Stufato al latte alla ravennate (Boeuf au lait à l’étouffée, à la façon de Ravenna)

Quand on parle de la région Émilie-Romagne, on a tendance à croire qu’elle soit une seule entité. Et bien, d’un point de vue administratif, elle l’est. Mais d’un point de vue historique, culturel, linguistique, et même culinaire, pas vraiment. Pour faire bref, l’Émilie, dans laquelle on compte les villes de Bologne, Parme et Modène, est née le long du tracé de la Via Aemilia, qui reliait Rimini à Plaisance à partir du IIème siècle av. JC. Plutôt collinaire et boisée, à l’origine elle fut peuplée par des Etrusques et des Gaulois, puis par les Romains et ensuite par la population germanique des Langobardi (lombards). En passant par l’époque des communes et de signorie, son histoire se lia, jusqu’au 1859, au sort de l’Italie du nord.

Quant à la Romagna (qui ne s’appelait pas encore ainsi), elle fut, elle aussi, à l’origine peuplée d’Etrusques et de Gaulois, d’Ombriens et de Picéniens. Ce qui donna lieu à la formation de dialectes très divers. Mais un changement radical intervint avec l’entrée en scène de Rome. L’empereur Auguste ordonna la prolongation de la Via Flaminia jusqu’à Rimini, et la construction, à Ravenne, de la plus grande base navale de la Méditerranée orientale (au port de Classis, à 8 km de la ville). De ce fait, 10.000 légionnaires et marins se déplacèrent avec armes et bagages sur les côtes, pendant que l’arrière-pays – des zones marécageuses et fluviales – fut soumis à une politique d’agriculture massivement utilitaire, visant à nourrir la ruche en uniforme. Cette entité fortement romanisée, appelée regio Flaminia, prit de plus en plus ses distances de l’Aemilia, pour les siècles à venir.

Lorsqu’au VIème siècle les Byzantins prirent la relève, Ravenne était déjà devenue capitale impériale à la place de Rome, et capitale du royaume ostrogoth de Théodoric l’Amale. Le nouveau péril lombard poussa les Byzantins à se centrer sur les côtes et sur les terres de la Flaminia, alors que leurs adversaires s’approprièrent de l’Aemilia. Par conséquent, la région des « Romains » fut nommée Romania, vulgarisée ensuite en Romagna. Entre temps, Ravenne vit son énième heure de gloire comme capitale de l’Exarchat byzantin. 

Mais tout a une fin. En 751, les Lombards conquirent Ravenne, peu de temps avant que les Francs de Pépin le Bref ne la leur reprennent pour la rendre, non pas à l’empereur de Byzance, mais au souverain pontife de Rome avec le reste de la Romagne, qui lia ainsi son destin à celui de l’Etat pontifical, pour plus de mille ans (ahhh la France, fille aînée de l’Eglise…). Mais voyons le bon côté de choses. Autour de Ravenne, les légionnaires avaient planté des immenses pinèdes pour fournir en bois la flotte. Sous le pape, ces bois furent donnés à l’ordre camaldule, qui les protégèrent jusqu’à l’arrivée de Napoléon…Et malgré l’exploitation de ces forêts, on peut, encore de nos jours, admirer les quelque 2.000 hectares, sanctuarisés dans des réserves naturelles. C’est dans cet environnement féerique, entre brouillard, terre, eau et moustiques, qui se développa l’un des fleurons de la cuisine locale, le bœuf de race romagnola.

Le berceau ancestral de ces mastodontes serait l’Ukraine, donc il y a de fortes chances qu’ils soient arrivés en Italie à la suite des nomades barbares, aux alentours du IVème siècle de notre ère. C’est le bovin le plus résistant au climat et aux terrains difficiles parmi les races blanches, excellent pour le labour et la viande. Jusqu’aux années 50, on en comptait quelque 500.000 têtes, de la Vénétie aux Marches. Aujourd’hui elles ne sont plus que 15.000. Les temps changent, et l’agriculture romagnole s’est orientée davantage vers la fruticulture et les productions extensives. Raison de plus pour honorer ce survivant d’un passé glorieux. 

