Panissa vercellese (Panissa à la façon de Vercelli)

Il Bel Paese (le beau pays), l’expression est de Dante et Pétrarque, et s’est installée dans la culture nationale pour parler de l’Italie. En 2015, le ministère de la Culture, pour communiquer sur les événements liés à l’exposition universelle de Milan, créa un portail internet appelé Very Bello : un néologisme qui en a fait rire plus d’uns et qui en dit long sur les clichés véhiculés par la com’ ministérielle, quand il y a tant à faire pour valoriser les territoires.

Prenons la Plaine du Pô, où se situe Verceil (dans le Piémont, entre Turin et Milan), la ville qui a vu naître la recette du jour. Mais avant de causer cuisine, je vais passer pour la Cassandre de service, en vous parlant de l’étroite liaison entre les phénomènes anthropogéniques et les risques de dégradation de l’environnement. Leurs effets ne sont pas toujours évidents, même dans un beau pays comme l’Italie, mais là où les hommes oublient facilement, la terre, elle, garde toujours des traces de blessures qu’on lui a infligées.

D’abord, juste deux mots pour expliquer comment le bassin du Pô est devenu l’une des région naturelles les plus urbanisée et industrialisée d’Europe. A l’origine, il y avait que des forêts dans la basse plaine humide, et des bruyères sur la haute plaine. La nappe phréatique, très perméable, absorbait des Alpes des énormes quantités d’eau, et les transportaient jusqu’à la limite de la plaine humide, où elles remontaient à la surface grâce à des résurgences (les risorgive), exutoires d’écoulements naturels. Un lieu féerique donc, mais qui recelait dans son ventre des ressources minières très importantes.

La pollution s’y est donc installée dès l’Antiquité ! A partir du IV siècle avant J.C. les gaulois, devenus le peuple dominant dans la Vallée du Pô (le Êridanós des grecs, Bodinkòs pour les celto-liguriensPadus des latins), accélérèrent la déforestation pour l’agriculture et ouvrirent des mines. Mais après quelques années, les terrains déboisés ne donnaient plus des récoltes suffisantes (la rotation des cultures et l’utilisation d’engrais nécessitent des connaissances qu’ils n’avaient pas et  beaucoup de travail), d’où la nécessité de couper toujours plus d’arbres pour gagner de nouveaux espaces. L’augmentation de particules fines dans l’atmosphère, lié à la combustion du bois dans la métallurgie et pour le chauffage des maisons, accompagna l’urbanisation.

La pratique de la guerre finit de miner (sans mauvais jeu de mots) la région. Les gaulois affrontèrent avec un certain succès leurs voisins ligures, étrusques et vénètes, mais ils durent s’incliner face à un adversaire bien plus coriace, les peuplades germaniques des cimbres et teutons, des nomades arrivés du fin fond de la Scandinavie.

La situation d’anarchie généralisée ne pouvait pas durer, et c’est finalement un Romain qui y mit fin. Le consul Caius Marius massacra d’abord les Teutons à Aquae Sextiae (Aix en Provence), et puis les Cimbres à Verceil (en Piémont) au cours de la bataille dite des « campi raudii ». Après quoi, les Romains relancèrent l’activité minière et l’agriculture dans la région. Les ossements des quelques 100.000 germains étaient un engrais excellent…

Changement d’époque et de scénario. L’Antiquité tardive et le Haut Moyen Age furent pour l’Italie une période très chaotique : des siècles entiers de famines, de maladies, d’invasions, de guerres. Les terres argileuses de la basse Plaine du Pô étaient devenues pratiquement stériles, ou s’étaient transformées en friches, ou encore en accrues forestières. L’activité humaine était au ralenti, localisée dans quelques centres urbaines, souvent de taille réduite. Il faudra attendre l’Age des Communes au XIIe siècle pour assister à un frémissement. Verceil en est un bon exemple: elle accueille la première université du Piémont et c’est la première ville de la péninsule à abolir le servage, en 1243. Le grand tournant intervient au XVe siècle. Sous l’hégémonie d’abord des Visconti de Milan, et ensuite des Savoie de Turin, le riz est introduit dans la Plaine du Pô. 

En peu de temps, la nouvelle culture, adaptée aux terrains argileux redevenus fertiles, attira des travailleurs pauvres des montagnes. La monoculture devint la règle entre Verceil et Novare. Côté pile, le riz façonna le paysage de cette partie du Piémont, et devint l’un des fondamentaux de la cuisine italienne. Côté face, avec l’avènement des engrais chimiques à base d’azote, très soluble, les nappes phréatiques furent de plus en plus polluées. L’industrie automobile et textile firent le reste. De ce fait, le Piémont est un territoire riche et fragile, aujourd’hui parmi les plus pollués d’Italie concernant l’air, les eaux et les sols. Very bello, n’est pas? 

