Toute grande civilisation naît dans un environnement souvent pauvre et hostile, et puis, à mesure qu’elle grandit, gagne en richesse et en puissance, jusqu’à que, au sommet de son raffinement et de sa gloire, elle n’initie sa décadence, dans une sorte de cupio dissolvi, ou si vous préférez, désir d’auto-destruction. Cette loi de la nature s’applique fort bien à la dynastie des Gonzaga, qui fit souche dans la ville de Mantoue.
Édifiée par les Etrusques au beau milieu des plaines fertiles, mais marécageuses, du Pô, Mantoue resta modeste pendant des siècles, jusqu’à ce que les Corradi de Gonzaga n’en prennent le contrôle en 1328, dans les règles de l’art. Ils usurpent le pouvoir en tuant leurs prédécesseurs et obtiennent de l’empereur germanique (moyennant finances) le titre de marquis d’abord, et de ducs ensuite. Ils font alors de Mantoue l’une des plus belles et importantes capitales européennes, laissant leur empreinte dans l’histoire pendant quatre cent ans. La chance bascule vers la fin de la Renaissance, le cupio dissolvi est là. Les tares des Gonzaga – luxe démesuré, avidité, luxure, et faibles capacités militaires – prennent une ampleur incontrôlable. Ainsi, en 1627, la collection d’art privée des ducs (la Celeste Galleria), comparable à celle des Papes et des Medici, est vendue à des prix insignifiants, dans sa quasi totalité, au roi d’Angleterre (gardez cela à l’esprit, la prochaine fois que vous visiterez la National Gallery de Londres). S’ensuivent des dévastations d’armées étrangères, des épidémies, et finalement, l’extinction du duché en 1707.
Cela dit, il ne faut pas croire que le déclin se tint dans la tristesse et les psaumes des pénitents. S’il y a une chose qui n’a jamais manqué à la cour des Gonzaga, c’est la joie de vivre. Et quand on parle d’allegria, bien évidemment, la cuisine n’est jamais loin. Grâce à la fertilité de leurs domaines, les ducs surent conjuguer à table plats aristocratiques et populaires comme nuls autres, de sorte qu’encore de nos jours, il existe bel et bien en Italie une gastronomie ‘gonzaguesque’.
Je vais vous en donner un exemple avec la tarte « sbrisolona« , qui en patois de Mantoue veut dire émiettée. Composée à l’origine de saindoux, de farine de maïs et de noisettes, elle a été réélaborée dans le temps : les noisettes ont été remplacées par des amandes (pelées et entières), mais la tarte a gardé sa patte ‘populaire’, son appareil ‘irrégulier’ malaxé à la main, puis rompu pour être partagé.
La farine utilisée est de deux types : de blé et de maïs…
Le sucre (de canne, bio, comme tout le reste).
Préparez encore deux jaunes d’oeuf…
L’écorce râpée d’un citron…
Une gousse de vanille et du beurre.
Mettez les deux types d’amandes dans le robot mixeur (mais réservez une partie des amandes pelées), pour obtenir une grenaille grossière.
Ensuite, dans un bol, unissez le beurre (ou le saindoux, si vous voulez), avec les amandes.
Continuez avec la farine de mais et de blé (tamisée)…
…sans oublier la quasi totalité du sucre (entre temps, ne cessez pas de malaxer avec les mains).
Et terminez avec l’écorce de citron, la vanille coupée en petits morceaux et les oeufs.
Mélangez le tout rapidement. Beurrez un plat à four aux bords relevés. Après quoi, faites tomber les 2/3 tiers de la préparation dans le plat, en l’émiettant le plus possible. Le fond de la tarte ne devra absolument pas être homogène. Ajoutez le reste des amandes, et mélangez encore. Terminez avec le reste du sucre (et quelques amandes en tout genre). La sbrisolona devra cuire à 160°C pendant environ 45 minutes.
Laissez refroidir, et préparez les parts. Personnellement, j’ai commencé avec une spatule…
…Mais j’ai fini avec mes mains. Vous verrez, le plaisir de briser une tarte parfumée et fragrante.
Pour associer la sbrisolona à un boisson, il y a ceux qui optent pour une grappa (eau de vie de marc de raisin), et il y a ceux qui, comme moi, lui préfèrent un vin de paille typique de l’arrière-pays de Mantoue. Par exemple, le Passito Le Cime, à base de cépages locales Garganega et Moscato giallo, présents dans la région depuis l’Antiquité.
Ingrédients pour 8 personnes :
Farine de blé : 200 gr.
Farine de maïs fine : 200 gr.
Sucre de canne : 200 gr.
Amandes entières : 50 gr.
Amandes pelées : 150 gr.
Saindoux (ou beurre) : 100 gr.
2 jaunes d’oeufs
1 citron
1 gousse de vanille