Bien rentrés des vacances? Etiez-vous par hasard en Italie? Vous êtes-vous régalés de poissons en bord de mer ? Bien, sachez alors qu’il y a des fortes chances que vous ayez mangé des animaux en provenance de pays extraeuropéens, de la Tunisie à la Turquie, des Philippines ou du Golf Persique. La demande du marché est tellement élevée que depuis la fin d’avril, l’Italie, comme l’explique un rapport publié par la New Economic Foundation et le WWF, a épuisé son stock de poissons – surtout les espèces plus prisées, thons, dorades, espadons etc. – , mais aussi de petites sardines, victimes malheureusement de la surpêche et de la pollution.
Il n’y a pas que l’Italie dans cette situation. La France, par exemple, a terminé son stock, l’année dernière, à la fin du mois de mai. Le problème échappe peut-être aux consommateurs, mais la pénurie de poissons donne lieu à des crises diplomatiques. C’est le cas de la querelle qui a opposé la France et l’Italie pour une zone très poissonneuse, entre Ventimiglia et Menton, connue pour la pêche à la crevette (qui se vend 100 euros le kg pendant les fêtes de fin d’année) et à l’espadon.
Un accord à l’amiable, datant de 1892, jamais ratifié, réglait le commerce entre pêcheurs italiens et français, mais… en 2014, le gouvernement français a proposé un nouveau traité – inconnu du grand public – qui stipulait que l’Italie donnait à la France cette fameuse zone de pêche (la « fosse du cimetière ») en échange d’une autre au large de la Corse (beaucoup moins poissonneuse…).
L’accord n’a jamais été ratifié définitivement par l’Italie, mais tandis que les politiciens italiens faisaient preuve de léthargie, les chers cousins agissaient plus vite que l’éclair, en ordonnant aux douanes de donner des amendes salées à tous les Italiens qui pêchaient dans le cimetière. Un pêcheur d’Imperia a décidé tout de même d’intenter un procès, et il a finalement eu gain de cause pour la simple et bonne raison que depuis 2013, Bruxelles a établi le principe de la pêche libre dans toutes les eaux de l’UE. Et que même si chaque Etat peut établir des limitations pour les pays limitrophes, la France n’a jamais songé à les demander. Les professionnels italiens ont donc du attendre trois ans pour avoir gain de cause (avec toutes les séquelles imaginables pour leur activité) !
Je sais, cette introduction est un peu longue, mais il faut comprendre l’ampleur du drame qui est en train de se jouer, ici. En trente ans, l’Italie, malgré ses 8.000 km de côtes, a perdu 33% de ses bateaux de pêche, vieux en moyenne de 35 ans, et 18.000 emplois, dans un secteur qui aujourd’hui fait travailler 27.000 personnes. Et si avec les voisins de palier on arrive, tant bien que mal, à trouver une solution, on ne peut pas dire la même chose avec ceux d’en face. Je fais allusion à l’épineuse question des eaux internationales entre l’Italie et la Tunisie/Libye ou l’Albanie.Depuis 40 ans, l’accord avec les pays du Maghreb est respecté par l’Italie, tandis que la Libye et la Tunisie laissent faire leurs pêcheurs et font la chasse aux pêcheurs italiens. La question est loin d’être théorique, puisque en 2017 des garde-côtes tunisiens ont envoyé quelques rafales de mitrailleuse lourde sur deux chalutiers de Mazzara del Vallo (Sicile), coupables de pêcher en eaux internationales, en renonçant à l’abordage seulement parce qu’un hélicoptère et un navire de la Marine italienne sont intervenus. En septembre 2020, quarante pêcheurs siciliens ont été faits prisonniers par les libyens, qui demandes la libération d’un trafiquant d’êtres humains arrêté par les italiens…
Sur la côte adriatique, même combat : le marché régionale des crevettes, à cause de la surpêche et des importations – le 30 %, vendues après comme locales – est en grosse crise depuis trente ans. Un tiers des entreprises du secteur a mis la clés sur la porte, causant le chômage pour 18.000 personnes. Dans une région comme les Pouilles, où tout de même la pêche équivaut à 1 % du PIB, qui arrive au 3,5 % si on considère toute la filière, implantée presque exclusivement au longue des côtes adriatiques, de Manfredonia en Capitanata, jusqu’au Salento. Sur le port de Molfetta, le nombre de bateaux de pêche est passé de 200 à 50 et beaucoup se sont installés en Albanie. La pêche au thon et à l’espadon est interdite côté italien, autorisée en Albanie et dans les pays de l’ex Yougoslavie. Et leurs produits importés sur le territoire italien…
Le fait est que la UE établit des quotas pour ses Etats membres, mais favorise la vente à bas coût sur nos marchés des poissons en provenance des pays extraeuropéens, où la loi de Bruxelles n’est pas appliquée. Machiavel serait ‘fier’ de ses descendants !
Pour éviter alors de tomber dans le filet chaque fois que vous vous rendez au marché ou dans un restaurant, faites comme moi : surtout en été, limitez-vous à acheter les espèces faussement jugées ‘pauvres’ mais locales, comme le maquereau, un poisson gras vendu à trois fois rien. En Italie, on l’appelle sgombro (ou maccarello). Dans les Pouilles, notamment dans la province de Bari (de Molfetta à Monopoli), on le mange dans toutes les sauces : au four, pané et frit, ou encore froid. Un délice, par des chaleurs excessives, comme c’est souvent la cas dans le Sud de la péninsule du matin jusqu’à l’heure du dîner. Voici comment le préparer. Déjà gratté et vidé, il suffira de le laver sous l’eau courante, avant de le mettre dans un torchon.
Pourquoi ? parce qu’il doit bouillir dans l’eau pendant une dizaine de minutes, et le tissu servira à protéger ses chairs, particulièrement fragiles. Ensuite, en faisant bien attention à ne pas les abîmer, on pourra enlever délicatement la tête, la peau et l’arrête centrale pour extraire les filets.
Pendant que le poisson refroidi, on aura le temps de préparer les ingrédients pour la première marinade : vinaigre de vin blanc balsamique, poivre, sel. Je sais, en France on ne connait pas trop ce genre de vinaigre, mais je peux vous assurer que ça vaut la peine de l’essayer. Pour info, il est obtenu à partir d’une première pression de raisin, filtré et centrifugé, et ensuite mis à vieillir au moins 5 ans dans des barriques de frêne.
Mettez les filets dans un grand plat, faites-les mariner pendant une demi heure…
Ce n’est pas fini. Il faut à présent préparer la deuxième marinade, cette fois à base d’huile extra vierge d’olive, d’ail, et d’aromates (quelques feuilles de menthe et de persil).
Egouttez bien les filets de poisson et posez-les dans une autre assiette, et recouvrez les d’un hachis d’ail et d’aromates.
…et laissez reposer pendant une heure au frais. Normalement les sgombri alla barese sont servis sur un lit de pommes de terre cuites à l’eau et un peu de salade (assaisonnée à votre guise).
Et le voilà prêt à être savouré soit en hors d’oeuvre ou comme secondo piatto, bien froid.
Un vin blanc glacé de la même région? Je dirais aussi de la même province. Voici donc le Gravina bianco A.O.C., cépage cultivé depuis l’Antiquité sur les collines calcaires de l’arrière pays de Bari.
Ingrédients pour 4 personnes :
4 maquereaux, 3 gousse d’ail, 20 cl de vinaigre blanc balsamique, 15 cl d’huile extra vierge d’olive, feuilles de menthe et persil, poivre en graine, sel, pommes de terre à plaisir, salade