Il reste à dire deux mots sur l’élément principal du plat, la chair de boeuf. Les bêtes utilisées sont d’une race locale, la fassona (à cause de l’hypertrophie de ses faisceaux musculaires); employée jadis pour la viande, le lait et les travaux dans les champs. Son aspect est du à des sélections qui débutèrent à la fin du XIXe siècle, et qui firent sa réputation. Mais la globalisation a bien entamé le nombre des fassone, raisons pour laquelle l’association italienne Slow Food, mouvement qui cherche à sensibiliser l’opinion publique à la question de la nourriture, en a fait l’un de produits locaux à protéger.
Comme toujours, il faut adapter la recette italienne à ce que j’ai sous la main à Paris. J’ai trouvé de la gîte, quoi que le paleron aurait été mieux (il correspond au girello italien). Je l’ai laissé tremper dans une marinade de vin blanc, avec un oignon – dans lequel j’ai enfoncé deux clous de girofle -; deux gousses d’ail; un peu d’huile extra vierge d’olive, une branche de céleri (ou un fenouil); une carotte, du romarin et du laurier, sel et poivre; au moins pendant six heures.
Après quoi j’ai filtré la sauce au chinois, en mettant de côté quelques morceaux de carottes et oignons.
J’ai ensuite fait chauffer du bouillon végétal, que j’ai ajouté dans une casserole à la sauce chaude, et à la viande, qui devra être couverte en entier par l’eau, et laissé mijoter une heure et demie.
On aura ansi le temps pour préparer la sauce à base de thon, d’oeufs durs, de filets d’anchois, et de câpres (dessalées).
Le tout devra être émietté, et mélangé avec un peu de bouillon, de l’huile extra vierge d’olive et quelques gouttes de citron…
…avant de le passer dans le robot mixeur.
Une fois la viande cuite, on attendra qu’elle soit tiède (en hiver, froide en été); avant de la couper en fines tranches, que vous pouvez également battre avec un attendrisseur.
Arrosez-les avec du vinaigre balsamique (de Modena, possiblement);
Recouvrez-les avec la sauce au thon, et disposez dessus quelques câpres (dessalées). Ce qui reste du bouillon, vous pourrez le réutiliser pour un risotto…
Comme vin, un Langhe Bianco A.O.C. s’impose, par exemple le Cinerino, produit des raisins des vendanges tardives, dans les terres de Cuneo. Il fermente en barriques pendants sept mois, et un autre mois en bouteille.
Ingrédients pour 4 personnes :
paleron de veau 600 gr.
thon 100 gr.
trois oeufs
1 verre de vin sec
1 branche de céleri (voire fenouil)
ail 2 gousses
1 oignon
6 filets d’anchois
une vingtaine de câpres
4 clous de girofle
romarin, laurier
1 cube végétal
1 tasse à café de vinaigre balsamique
sel, poivre, huile extra vierge d’olive