Capalbio, dans le sud de la Toscane, est un petit village de deux milles âmes, perché sur les collines, à 200 mètres d’altitude, et à une dizaine de kilomètres de la mer. Il a des atouts de taille pour plaire, quoiqu’en Italie on pourrait tenir le même discours à propos de centaines de villages. Mais Capalbio a la lourde responsabilité d’être, depuis les années 70, la perle du tourisme « radical chic » italien et international. LE lieu pour politiciens, intellectuels, artistes, grands seigneurs et bourgeois de la gauche caviar à la recherche des ‘vraies valeurs’.
Quelques raffinés esthètes d’ailleurs l’ont même rebaptisée la piccola Atene (la petite Athènes, rien que ça). Pendant la saison estivale, on peut y assister au très ennuyeux et très politisé festival du livre (à la page dans le tout petit monde ‘athénien’), y visiter le jardin des Tarots de Niki de Saint Phalle, bondé de français comme le Centre Geroges-Pompidou à Paris un samedi après-midi. On peut boire l’apéro dans un bar cosy trendy cool des campagnes environnantes, ou se rendre en pèlerinage à l’établissement balnéaire L’ultima spiaggia (« la dernière plage »), le buen retiro de l’estabilishment BCBG, qui même par 35°C se promène sur le rivage à manches longues parfaitement repassée et des chaussures de sport d’un blanc immaculé. Imperdable ! Ne vous inquiétez pas. Capalbio est bien plus que ça. D’abord, il faut dire qu’elle fait partie d’une vaste zone géographique comprise entre Livourne en Toscane et Civitavecchia dans le Latium, mieux connue comme la Maremma, du latin maritima – maritime –, ou du castillan marisma – marécage. Les deux mots disent bien la nature de cette côte dans l’Antiquité : un écotone entre terre et eau, maîtrisé tant bien que mal pendant l’époque romaine, mais courant le risque constant de redevenir un marais, avec tous les problèmes que cela comporte : le paludisme a frappé la population locale jusque dans les années 60. Le Caravage est mort, à quelques encablures de là, de cette maladie en 1610. Les Maremmani se sont donc naturellement réfugiés sur les collines, pendant le Haut Moyen Age, ont planté de la vigne et des olivier sur ces terres et fait de l’élevage à proximité du littoral, et ils ont prospéré, nonobstant les razzias des pirates arabes. Le château de Capalbio, propriété des Cisterciens, attesté dès 805, témoigne de cette richesse.
L’appauvrissement de la Maremma commença avec l’expansion de Sienne, qui au XIIIe siècle la transforma en un seul, immense, pâturage privé, soumis à des impôts, grâce auquel elle créa une banque, la première que le monde ait connu : la Monte dei Paschi. Les riches marchands instaurèrent une économie d’exploitation sauvage, avec l’abandon des parcelles agricoles en faveur d’énormes troupeaux des vaches maremmane, habituées à se nourrir de fourrage de médiocre qualité, sur des terres marécageuses, et menées par des bouviers très expérimentés, les butteri (du grec ancien βουτόρος-boutóros, qui pique les bœufs), devenus des symboles de la région.
Durant les siècles suivants, il n’y eut pas grandes changements. Les côtes furent saccagées régulièrement par les Turcs, les pâturages passèrent des mains des Siennois aux Médicis de Florence, au Saint Siège, au Royaume d’Espagne, aux Lorraine d’Autriche…par contre, les paysages furent modifiés selon les envies des nobles locaux, résidant au beau milieu d’énormes propriétés agricoles dans des villas luxueuses, les mêmes qui sont prisées des ‘Athéniens’ d’aujourd’hui…
L’un des effets collatéraux de cette stagnation sociale et économique fut la naissance du brigandage. Une plaie pour les autorités, un mythe pour les pauvres paysans, qui encore dans la Toscane post-unitaire de la fin du XIXe siècle favorisaient les actes d’individus souvent sortis des rangs des butteri. Le plus fameux d’entre eux, Domenico Tiburzi, dit le Dominichino, fut abattu à Capalbio même, et par la volonté des citoyens, enterré dans le cimetière local (à moitié !). Les Maremmani d’aujourd’hui n’ont pas tout à fait oublié ce pan de leur passé. Dans les spectacles équestres – dans le genre de ceux des gardians camarguais – , ils cultivent la légende du bandit au grand coeur, pas trop éloignées des fantaisies post-révolutionnaires des ‘athéniens’…Cette histoire de la Toscane pauvre explique largement sa tradition culinaire, célébrée chaque année dans les sagre (fêtes de villages). Les plats paysans y ont une place de choix, et particulièrement l’acqua cotta (littéralement la bouillie) de Capalbio. Ce potage consommé par les butteri d’antan, en dit long sur la dureté de vie de ces gens. En gros, ce n’est rien d’autre qu’un bouillon dans lequel on fait mijoter quelques légumes verts, des tomates, un piment, une gousse d’ail, des oeufs et des tranches de pain. Le « pane sciapo », pain non salé, (car les paysans ne voulaient pas payer les impôts sur le sel) est aimé par les habitants du centre de l’Italie, mais j’avoue que je le trouve fade, et je n’arrive pas à m’y faire. Mais à part ça, c’est un délice. Essayer pour croire.
Première étape : lavez et émincez l’oignon (blanc ou rouge).
Même opération pour carotte et céleri.
Faites frire dans de l’huile extra vierge d’olives les légumes, et ajoutez des tomates fraîches, plus le piment.
Ajoutez l’eau, salez, poivrez, et laissez mijoter à feu doux pendant au moins une heure.
Entre temps, préparez les aromates qui viendront parfumer le bouillon.
Et aussi un peu de concentré de tomates, si on est coincés à Paris…
Vers la fin de la cuisson (la soupe doit réduire de façon considérable), mettez de coté les oeufs, et grillez les tranches de pain.
Cassez les oeufs et ajoutez-les (sans les abimer) dans l’acqua cotta. Attendez quelques minutes.
Posez la tranche de pain grillé au fond du plat, puis versez une louche de bouillon, parsemez de fromage pecorino (de Toscane) râpé, et déposez l’oeuf par dessus.
Voilà, le jeux sont faits. Pour le vin, on ira pas chercher très loin. Un Ansonica Costa dell’Argentario A.O.C. blanc, cultivé depuis cinq siècles sur les côtes de la Maremma, dans la province de Grosseto, fera l’affaire.
Ingrédients pour 4 personnes :
1 litre d’eau, 1 oignon, 1 gousse d’ail, 1 piment, 2 carottes, 2 branches de céleri, quelques tomates, 1 boîte de concentré de tomates, 4 œufs, 4 tranches de pain (sans sel), 100 gr. de fromage pecorino, des aromates, poivre, sel, huile extra vierge d’olives.