Funnateglie di Jelsi (Funnateglie à la molisaine)

moliseokAutant vous le dire tout de suite. Ici on est loin des recettes raffinées. Oubliez les fastes des châteaux, la richesse des cités bourgeoises, ou l’abondance des villes côtières. Ici on est au beau milieu des Apennins du sud, coincés entre les Abruzzes, le Latium, la Campanie et les Pouilles. Ici c’est le Molise, la deuxième région la plus petite d’Italie (après la Vallée d’Aôste) et la plus jeune, puisqu’elle a été rattachée aux Abruzzes jusqu’en 1963. Ce qui ne veut pas dire qu’elle n’existait pas comme entité territoriale.Capture d’écran 2019-10-16 à 11.28.38

Déjà, en 1221, Frédéric II de Suèbe institua la Comté du Molise pour mettre au pas les barons rebelles, s’inscrivant ainsi dans la lignée des grands de l’histoire qui ont essayé de mater les montagnards locaux. De vrais durs à cuire, croyez-moi : ils tinrent tête aux légions de la Rome républicaine pendant un bon moment (comportement qu’à l’époque plus d’un aurait qualifié de suicidaire), puis aux Arabes, aux Lombards, aux Normands, aux Angevins…treglia 1Mais pourquoi tout le monde voulait s’emparer de ces contrées reculées, sujets aux tremblements de terre ? On peut le résumer en un mot : le blé. Les pentes assolées, pas trop raides et riches en eaux, entourées des bois des Apennins, étaient du pain béni pour la culture du froment, et ce depuis l’aube des temps. Dans le Molise, on a gardé jusqu’à nos jours un instrument issu directement du Néolithique, la traglia, ou luge à blé. Le nom même de la région semble être en relation avec le blé. Molise serait l’adaptation en italien du latin mola (moulin), plus le suffixe ensis; et la noble famille qui lui aurait donné son nom, les Moulins, était d’origine normande, propriétaire du castrum Molinis à Mortagne au Perché, arrivée en Italie à la suite de Robert de Hauteville aux alentours du 1045. L’aventure c’est l’aventure, quoi…
capture-decran-2016-10-31-a-09-43-46Dans une terre si particulière, il me fallait trouver une recette à la hauteur. Je crois avoir réussi mon coup avec celle que je vais exécuter aujourd’hui, en provenance de la ville de Jelsi. En la voyant ainsi, genre crèche de Noël, on ne croirait pas qu’elle a été fondée au VIIème siècle par une tribu guerrière d’Avares venus du fin fond de la Bulgarie à la demande des Lombards, alors en guerre avec les Byzantins.avaro Les fiers cavaliers nomades donnèrent au village le nom de Tibiczan, modifié ensuite en Gyptie (comme gypsy en anglais, ou tzigane en français), ou encore Glizza, Gelsi, jusqu’au Jelsi actuel. Mais comme tant d’autres avant ou après eux, ces étrangers oublièrent vite leurs coutumes et succombèrent aux charmes de la cuisine italienne, et en particulier à la saucisse au saindoux !salsiccia sotto sugna Les habitants des Apennins du Sud ont l’habitude de conserver la charcuterie à l’intérieur de bocaux en verre directement dans la graisse de porc. A différence de la conservation sous huile, qui modifie le saveur de la chair, le saindoux confère une tendresse accrue, et maintient une couleur et un goût inaltérés. Sans compter qu’il évite d’ajouter salpêtre, nitrate de potassium et toutes les autres friandises des  industriels… Mais attention ! Pour désigner le saindoux, en Italie, on distingue le strutto de la sugna. Le premier est obtenu en récupérant la graisse au-dessous de la couenne dorsale du porc, pour ensuite la fondre, la filtrer, et la faire refroidir. L’autre est la graisse viscérale prélevée autour des glandes surrénales, elle est plus souple, mais surtout plus pure. C’est cette deuxième qui devrait être utilisée dans cette recette.

Il ne me reste qu’a dire deux mots sur le nom du plat lui-même : funnateglie. Littéralement, c’est le « fond du plat », parce qu’une fois les ingrédients cuits, il faut aller les répêcher au fond de la casserole… Et pour revenir à l’incipit de l’article, c’est carrément un plat paysan, fait avec tout ce qu’on a à portée de main, dans le potager ou les environs : des oeufs, quelques poivrons, des saucisses, un oignon, des tomates juteuses, le saindoux bien nommé, du basilic, un peu de piment rouge et une tranche de scamorza (de Bojano) sur du pain fait maison. Pas très chic, j’en conviens, mais oh que c’est bon…contaSi vous avez survécu à cette longue introduction, vous avez bien mérité la recette. Il faut d’abord faire fondre du saindoux dans une poêle…pour ensuite y ajouter des morceaux de saucisse.p1030368

Laisser dorer, et entre temps hacher l’oignon.tagliare L’ajouter aux saucisses, avec du basilic (je n’en avais pas, alors j’ai mis du persil), un peu de poivre et quelques grains de sel. Vous aurez largement le temps de préparer les poivrons. Il s’agit de les vider et de les couper en fines lamelles.pepe Quant aux tomates, il faut les couper en dés. p1030372Faites fondre à nouveau du saindoux dans une casserole, ajoutez poivrons et tomates. Laissez réduire un moment. Ajoutez à la préparation les saucisses, et laissez cuire à feux doux environ trois quart d’heure. Vous pouvez verser quelques cuillères de pulpe de tomates pour obtenir une sauce plus longue. Le moment venu, ajoutez l’ingrédient final, les oeufs. Attention, sans les casser. p1030375Il ne vous reste qu’à éteindre le feu, et à attendre que les oeufs soient cuits. Juste quelques instants.  p1030378

Puis la tradition veut qu’on recueille à la louche une portion du funnateglieunnamed-1

…pour le servir, bien chaud, dans une assiette (en terre cuite), accompagné de pain et de fromage, pour calmer quelque peu les effets du piment. Le bonheur absolu pour pas grand chose… unnamed-3

Le Molise ne figure pas parmi les grands producteurs de vins pour palais raffinés, mais sachez que les Bourbons de Naples, à la moitié du XVIIIème siècle, avaient créé dans leur Palais de campagne, la Reggia di Caserta, la fameuse Vigna del Ventaglio (Vigne de l’Éventail), dessinée par l’architecte Vanvitelli, où figuraient tous les cépages connus et sélectionnés à l’époque. Parmi eux il y avait le Tintilia du Molise, vin dont le nom dérive de l’espagnol tinto, rouge. C’est le seul A.O.C. autochtone du Molise, récemment tiré des oubliettes de l’histoire post-unitaire italienne. Et c’est d’autant plus intéressant, si l’on songe au fait que à l’époque des Bourbons, la région était la plus viticole du royaume de Deux Siciles. Et que de nos jours, d’un point de vue ampélographique, le Molise est une vraie terre de frontière, où l’on trouve surtout des cépages prestigieux (comme l’Aglianico et le Sangiovese, entre autre), en provenance d’autres régions. Il était temps de renouer avec le vin local !tint
Ingrédients pour 4 personnes : 

4 saucisses (possiblement conservées dans le saindoux), 5-6 tomates, 4 poivrons, 4 oeufs, 1 oignon, 1 piment rouge, Saindoux, basilic, sel, poivre, fromage (provola, ou scamorza), pain

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