Les villes portuaires sont des endroits qui souvent se ressemblent, de leur position géographique, à leur histoire, en passant par leur cuisine… Un exemple qui me vient tout de suite à l’esprit, à cause de mon héritage familial, est la proximité de La Spezia, en Ligurie, et de Tarente, dans les Pouilles. Toutes les deux ont un destin lié – pour le bien comme pour le mal – à la marine militaire, aux chantiers navals et aux activités industrielles portuaires ; elles souffrent l’une comme l’autre de l’exode rural, de la bétonisation sauvage, de la pollution, de la stagnation du secteur tertiaire.
Là où les deux villes divergent, c’est dans leur culture culinaire. Celle de Tarente, fondée à la fin du VIIIe siècle avant J.C. par des marins grecs, est plus liée à la mer, celle de La Spezia, en revanche, à son arrière-pays. Et pour cause. Bien avant sa naissance, la ville la plus importante de cette région était Luna, à seulement 22 km au sud. Fondation romaine d’époque républicaine, elle atteint 50.000 habitants au zénith de son opulente histoire, grâce au commerce du marbre des Alpes apuanes. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle elle fut saccagée en l’année 860 par les Vikings danois (qui l’avaient confondue avec Rome…), puis dévastée un siècle plus tard par les pirates arabes. Luna fut alors abandonnée pour La Spezia, et la cuisine locale se recentra sur les fondamentaux paysans : légumes, graminées, légumineuses.
C’est justement de l’un de ces plats dont je veux vous parler. Il s’agit de la mescciüa, littéralement la « mescolanza » (le mélange), une soupe à base de trois ingrédients – haricots, épeautre, pois chiches – autrefois consommée dans les boui-boui du port par les ouvriers des chantiers (qui venaient des collines alentours). Je sais, vous êtes en train de faire la fine bouche, mais laissez-moi m’attarder quelques instants sur le sujet.
Savourer la mescciüa c’est plonger dans le Moyen Age de la Ligurie, une terre à l’orographie âpre et souvent aride (comme dans les Pouilles), où les légumes secs étaient cultivés et consommés de préférence par les familles pauvres et nombreuses, mais aussi par les élites. Les haricots par exemple figurent déjà dans le Capitulaire De Villis, acte législatif de Charlemagne, qui portait des réformes agricoles.
La variété de haricot que j’ai choisie pour cette recette n’est pas l’une d’aujourd’hui, dérivée du fayot d’Amérique, mais un survivant du passé européen : le haricot cornille, blanc portant une tache noire en son centre, appelé aussi « haricot à l’œil noir », cultivé en Italie bien avant Charlemagne, et qui est désormais un produit de niche de l’agriculture biologique. Son pouvoir nutritionnel est exemplaire : il regorge de protéines, a un index glycémique très bas et contribue à contrôler le cholestérol.
Deuxième ingrédient, l’épeautre, ancêtre du blé.
Et puis les pois chiches, attestés eux aussi dans le texte de Charlemagne.
Pour rendre cette soupe plus savoureuse, vous pouvez ajouter des tomates séchées (qu’il convient de faire tremper dans un bol d’eau tiède), un piment rouge et un morceau de bajoue de porc. Quoi qu’il en soit, les trois types de graines devront tremper une nuit entière dans un bol plein d’eau (un pour chacune). Pour les ramollir, on peut verser une cuillère de bicarbonate de sodium dans l’eau mais point trop n’en faut, car les graines risqueraient de se défaire totalement. Elles devront, quoi qu’il en soit, être cuites séparément avec un cube végétal.
Pour relever le goût, j’ai aussi fait revenir un oignon dans un peu d’huile extra vierge d’olive, avant d’y ajouter l’eau et les pois chiches.
Ajoutez aussi du thym, du romarin, du laurier, de l’origan pendant la cuisson.
Une fois les trois graines cuites, conservez un peu d’eau de cuisson de l’une ou l’autre, et commencez à mélanger les pois chiches avec les haricots.
Et terminez avec l’eau de cuisson. Pas trop, tout de même.
Voilà. La soupe chaude est prête.
L’arrière-pays de La Spezia est bien montagneux, mais il se prête bien à la culture de la vigne, et ce n’est pas un hasard si ce Circvs rouge est produit dans les terres de l’ancienne Luna, l’ancêtre romaine de La Spezia. Il accompagnera divinement ce plat.
Ingrédients pour 4 personnes :
200 g. de pois chiches, 200 g. de haricots, 200 g. d’épeautre, huile extra vierge d’olive, sel, poivre, (au choix) tomates séchées, piment rouge, ail, aromates, bajoue de porc, cubes végétaux.