Je dois l’avouer, je suis un mauvais père. Le dimanche, au lieu de l’amener dans un fast food, j’oblige mon fils à manger des plats à base de pâte à tarte et de pâtes. Fidèle à la cuisine familiale, je m’obstine à lui proposer des recettes traditionnelles, sûr que l’apprentissage du goût passe par ce chemin de croix…Si vous avez les mêmes goûts qu’un enfant de 5 ans, laissez-vous transporter par le timballo, qui loin d’être un étouffe-chrétien, était servi à la table des grands du temps des Bourbons, à Naples, aux XVIIIe et XIXe siècles. De nombreux sites en ligne et de publications retracent l’étymologie du mot et évoquent l’arabe d’Espagne tạbál, lui-même issu de l’arabe طبل, tabl (tambour). Bien. Sauf que le tambour lui même est beaucoup plus ancien de la tradition arabo-andalouse. La photo ici-dessus, tirée d’une mosaïque pompéienne (tiens, près de Naples…) en est un exemple concret. Le joueur au centre a dans ces mains des sortes de gobelets de métal généralement percés au milieu, qu’on appelle cymbale (du grec ancien kýmbalon, puis devenu en latin cymbălum). L’autre, à droite, tape avec sa main sur un autre instrument à percussion, constitué d’un fût en cuivre tendu d’une peau. En grec, c’est un tympanon, en latin tympanum, d’où le mot tympan (comme celui de l’oreille), de la même forme qu’un tambour.
Cette forme était bien adaptée aux délices de la bouche, les Romains l’avaient compris et l’associaient à la cuisson au four de tourtes (pasticci) de pâtes, cuisinées dans des sauces à base de viande ou de légumes, et cuites à l’intérieur d’un carapace en pâte brisée. Les Italiens de l’ère post-classique, étourdis par les invasions barbares, oublièrent les finesses d’antan : ils mélangèrent les deux mots latins des instruments, donnant vie au néologisme taballo…et gardèrent fort heureusement bonne mémoire de cette recette (et de ses nombreuses variantes). Mais c’est finalement la Renaissance qui rendit au pasticcio, cuit dans le tympan/timbale, ses lettres de noblesse.
Bartolomeo Scappi, chef cuisinier de papes et cardinaux, l’affirma haut et fort en 1570 dans son Opera, et son exemple fut vite suivi par d’autres grandes chefs et intellectuels ferrés dans l’art culinaire, à Mantoue, Ferrare, Florence… et en France, qui à cette période renoua des liens historiques avec la péninsule. Tandis qu’au siècle suivant, l’hégémonie culinaire (et culturelle) passa définitivement des cours nobiliaires italiennes au château de Versailles sous la férule de Varenne et Vatel…
Mais revenons à Naples : en 1768, la soeur de Marie-Antoinette, Marie-Caroline d’Autriche, épousa le roi Ferdinand Ier de Bourbon, napolitain de naissance mais hispano-germanique d’origine. Sa majesté la reine emmena dans ses bagages les « monsieurs », de grands chefs cuisiniers que les locaux appelèrent vite monsù, dont les exploits en cuisine créèrent bientôt un mouvement d’émulation dans toute la noblesse napolitaine. En 1773, Vincenzo Corrado, chef cuisinier des princes Imperiali au palais Cellammare, publia Il cuoco galante (le cuisinier galant), traité gastronomique tiré de ses expériences à la tête d’une petite armée de majordomes, de servantes et de pages. Corrado, sorte de Vatel napolitain (mais beaucoup plus serein, et mort centenaire), fut le premier cuisinier à mettre par écrit et à valoriser la cuisine régionale italienne. Et c’est probablement lui qui fixa la recette séculaire du timballo tel qu’on le connait aujourd’hui.
Au début, cela a l’air très facile. Il suffit de hacher les légumes pour le soffritto : un oignon, une branche de celeri et une carotte, dans un peu d’huile extra vierge d’olive.
Une fois qu’ils ont blanchi, on ajoute la viande hachée de porc et de veau, et un verre de vin blanc. C’est le début de la deuxième phase du ragoût : il convient d’y verser de la pulpe de tomates, de saler et poivrer, d’ajouter trois clous de girofle, quelques aromates et de faire cuire au moins quatre heures à feu très doux, en n’oubliant pas d’arroser de temps en temps la préparation de quelques gouttes de bouillon de boeuf, pour qu’elle ne soit pas trop sèche.
