Connaissez-vous le mérou? C’est l’un des poissons les plus recherchés par les pêcheurs professionnels et les restaurants gastronomiques. Tellement prisé, que plusieurs variétés sont classées rouge sur la liste des animaux en voie d’extinction, quoiqu’il soit présent rarement sur les étals du marché. Mais je peux vous assurer qu’il suffit de voir une fois ses grandes mâchoires et son corps massif, pour comprendre sa réputation.
Mon seul contact avec ce beau prédateur eut lieu au début des années 70, durant des vacances dans les îles ioniennes
grecques. Au dîner, dans un restaurant, j’ai vu moi, petit enfant, des touristes américains d’une taille gigantesque s’affoler à moitié ivres au tour d’un mérou lui aussi énorme, que l’un d’eux avait capturé le matin même. Le patron avait accepté – bon gré mal gré – de le cuisiner au grill, et la bête faisait belle figure sur la table, gisant en majesté. L’odeur envoûtante, et sa grosse tête brune, exerçaient un charme digne d’un enchantement de la magicienne Circé !
Quarante cinq ans après, je me suis retrouvé au marché à Venise face à face avec un mérou, fruit d’un récent arrivage de Sicile. Et là, j’ai décidé de rompre l’enchantement, avec une recette. Mais avant de tenter ma chance, il faut quand même expliquer quelques notions de base sur ce poisson mystérieux et son environnement, afin de l’apprécier à sa juste valeur.
Commençons alors par dire deux mots sur son nom. En français on l’appelle mérou, terme dérivé de l’espagnol mero, introduit au XVIIIe siècle. En italien en revanche on dit cernia, mot qui remonte au latin tardif acernia. Il fait partie de la grande famille des Serranidae (poissons à la nageoire dorsale en forme de dents de scie, du latin serra); à laquelle appartient le sous-groupe des Epinephelinae, qui en grec ancien signifie ‘couvert de nuages’, en référence à la livrée mimétique. Un vrai miracle de camouflage : elle peut changer de couleur et de forme en un clin d’œil grâce aux chromatophores, cellules pigmentaires qui réfléchissent la lumière.
On trouve le mérou des Philippines au Sri Lanka, du Mozambique aux États-Unis, de préférence bien caché sur des fonds rocheux, entre 50 et 200 mètres. Dans les eaux les plus chaudes de la Méditerranée (entre le sud de la Sicile et la Sardaigne) les espèces moins rares sont le noir, le brun, le rouge et le blanc. Ceux qu’on trouve au marché (qui mesurent entre 40 et 80 cm., pour environ 1-3 kilo) sont presque toujours de jeunes femelles, parce que le mérou est un animal hermaphrodite séquentiel, c’est-à-dire que tous les individus naissent femelles et que certains deviendront mâles lorsque ils passeront à l’âge adulte, en grossissant tout leur vie.
Comme tous les prédateurs, il est de nature agressif, et innombrables sont les histoires (surtout dans le Pacifique) de pêcheurs de perles attaqués par des gros mâles. Au-delà du folklore, il faut savoir que le mérou peut vivre plusieurs décennies, ce qui signifie qu’il atteint parfois une taille exceptionnelle. L’écrivain anglais Arthur C. Clarke (celui de 2001 : Odyssée de l’Espace), dans son roman de science-fiction The Deep Range, affirmait que tout ce qui était écrit dans le livre était oeuvre de fantaisie, sauf les dimensions d’un mérou qu’il avait vu en dessous d’une plate-forme pétrolière abandonnée au Sri Lanka, dans les années 50 : six mètres de longueur pour plus d’un mètre de largeur…
Malheureusement personne – sauf quelques biologistes chanceux – peut espérer vivre une telle aventure. En revanche, ce que les communs mortels peuvent – et doivent – faire, est de vérifier le produit qu’ils sont en train d’acheter. Première règle, donc : le poisson doit être entier. Méfiez-vous si on vous propose du filet, sans origine vérifiable sur l’étiquette.
Vous aurez de fortes chances d’acheter, au lieu d’un mérou sauvage de la Méditerranée, un poisson-chat d’eau douce du Vietnam, le pangasius du Mekong. Élevé pas toujours de manière eco-friendly, mais bien souvent bourré d’antibiotiques, d’additifs alimentaires et d’autres produits vétérinaires. Et puisque les pangasii sont élevés dans des filets, tous les déchets et produits utilisés se retrouvent directement dans l’environnement.