Mais outre le riz, il y a encore deux ingrédients essentiels dans la recette dont je veux vous parler. Le premier est à base de cochon. Le Piémont concentre 10 % de la production nationale, et à ma grande surprise j’ai découvert qu’on y fabrique encore de nos jours un saucisson traditionnel appelé “salam d’la duja” (saucisson dans le pot). Ici pas de conservateurs, ni de nitrites, ni de nitrates, ni de phosphates !  Que du sel, poivre, ail, du bon vieux saindoux et un peu de vin Barbera ! Le saucisson est conservé dans des bocaux en céramique, le duje bien nommée. Voilà la beauté de l’Italie qui refait surface !

Deuxième ingrédient, les haricots (rouges) nains de Saluggia. Ils sont cultivés près de cette petite bourgade (« la capitale del fagiolo !« ) à 40 km de Verceil depuis le XVe siècle, et sont cueillis à la main, ce qui fait d’eux un produit de niche très prisé. 

(By the way : Saluggia est aussi l’endroit où sont stockés les déchets radioactifs italiens depuis 1984, et ce malgré un risque majeur d’inondations. A 150 mètres du site d’enfouissement, se trouve la nappe phréatique plus importante du Piémont. Very Bello !)

Assez. Parlons de cette recette (enfin !), et appelons-la par son nom : Panissa. Le nom viendrait du panìco, variété pauvre d’une graminée, le millet, utilisé avant l’introduction du riz dans la région. Connu déjà au Néolithique, pendant l’époque romaine le panìco était donné aux légionnaires qui avaient commis des fautes graves, à la place du blé. Et encore de nos jours, il est servi aux perroquets… Ce qui est drôle, c’est qu’il existe une plante invasive de rizières, le giavone, toujours une graminée, connue en Camarque sous le nom de « panisse ». Pour l’extirper, il fallait effectuer un travail manuel très pénible, accompli par le mondine, ouvrières saisonnières. Aujourd’hui, avec la mécanisation du travail, on a du riz de très grande qualité, comme le carnaroli que voici, vieilli un an (mais il aussi celui qui peut être conservé jusqu’à sept ans).

Mais si on ne veut pas rester à jeun, il faut s’activer dès la veille, en faisant tremper les haricots de Saluggia dans un bol, pendant au moins 12 heures (une petite cuillère de bicarbonate alimentaire n’est pas de trop). 

Le lendemain, on égoutte les haricots, et on fait bouillir dans un litre d’eau une ou deux tranches de lard (on peut utiliser aussi de la couenne), plus une cube de bouillon de viande. 

Le moment venu, on ajoute les haricots, et on fait mijoter jusqu’à quand ils soient tendres. 

Quand les haricots seront presque prêts, il faut s’occuper du soffritto. On a besoin d’un verre de vin rouge, possiblement du Barbera, un morceau de salam d’la duja, débarrassé du saindoux, une échalote, et un morceau de lard. 

Dans une poêle, à feu doux, on met de l’huile extra vierge d’olive, l’échalote coupée finement, le saucisson et le lard émiettés.

A coté, dans une casserole, on laisse fondre à feu doux un morceau de beurre, auquel on ajoutera d’abord le riz…

…et puis le contenu de la poêle.

On touillera quelques instant, et puis on versera le verre de vin rouge, pour le faire évaporer. 

…(Toujours en touillant), on ajoutera ensuite, louche après louche, le bouillon chaud de viande de tout à l’heure (sans les haricots et le lard – ou la couenne).

Et vers la fin de la cuisson (environ 18 minutes), on y ajoutera des haricots, avec un peu de poivre et de sel (à moudre). Touillez toujours, pour bien lier l’ensemble. Dans l’absolu, il faudrait avoir une jolie casserole en cuivre émaillée à la main, et si vous l’avez n’hésitez pas. Tradition oblige !

Servez chaud à table, et vous verrez tout de suite qu’il en fallait la peine…

Le vin pour accompagner ce plat, le Barbera, fait partie lui aussi comme la panissa, de la culture « paysanne » piémontaise. Un rouge autrefois considéré comme un cheval de trait, plutôt que de course, originaire du Nizza (italienne) et Monferrato, il a été depuis revalorisé, et aujourd’hui le Barbera A.O.C.G. del Monferrato fait partie d’un paysage viticole protégé par l’UNESCO.Capture d’écran 2019-08-25 à 18.16.20 Ingrédients pour 4 personnes:  

350 g. de riz Carnaroli de Vercelli, 300 g. de haricots de Saluggia, 70 g. de lard (ou de couenne), 1 morceau de salam dla duja, 1,5 litre de bouillon de viande (avec cube alimentaire), 1 échalote, 1 morceau de beurre, huile extra vierge d’olive, poivre, sel.

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