Je me suis permis un petit plaisir. J’ai commandé en ligne un colis plein de spécialités en provenance de Basilicate, une région – qui m’est très chère – enclavée entre les Pouilles, la Calabre et la Campanie. Inconnue du grand public (italien et étranger), très montagneuse et très pauvre, elle a subi pendant des siècles le sort destiné aux vaincus. Des Romains aux Aragonais, en passant par les Byzantins, les Arabes, les Normands, et les Angevins, tous ont exploité cette terre et ses gens de façon plus ou moins autoritaire, en créant ainsi comme réaction chez les locaux un attachement très aigu aux traditions ancestrales, religieuses et culturelles.
Les derniers à avoir causé des dégâts à long terme dans le tissu social du Sud de l’Italie furent les Savoie de Turin, lorsqu’ils se mirent à la conquête du royaume des Bourbons de Naples, en 1860. La répression militaire et les nombreux massacres du nouveau gouvernement favorisèrent le phénomène du brigandage, conduit principalement par des paysans pauvres et des ex-militaires bourbons, en plus de réfractaires au service militaire, soumis à d’énormes difficultés économiques et sociales. L’une des conséquences les plus graves de cette situation, encore des nos jours, est que la Basilicate, comme toutes les autre régions du Mezzogiorno, héberge une pègre, ici connue sous le nome des Basilischi, certes moins populaire et cinégénique que la mafia ou la camorra, mais quand même dangereusement active, surtout dans le trafic de drogue et d’armes, ainsi que dans les marchés publics…
Cela dit, les produits agroalimentaires et les recettes locales offrent aux aventureux d’étonnantes surprises. Un exemple parmi d’autres, le ragoût à la façon de Potenza, chef-lieu de région. Un nid d’aigle perché à 800 mètres d’altitude, qui n’a pas, de toute évidence, l’opulence de Naples ou Bologne, pour ne citer que le deux capitales (pour le grand public) de la sauce tomate à l’italienne, mais qui a, en revanche, deux arguments de taille pour se distinguer dans la masse : le raifort et le salame pezzente.
Le premier (Armoracia rusticana), est une plante herbacée, étroite parente du chou, du navet, de la moutarde…Originaire de l’Europe de l’Est, on la cultive pour sa racine depuis l’Antiquité, et il est fort probable qu’elle ait été introduite en Basilicate au moment du haut Moyen Age, lorsque les Byzantins tentaient de garder la région sous leur contrôle. Pour trouver une autre terre italienne qui en fait usage, il faut se déplacer à mille kilomètres au nord, dans la ville de Trieste, à la frontière avec le monde slavo-germanique. En bon rital naïf, je croyais pouvoir la dénicher facilement à Paris, ville cosmopolite au centre de l’Europe ! Que nenni. J’ai pu mettre fin à mes vaines pérégrinations seulement grâce au tuyau d’un commerçant alsacien, qui m’a indiqué un magasin bobo de légumes où on en vend la racine, sans même savoir ses utilisations pratiques… L’autre ingrédient surprise du ragoût de Potenza est le salame pezzente (saucisse mendiante), fabriqué traditionnellement en dernier (lors de l’abattage du porc) avec les restes : gras, abats et quelques tranches de poitrine, aromatisé avec plusieurs herbes, et conservé sans nitrates et sulfite, mais dans le saindoux ou l’huile d’olive…
Le ragoût est composé aussi d’autres types de viandes plus nobles : du veau (ou du boeuf), sans os, et du poulet, ou de l’agneau, ou du lapin, selon vos préférences.
La particularité de ce ragoût réside également dans le choix des pâtes. A la différence des Pouilles voisine, on utilise non seulement des orecchiette, mais aussi des ferretti (ou ferricelli), que l’on prépare en les enroulant au tour d’un subtil fil de fer. Les pâtes et les différentes viandes créent pour la fourchette, dans l’imaginaire populaire, un « bouchon », un intoppo en italien, traduit dans le patois de Potenza avec ‘ndruppc’. Je sais, c’est imprononçable. Mieux vaut passer aux fourneaux.
Faites dorer, dans un faitout, de l’huile extra vierge d’olive, une gousse d’ail et un peu d’oignon, ajoutez quelques aromates, les viandes et la saucisse en morceaux. Quand ils auront changé de couleur, versez un verre de vin blanc sec et faites-le évaporer complètement. Versez la sauce tomates (en coulis ou en boîte) .
Râpez du raifort, que l’on appelle ici « la truffe des pauvres », et ajoutez-en à l’envi. Ne craignez rien, le raifort frais n’a rien à avoir avec la moutarde forte ou le wasabi… Faites mijoter le tout environ trois heures (salé et poivré), en ajoutant, de temps à autre, une louche de bouillon végétal. Le moment venu, faites cuire les pâtes…
…et râpez aussi un peu de fromage, possiblement du pecorino doux. Voilà, « vite » fait bien fait, avec encore du raifort en rab, au cas où vous auriez une petite envie de la dernière minute.
Et pour ce qui concerne le vin, là aussi je me suis fait plaisir. J’ai passé commande pour un cépage cultivé à Venosa, à environ 70 km de Potenza, entre la Basilicate et les Pouilles. Il s’agit du très ancien Aglianico del Vulture, un rouge puissant cultivé entre 200 et 700 mètres d’altitude, à la hauteur de ce ragoût.
Ingrédients pour 4 personnes :
200 gr. de pâtes ferricelli, 200 gr. de pâtes orecchiette; 1 racine de raifort, 50 gr. de salame pezzente, 100 gr. de viande de veau (poitrine, collier, épaule), 100 gr. de poitrine de poulet (ou agneau, ou lapin); 1 boîte de tomates, 1 verre de vin blanc sec, 1 oignon, 1 gousse d’ail, aromates, huile extra vierge d’olive, sel, poivre, 1 cube de bouillon végétal.