Personnellement j’ai opté pour un simple mérou blanc d’1,8 kg (environ 25 euros au kilo), en faisant quand même attention à qu’il ne fut pas décongelé. Examen donc de l’odeur, de l’oeil, de la rigidité du corps et de l’éclat des écailles, bien que post mortem le camouflage disparait très vite. J’ai aussi fait découper le poisson devant mes yeux. Le résultat le voici, prêt à l’emploi…
Pour cette recette, il fait également : une gousse d’ail, une orange sanguine de Sicile, un citron, un poivron, des pistaches salés de Sicile, et des amandes effilées, possiblement pas de Californie, moins bonnes de celles de Sicile et des Pouilles, et avec un très haut niveau d’aflatoxine, une toxine élaborée par différents champignons, cancérogène et neurotoxique. En 2007, la CEE élabora une directive pour bloquer les amandes californiennes, jugées dangereuses pour la santé, mais peu après (suite aux manoeuvres de lobbying américaines), la même communauté européenne augmenta le taux de tolérance de la toxicité (confirmée) du produit. Et puis on dit que les Italiens sont des mafieux…
Mais revenons à la recette. Coupez en fines lamelles le poivron et émincez l’ail. Mettez à chauffer de l’huile extra vierge d’olive dans un poêle, et ajoutez-y poivron et ail. Ajoutez une goutte de vin blanc, et laisser réduire le tout un bon moment.
Entre temps coupez en deux les agrumes, et pressez-les pour récupérer le jus.
Écrasez dans un mortier les pistaches, jusqu’à obtenir une pâte granuleuse.
Dans un plat creux, mettez de l’huile extra vierge d’olive, et les amandes effilées.
Coupez le (ou les) filet de mérou en tranches pas trop fines, et trempez-les dans le mélange huile-amandes, de deux côtés.
Allumez le four, et réglez-le à 200°C. Prenez ensuite un plat à four, du papier sulfurisé, et déposez-y les tranches de poisson, salées et poivrées, parsemées d’aromates. Mettez au four, et laissez cuire pendant une demi-heure.
Entre temps, les poivrons auront réduit. Mettez-les alors dans un robot mixeur, avec le jus d’agrumes, et les pistaches, plus un peu de farine et de beurre, pour bien lier l’amalgame.
Histoire d’obtenir une crème, suffisamment compacte pour rester sur la pointe du couteau sans couler, lorsque vous servirez à table.
L’aigre-doux de la sauce et la douceur de la chair du mérou forment une association divine.
Et pour accompagner un mérou des mères de Sicile, j’ai un vin de choix; lui aussi sicilien : le Chardonnay Planeta, produit sur des terrains argileux dans la commune de Sambuca (province d’Agrigento), à boire toute de suite, ou laisser vieillir entre 8 et 10 ans…
Ingrédients pour 6 personnes :
1 mérous (d’environ 2 kilo), effilé (autrement dit= deux filets)
1 poivron, 1 orange, 1 citron, 1 gousse d’ail
1 demi verre de vin blanc; 1 morceau de beurre
sel, poivre, farine, aromates
1 sachet d’amandes effilées, 1 sachet de pistaches (à écraser)
J'ai 56 ans, je viens du Sud de l’Italie, plus précisément de Bari dans les Pouilles, le talon de la botte. Archéologue de formation, je vis à Paris depuis 23 ans. Les plats que je propose font partie de l'histoire de ma famille, ou proviennent de l'héritage sans limites de la tradition italienne. Ce blog est une contribution d'amateur « éclairé » à tous ceux qui s'intéressent à la culture, à la cuisine et à l’histoire du Bel Paese. Donc si vous voulez, suivez U Mast, qui dans le dialecte de ma ville natale signifie le Maître...
I am 55 years old, Italian from the South, more precisely from Bari in Apulia, the heel of the boot. A former archaeologist, I have been living in Paris for 23 years. The dishes I propose are part of my family's history, or come from the limitless heritage of Italian tradition. In short, mine is an amateur contribution to all those who are interested in Culture and Cuisine of the Bel Paese. So if you want, follow U Mast, which in the dialect of my hometown, means the Master...
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Un commentaire sur “Cernia alle mandorle, pistacchi, agrumi e peperoni (Mérou aux amandes, pistaches, agrumes et poivrons)”
Je suis infiniment triste pour nos amis italiens d’Amatrice et des autres villages qui souffrent.
J’aime vos recettes et bravo pour votre blog, c’est une mine de gastronomie et de culture italienne.
Meilleures pensées.
Je suis infiniment triste pour nos amis italiens d’Amatrice et des autres villages qui souffrent.
J’aime vos recettes et bravo pour votre blog, c’est une mine de gastronomie et de culture italienne.
Meilleures pensées.
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