La région toute entière a connu, depuis le Moyen Age, le gouvernement de grandes familles nobles, qui à tour de rôle se partageaient pouvoir et richesses et favorisaient les arts et le mécénat. Ravenne, par exemple, au XIVème siècle était sous la férule des Da Polenta, célèbres pour avoir hébergé Dante Alighieri (qui leur rendit bien la pareille, en chantant dans sa Commedia la tragédie de Francesca, l’héritière de la Maison, tuée parson mari, boiteux, jaloux et cocu…). trad
Plus récemment, sa beauté décadente a attiré des poètes comme George Byron et Oscar Wilde, qui à 24 ans lui dédia le poème Ravenne, vainqueur du prix de poésie de l’université d’Oxford, le Newdigate Prize. Ou encore Gustav Klimt, qui s’inspira des mosaïques byzantines de la ville pour réaliser la décoration de la salle à manger du Palais Stoclet, à Vienne. Pas mal, pour une petite bourgade de province, n’est-ce pas ?


 

Du reste la cuisine de Romagne n’a rien à envier à celle de l’Emilie, trop souvent sous les feux de la rampe, et pour cause. Pendant toute la Renaissance et le Baroque deux écoles de gastronomie se firent concurrence: celle de la cour papale, et celle des signorie émiliennes. Ferrare s’enorgueillissait de la cuisine des chefs Rossetti et Messisbugo; Parme de celle de Vincenzo Cervio, et Bologne des mets concoctés par le Tirelli et le Stefani. Et au XIXème siècle, Forlimpopoli vit naître le père de la cuisine nationale italienne, le critique culinaire Pellegrino Artusi. L’opulence et la prodigalité ont fait la réputation de l’Émilie-Romagne, toujours connue comme la Grassa (« la grasse »).

Allons donc à honorer cette tradition culinaire avec un bon morceau de gîte (ou de morceaux à pot-au-feu), qui devra mijoter longuement dans une casserole pleine de lait. Cela peut paraître étonnant pour la cuisine italienne, mais ici le produits laitiers remplacent l’huile d’olive.

Les autres ingrédients les voici : une branche de céleri, une carotte, un oignon, de la sauce tomate, du lait, et du rhum. 

On commence avec un hachis de légumes.  

Auquel on ajoute des aromates (basilic, persil, laurier)…

…un peu de sauce tomate (dont la Romagne est une grande productrice)…

…un litre de lait et une pincée de sel…

…et deux verres de rhum. Ensuite, on laisse reposer la marinade pendant 6-7 heures. 

La viande et sa marinade doivent ensuite être transférées dans une faitout, pour les faire mijoter entre quatre et cinq heures à feu doux. 

On aura largement le temps pour mettre de côté des cipolline borettane (petits oignons aigre doux), cultivés depuis le XVème siècle entre Reggio d’Émilie et Parme.

Bien. Une fois la cuisson terminée, on mettra dans une assiette la viande, et on passera le fond de cuisson au robot mixeur.

Après quoi, on remettra la sauce ainsi obtenue dans la casserole avec un morceau de beurre. 

On y ajoutera la viande et les petits oignons pour faire encore mijoter le tout à feu doux, le temps que ces oignons ramollissent. 

Le reste est facile, mais il faut agir vite, tant que le stufato est chaud. Il suffira de présenter viande et oignons d’un côté…

…et la sauce de l’autre. 

Personnellement, j’ai aussi ajouté quelques grains de poivre moulu. Vous verrez, c’est un met d’une grande délicatesse.

Le vin pour accompagner ce plat…j’ai opté pour un Sangiovese cultivé entre Forlì et Cesena, bien évidemment en Romagne.sangPrésent dans cette région depuis la fin du XVIème siècle, c’est un cépage qui a grimpé de façon considérable dans l’échelle des valeurs de la viti-oenologie nationale, et aujourd’hui il participe à la production de vins tels que le Brunello de Montalcino, plusieurs Chianti, le Nobile de Montepulciano et d’autre vins de l’Italie centrale.

Ingrédients pour 4 personnes : 600 g. de viande de boeuf, 1 litre de lait, 1 carotte, 1 oignon, 1 branche de céleri, aromates, 2 cuillères de sauce tomates, 2 verres de rhum, 250 gr. de petits oignons en aigre doux, 1 pincée de sel, quelques grains de poivre

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