Pendant que la sauce réduit, préparez la béchamel, plutôt que de l’acheter toute faite. Mélangez doucement lait, farine, beurre, une pincée de sel et de la noix de muscade. J’ai réussi à la réaliser sans grumeaux ! Je vous assure que même le marquis de Nointel, son inventeur, m’aurait félicité…
Et maintenant, les pâtes. J’ai choisi des paccheri, l’une des formes les plus anciennes utilisées à Naples, aplatie et très large. Leur nom viendrait du grec et signifierait ‘main ouverte’. Dans le patois napolitain d’aujourd’hui, d’ailleurs, le terme paccheri est utilisé pour indiquer des gifles, ou des tapes (plus ou moins bénévoles). Si vous ne trouvez pas de paccheri, utilisez des rigatoni ou des penne. Quoi qu’il en soit, faites-les cuire seulement la moitié du temps marqué par le producteur sur le paquet.
Après les avoir égouttées, mélangez-les au ragoût.
Troisième phase de la recette : la pâte brisée. J’avoue, j’en ai acheté une toute faite et je l’ai mise dans un moule à four en métal (21 cm. de diamètre pour 7 de hauteur).
J’ai ensuite versé une première partie de pâtes en sauce, en faisant attention à disposer chaque pacchero à plat, ou presque…
J’ai parsemé le tout de fromage pecorino de Sardaigne (plus doux que le romain)…
Puis, j’ai ajouté de la scamorza en petits morceaux (mais j’aurais pu utiliser du provolone ou du caciocavallo) et des petits pois. Pour la petite histoire, les Medici de Florence sélectionnèrent une variété naine de pois à la fin du XIVème siècle, et les appelèrent « piselli novelli » (les nouveaux pois). Lorsque Caterina dei Medici épousa Henri II en 1533, les pois italiens furent introduits à la cour française, qui les apprécia immédiatement et les rebaptisa « petit pois ». Voilà voilà, finie la pause détente, retournons au timballo.
On terminera avec une deuxième couche de pâtes et de ragoût…
…avant de mettre quelques louches de béchamel pour sceller le tout.
C’est le moment de refermer le timballo, avec une deuxième feuille de pâte brisée. Les bords doivent être bien fixés à celle du dessous, et un jaune d’oeuf badigeonné à la surface évitera qu’elle ne sèche durant la cuisson.
Certaines recettes proposent de creuser un trou au milieu du timballo, de la même profondeur du moule, pour faciliter la cuisson interne. Personnellement, je me suis limité à réaliser une petite cheminée tout en haut, pour laisser sortir la fumée. Après quoi, j’ai mis au four à 180° C, pendant quarante minutes.
Dernière étape, j’ai enlevé délicatement le moule…
…et j’ai découpé le timballo comme un gâteau.
Il y a d’autres recettes de timballo, notamment une sicilienne, décrite par Tomasi de Lampedusa dans son roman Le Guépard, à base (entre autres) d’abattis de poulet, de champignons et de crème pâtissière ! Mais la primogéniture revient de droit à Naples.
En ce qui concerne le vin, la Campanie figure parmi le meilleures terres pour la viticulture italienne. Sur ce plat, on pourra apprécier un excellent produit de la province d’Avellino, le Taurasi rouge A.O.C.G., à base du très vieux cépage Aglianico.
Ingrédients pour 4 personnes :
pour le ragoût = 150 gr. de viande hachée de porc et de veau, 1 oignon, 1 carotte, 1 branche de celeri; huile extra vierge d’olive, 400 gr. de pulpe de tomates, sel, poivre, 1 verre de vin blanc sec, 1 cube de bouillon de boeuf, 3 clous de girofles, quelques aromates (feuilles de laurier, ou romarin).
pour la béchamel : 400 ml de lait, 40 gr. de beurre, quatre cuillères de farine 45 (tamisée), 1 pincée de noix de muscade, râpée.
pour le timballo : deux disques de pâte brisée, 350 gr. de paccheri (ou autre type de pâtes); 40 gr. de pecorino dolce râpé, 75 gr. de scamorza (ou autre fromage), 100 gr. de petits pois, 1 oeuf.
Merci pour cette recette et l’érudition de votre présentation, qui m’ont rappelé mes vacances napolitaines historiques, et gourmandes.
Avez-vous pensé à publier des ouvrages sur la cuisine européenne et ses origines?
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Merci à vous. Mais je ne suis qu’un amateur passionné, et je pense que la cuisine européenne ce serait une tâche au-dessus de mes forces.
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