Gênes est une ville complexe, pleine de contradictions, à l’image de ses carrugi, le dédale étouffant de ruelles médiévales du centre historique. Je crois que personne ne le dit mieux que Paolo Conte, dans la chanson Genova per noi : « avec ce visage un peu comme ça, cette expression un peu comme ça, que nous avons avant d’aller à Gênes, nous qui ne sommes jamais bien sûrs que cet endroit où nous allons, ne nous avale et nous empêche de revenir, à jamais… »
Si Gênes devait nous avaler… qu’à cela ne tienne, il y a tant de bonnes choses à goûter à Gênes ! La cuisine génoise, complexe, elle aussi, est sublime. Et je ne parle pas seulement des plats servis dans les restaurants, mais de la street food la plus simple. Prenons la fugassa.
Au risque d’en décevoir certains, non, elle n’est pas provençale. L‘influence de Gênes, de la mer ligurienne à Kaffa (Théodosie en Crimée) en passant par Byzance ou la France, était une réalité bien avant que la Maison de Savoie ne cède à la France de Napoleon III Nice et ses alentours, pour le remercier de l’aide « désintéressée » reçue pendant la guerre contre les Autrichiens, en 1860.
Mais trêve de patriotisme culinaire, et place à la recette. Celle-ci, à base de farine, de levure mère, de sucre, de sel, huile extra vierge d’olive bio, et d’oignons, est simplissime. L’essentiel est de bien choisir la farine : en Italie, on utilise la Manitoba (une farine de blé tendre, la plus riche en gluten, ayant une force exceptionnelle, qui requiert des temps de levée très longs). Mais il est difficile d’en trouver à Paris. J’ai donc opté pour la T80 bio, issue d’un tamisage plus poussé que les farines intégrale et complète.
D’abord, j’ai rafraîchi la levure mère avec un peu de farine et d’eau, et ensuite je l’ai laissée trois heures au four, lumière allumée.
Après quoi, j’ai rassemblé les ingrédients, et je les ai mélangés : farine, levure, puis sel, sucre, huile…
J’ai mis le tout dans le robot mixeur et j’ai ajouté de l’eau à fur et à mesure, pendant une dizaine des minutes. La pâte, de consistance très molle, devra reposer dans le four éteint (avec la lumière allumée) pendant six heures.
C’est le moment d’étaler la pâte sur le plat à four, bien huilé, et de verser de l’huile sur la fugassa, à l’aide d’un pinceau.
Deuxième élément : quelques grains de gros sel (pas beaucoup).
Pour terminer : des aromates et quelques morceaux d’oignons. Il existe aussi une version au romarin, aux pommes de terres, aux olives, et il y a surtout la ‘blanche’ sans rien dessus, la préférée des Gênois, qui l’avalent au petit matin dans le café au lait. Façonnez la pâte en y imprimant vos doigts. Laissez lever encore une heure (je sais, c’est très long, mais je peux vous dire que les boulangers attendent bien plus longtemps…).
Par contre, la cuisson sera un affaire vite réglée. Faites chauffer le four à 250°C, et puis introduisez le plat. Après dix minutes, baissez la température à 230°C, et faites cuire encore dix minutes. Vous pouvez aussi allumer le grill 2-3 minutes pour lui donner un peu de craquant.
La fugassa est consommée tant par les touristes, que par les bourgeois ou les ouvriers du port (les fameux camalli). La tradition veut que le rituel soit accompli à 11 h du matin, en compagnie d’un verre de vin blanc, le Val Polcevera Coronata, un A.O.C. des collines liguriennes connu de Stendhal, à base de Vermentino, Bianchetta Genovese et Albarola (seuls ou ensemble, entre 60 et 100%), plus les cépages Pigato, Rollo ou Bosco (entre 0 et 40 %).
Ingrédients :
pour rafraîchir la levure mère = 50 g de levure mère, plus
50 g farine Manitoba (ou T80), et 25 ml d’eau. Pour la pâte de la fugassa =
700 g de farine Manitoba (ou T80 BIO); 400 ml d’eau; 20 g de sel; 20 g de sucre;
20 ml d’huile extra vierge d’olive (ou plus, personnellement je suis « olivore »). A mettre sur le plat à fur et sur la fugassa =
100 ml d’huile extra vierge d’olive; 10 g de gros sel, 1 gros oignon