Le coeur vert de la péninsule, niché entre la Toscane, le Latium et les Marches, a un nom : l’Ombrie. Terre riche en montagnes, en fleuves (parmi les plus longs de l’Italie centrale) et en collines (70 % de son territoire), et peu urbanisée : c’est la région à statut ordinaire avec le nombre le plus faible de communes de toute l’Italie, avec une densité de population d’environ 100 habitants par km2 (la moitié de la moyenne nationale) concentrés surtout dans les chef-lieux de province, Pérouse et Terni. Ces qualités l’ont fait découvrir, depuis les années 90, aux gentlemen farmers anglais, un peu las des prix trop élevés du Chiantishire toscan et, de fil en aiguille, aux bobos français aimant la dolce vita, aux Americains charmés par les vieilles pierres à reconvertir en hôtels de luxe, aux Japonais, photographes acharnés de tout ce qu’il y a de beau, et même aux intellectuels italiens fortunés, désireux de se détourner de la plèbe citadine…
Comment ? Vous n’aimez pas la campagne ? Vous pensez qu’à la longue, pour ne pas bayer aux corneilles, il faut des activités moins philosophiques que la contemplation des brins d’herbe ? N’ayez crainte. L’Ombrie abrite de très nombreux événements artistiques, culturels, et gastronomiques : l’Umbria Jazz, l’Eurochocolate et la Sagra musicale à Pérouse, le Festival des Nations à Città di Castello, le Festival des Deux Mondes à Spoleto, le Trasimeno Blues à Castiglione del Lago (et alentours), la Foire de la truffe noire à Norcia, la Fête de Saint François à Assise… on n’a jamais vu autant de manifestations en Italie, merci les subventions 🙂 Et puis l’Ombrie a aussi un passé chargé d’histoire, très mouvementée. C’est un carrefour naturel, et par conséquent elle a été le théâtre de longs affrontements pendant l’Antiquité entre Ombriens, Grecs, Etrusques, Celtes et Romains et, après la parenthèse pacifique de l’empire, entre le Ve et le XIVe siècle de notre ère où elle a été à nouveau dévastée par les invasions barbares, les guerres entre Byzantins, Ostrogoths, Lombards, Francs, la famine, la peste, la lutte à mort entre guelfes et gibelins, et entre les papes et les empereurs germaniques… Des tragédies qui expliquent, peut-être, l’art sublime des peintres de la Renaissance ombrienne (le Pérugin, Pinturicchio, Luca Signorelli, Raphaël) et la ferveur religieuse dans ces contrées.
L’Ombrie en effet a vu naître dans ses collines saint Benoît et sa soeur jumelle Scolastique de Nursie (et l’ordre des bénédictins), saint François d’Assise (et les franciscaines), sainte Rita de Cascia et sainte Claire de Montefalco (de l’ordre des augustins), et toute une foule de saints « mineurs » et d’ordres monastiques plus ou moins connus : mendiants, dominicains, servites de Marie, disciplinés…
…et Todi en tout ça ? On peut dire qu’elle porte avec fierté tout cet héritage. Ancienne fondation ombrienne à la frontière entre les mondes ombrien, étrusque et romain, comme l’indique son nom (Tuter/Tular/Tuder), perchée à 400 mètres d’hauteur sur la vallée du Tibre (dans la province de Pérouse), elle a traversé les époques somnolant et a tout de même eu droit à son lot de faits d’armes, des béats de l’Eglise (Jacopone, poète franciscain), des beautés architectoniques, et de touristes gentrificateurs en quête d’une utopique ville idéale.
Mais sa cuisine, elle, est restée genuina. Je fais référence en particulier aux palombes à la todina, plat traditionnel et identitaire depuis toujours, pour lequel on organise dans la ville et les alentours des sagre (festival). Entre les mois d’août et d’octobre il n’y a pas une rue, ou un restaurant, qui ne porte haut les couleurs de sa recette spéciale (ce qui fait tout le charme de l’Ombrie, et de l’Italie en général…).
Dans la version que j’ai adoptée, j’ai utilisé aussi une autre gloire locale, le jambon cru de Norcia (presque inconnu en France), et d’autres ingrédients qui sont très faciles à repérer sur place (un peu moins à Paris)…… à savoir de la sauge, de l’huile extra vierge d’Ombrie (très légère) et du vin rouge toujours local, et puis, moins compliqué, des câpres, des baies de genièvre, des filets d’anchois et des olives noires…
Faites préparer les pigeons par le boucher. Il faut flamber la peau et les pattes, les parer ainsi que les ailes et le cou, et laisser à l’intérieur le gésier (plus deux feuilles de sauge par pigeon).
Ensuite, j’ai moi-même ficelé et bardé avec deux tranches de jambon chaque bête.
Dans un plat à four destiné à recevoir le jus de cuisson des pigeons, j’ai versé du vin rouge, le reste de jambon en morceaux, une gousse d’ail, de l’huile extra vierge d’olive, des câpres, des clous de girofle, l’écorce d’un citron, quelques branches de romarin, des feuilles de sauge et de laurier, des baies de genièvre, du sel et du poivre moulu……et des olives noires (l’Ombrie est une des terres à huile les plus rentables en Italie).
Quant aux pigeons, je les ai badigeonnés d’huile à l’aide d’un pinceau, et mis en broche dans un four à 180°C pendant trente minutes (traditionnellement, il faudrait les faire cuire sur la braise). En dessous de la broche, j’ai positionné le plat à four.
Une fois ces 30 minutes écoulées, j’ai ajouté des filets d’anchois et deux ou trois cuillères de vinaigre rouge dans le plat à four.
J’ai retiré les gésiers et je les ai eux aussi rajoutés dans le plat à four.
Quant aux pigeons, je les ai déposés dans le plat, pour les cuire encore – à feux doux – une vingtaine de minutes.
Dernière étape : on réserve les pigeons et on passe d’abord au tamis, et puis au robot mixeur, les ingrédients du plat à four (sauf les olives) qui vont former une sorte de pâté.
Pour couronner le tout, on grille des tranches de pain, on les mouille avec un filet d’huile extra vierge……et puis on les tartine avec le pâté.
Les pigeons (bien dorés dehors, mais plus rosés à l’intérieur) doivent maintenant être salés et poivrés, puis coupés en deux à l’aide d’une paire de cisailles (sans la ficelle et le jambon, qu’on gardera de côté).
Dans l’assiette on aura ainsi une tranche de pain couvert de pâté, sur lequel on posera la (première) moitié d’un pigeon, avec des olives et des tomates en garniture. Je vous préviens, les manger avec fourchette et couteau est un vrai exercice zen. En dernier recours, n’hésitez pas à utiliser les mains. C’est crado, mais oh que c’est bon…
Et en ce qui concerne le vin, on a tout ce qu’il faut à portée de main. Notamment le Colli Martani Sangiovese Riserva A.O.C., un rouge produit dans la province de Pérouse, à base de Sangiovese, un cépage à l’histoire plusieurs fois centenaire, qui couvre 11 % de la surface viticole nationale.
Ingrédients pour 4 personnes :
4 pigeons, 9 tranches de jambon cru, 1 demi litre de vin rouge pour cuisiner, 1 demi verre d’huile d’olive, 8 feuilles de sauges, quelques feuilles de laurier, quelques branches de romarin, 4 clous de girofle, l’écorce d’un citron, deux cuillères de vinaigre rouge, 8 filets d’anchois, 4 cuillères à café de câpres et de baies de genièvre, olives noires, tomates, sel, poivre