Le repas du dimanche, à Naples, est sacré. La ville entière, entre treize et seize heures (parce que les napolitains mangent très tard, quand ils le peuvent) se vide. Alors que sur les tables familiales apparaît l’un des fleurons de la cuisine traditionnelle : la « gênoise », un ragoût en association (cela va sans dire) avec des pâtes.
Comme son nom l’indique, la sauce « de Gênes » garde des souvenirs d’influences ‘étrangères’, qui remontent très loin dans le temps. La première attestation d’une « gênoise » est dans le Liber de coquina, un livre des recettes anonyme écrit en latin, au début du XIVe siècle, auprès de la cour du roi (étranger) de Naples, Charles II d’Anjou, sympathiquement appelé le Boîteux…La recette « De Tria Ianuensis » décrit les étapes suivantes : « Ad triam ianuensem, suffrige cipolas cum oleo et mite in aqua bullienti, decoque, et super pone species; et colora et assapora sicut vis. Cum istis potes ponere caseum grattatum vel incisum. Et da quandocumque placet cum caponibus et cum ovis vel quibuscumque carnibus. » En gros il fallait frire des oignons dans l’huile d’olive, et puis faire bouillir les pâtes (appelées tria) dans l’eau. Ensuite on ajoutait des épices, des aromates et du fromage râpé, ainsi que de la viande : chapon, brebis, ou bœuf. Eux aussi bouillis, afin d’être certains qu’ils soient sains et consommables (au Moyen Age, ce n’était pas du luxe).
La référence à Gêne la Superbe est censée, si on songe à l’influence exercée à l’époque par la ville marchande, de la France jusqu’à Byzance, en passant par Naples. Et il est fort probable que l’utilisation des pâtes sèches était pratique courante à bord des navires, durant les longues traversées en Méditerranée. Dans l’Italie du Sud, d’ailleurs, le mot ìtrion est déjà attesté en grec classique, et au VIIème siècle, itrâs est le vendeur de pâtes. Encore de nos jours, à Lecce dans les Pouilles, on dit ciceri e tria pour désigner des pâtes aux pois chiches…
Mais revenons au ragoût du dimanche. Fort de mes nouvelles connaissances en la matière, j’ai donc commandé auprès de mon boucher du gite, un morceau de viande de boeuf qui correspond au stinco italien (et au « gammunciéllo » napolitain), adapté à la cuisson très lente dans une cocotte, à feu doux.
L’autre ingrédient essentiel de la recette, ce sont les oignons. Selon la tradition, il en faut vraiment beaucoup (1 kg pour 6 personnes), de la variété ramata de Montoro, cultivée entre Avellino et Salerne.
Pour compléter le tout, il faut : carottes, céleri, jambon cru, et du saindoux (‘nzogna, en napolitain). C’est le gras du porc, tiré de la colonne vertébrale de l’animal, privé de la couenne et coupé en petits morceaux. Une fois fondu, il est à nouveau solidifié, et utilisé (encore de nos jours) dans certaines recettes traditionnelles.
Commencez par éplucher les oignons, et laissez-les quelques temps dans un bol avec de l’eau froide. Après quoi, passez les avec le jambon, les carottes et le céleri, dans le hachoir.
Ajoutez aussi du persil, du basilic, de la marjolaine et de la noix de muscade, et mettez le tout dans une cocotte, où vous aurez fait fondre le saindoux…
Une fois le hachis doré, ajoutez le morceau de viande, avec quelques gouttes d’huile extra vierge d’olive, et faites cuire pendant quelques heures (entre quatre et cinque).
Ajoutez de la sauce tomate – absente dans la gênoise au moins jusqu’au XVIIème siècle -, mais devenue depuis un élément incontournable de la cuisine du Sud de l’Italie.
Ajoutez enfin un verre de vin blanc sec. Après avoir retourné plusieurs fois la viande de chaque côté, ôtez-la et faites évaporer la sauce. Le ragoût va brunir et se densifier.
Dernière étape, les pâtes. Les puristes du dimanche choisiront sans détour les ‘ziti‘ (les fiancés), mais à Paris il est trop compliqué d’en trouver. J’ai donc opté pour une forme similaire (s’appellent tortiglioni)…
Une fois les pâtes égouttées, il suffira de rajouter une louche de ragoût par assiette…
…avant de terminer avec du fromage (Parmesan, ou pecorino) râpé, une seconde avant de servir à table.
Comme vin il y a deux écoles : soit un blanc sec, soit un rouge. En tout cas, en Campanie, cela n’est pas un problème, il y a de quoi faire. Personnellement j’ai choisi un Taurasi, un rouge A.O.C.G. produit dans la province d’Avellino, composé entièrement de cépage Aglianico.
Ingrédients pour 6 personnes :
1,2 kg de gite de boeuf
1 kg d’oignons
100 gr. de jambon sec
50 gr. de saindoux
2 carottes, 2 branches de céleri
1 verre de poulpe de tomates
1 verre de vin blanc sec
basilic, persil, marjolaine, noix de muscade
sel, poivre, huile extra vierge d’olive
fromage Parmigiano (ou pecorino)
Coucou !
J’adore cette recette, je reviens de Naples ou j’ai pu m’en délecter au cœur joie! D’habitude je ne suis pas fan des plats ou la quantité d’oignon est trop importante, mais avec ce plat c’est complètement différent, ça marche super bien !
C’est vrai que les ziti sont assez difficile à trouver, même en épicerie fine..
Du coup je fais un peu comme vous, je me rabat sur d’autre forme, paccheri ou rigatoni 🙂
J’ai également de coté une petite recette de rraù alla genuvese que j’essaierais de poster si j’en trouve le temps!
Merci beaucoup à vous pour le partage !
Romain
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