Le hasard parfois fait bien les choses. Depuis un moment j’avais une idée qui me trottait dans la tête : cuisiner des artichauts « à la juive », c’est-à-dire à la façon de la communauté hébraïque de Rome, l’une de deux manières que l’on a de cuisiner dans la Capitale ces chardons domestiqués. Mais pour le faire il me fallait trouver un artichaut en particulier : sa majesté le cimarolo romanesco !
Chose pas facile, quand on habite à 1.400 km de distance du lieu de production… et puis, soudain, dans un magasin bio vaguement bobo aux alentours du marché d’Aligre, j’en ai déniché en provenance d’Italie, qui avaient tout à fait l’air d’être congénères du bien nommé.
« Quoi, tout ça pour un artichaut ? » Je sais, pour un Français, je suis un vieux rital nostalgique de trois fois rien, mais laissez-moi vous expliquer en quelques mots les raisons de mon entêtement. Avec ses 50 variétés nationales (dotées du label européen Indication Géographique Protégée), l’Italie est le premier pays producteur d’artichauts au monde et la terre d’origine d’au moins 30 % des artichauts du globe. Même si l’Union européenne autorise chaque année, very kindly, l’importation à bas coût de 10.000 tonnes d’artichauts des pays d’Afrique du Nord, qui sont de moindre qualité et qui n’appliquent pas les mêmes normes concernant les pesticides…De ce fait, rien que pour le Latium, qui a pourtant un marché évalué à 18 millions d’euros, on est passé de 800 hectares de culture, à 100 hectares aujourd’hui. Le cimarolo (de cima, pointe en italien) est l’une des variétés plus prisées d’artichaut d’Italie. Il est produit entre janvier et mars, presque exclusivement entre les communes de la province de Latina (sud du Latium), et le littoral nord de Rome (Ladispoli et Cerveteri), et il est l’orgueil – à juste titre – de la communauté juive de Rome, qui depuis des siècles le cuisine de la même façon, selon les règles imposées par la loi religieuse hébraïque, le Casherout, et qui l’exporte même vers Israël.
Jusqu’à aujourd’hui. Selon le quotidien Haaretz, le rabbinat de Jérusalem a jugé que les cimaroli romaneschi sont pleins des vers, impossibles à nettoyer, et donc pas casher. Apparement le « Romanes eunt domus » de La vie de Brian a encore quelques échos en Galilée. Peu importe. Bien que « Géntil », j’ai décidé de reproduire la recette juive romaine, en respectant les règles de Rome…Reprenons alors depuis le début et distinguons les artichauts à la juive de ceux à la romaine.
Les artichauts à la romaine doivent baigner dans de l’eau citronnée, être assaisonnés avec de la menthe hachée répartie parmi les feuilles, et cuits une demi heure à l’étuvée dans une casserole, avec beaucoup d’eau et d’huile d’olive. On les mange comme garniture pour des pâtes, de la viande ou des mozzarelle. En revanche, les artichauts à la juive sont eux aussi baignés dans de l’eau citronnée, mais ils sont frits dans ‘un peu’ d’huile, et pour beaucoup moins de temps, de sorte qu’ils deviennent croquants comme de chips. On les mange donc en hors d’oeuvre, avant des spaghetti all’amatriciana ou de la pasta alla carbonara. De toute façon, les deux recettes exigent qu’on nettoie le coeur de l’artichaut de son foin (ou barbe). Alors, prêts ?
Il faut laisser couler quelques gouttes de citron sur la lame d’un petit couteau, et sur les mains (ainsi ils ne noirciront pas pendant le nettoyage), et puis on enlève les feuilles externes, plus dures, jusqu’à arriver à celles internes, plus tendres et violacées. C’est la capatura (en argot de Rome), qui peut être plus au moins soignée (tout de même il ne faut pas éliminer trop de feuilles…).
Next step : on met les artichauts dans un bol avec de l’eau froide mélangée avec du jus de citron. Posez au-dessus du bol une feuille de sopalin, pour bien maintenir les artichauts sous l’eau.
Après quelques minutes, égouttez les artichauts, puis faites-les sécher et coupez-leur une partie de la tige et du capitule. Ils doivent ressembler à une rose pas encore éclose.
A présent, procédez au nettoyage du coeur. A l’aide d’une petite cuillère (ou d’un canif), éliminez toutes les impuretés et battez l’artichaut, tête en bas, sur le plan de travail, pour qu’il puisse bien s’ouvrir toujours comme une rose.
J’ai aussi ajouté du poivre moulu des deux cotés des feuilles.
Et maintenant, la cuisson. Je n’ai pas de friteuse, hélas. J’ai donc dû faire avec les moyens du bord. Ne vous enquêtez pas : il suffit d’avoir une poêle aux bords relevés et un thermomètre. La première cuisson dans l’huile (qui devra recouvrir la fleur mais pas la tige) durera environ six minutes, à une température pas trop élevée (130°C), pour rendre la cuisson homogène. A la fin de cette première cuisson, posez l’artichaut sur le côté, pour frire aussi la tige.
Retirez les artichauts de la poêle, déposez-les sur un plat recouvert de sopalin, salez et arrosez-les d’un peu de vin blanc glacé. Vous verrez, les feuilles s’ouvriront comme par magie. La deuxième cuisson sera encore plus rapide : faites-les cuire cette fois à 180°C, pendant seulement quatre minutes, avant de les reposer sur du sopalin.
Certaines recettes proposent les artichauts avec leurs tiges, d’autres sans. J’ai opté pour la première solution.
Portez-les à table encore bien chauds, et savourez-les avec les mains. Un délice pour pas grand chose.
Le vin le plus adapté pour cet hors d’oeuvre hors du commun, provient du Sud de Rome, dans le coeur de la Ciociaria. Un blanc des environs de Frosinone, l’Arcadia Coletti Conti, à base des cépages traditionnels comme la Passerina et le Bellone, ou le Trebbiano Giallo, mélangés avec du Fiano, de la Falanghina et du Grechetto.
Ingrédients pour 4 personnes = 4 artichauts de la variété cimarolo (ou mammola) romanesco; 1 citron, du poivre et du sel, huile d’olive (les plus malins vous diront « ce qu’il faut »…en fait, au moins 1/2 litre, voire plus), 1/2 verre d’eau (ou de vin blanc sec). Si vous passez à Rome entre la fin de janvier et le début d’avril, je vous conseille de vous arrêter le temps d’un repas dans le quartier juif et de vous adonner au plaisir de l’artichaut sous toutes ses formes…
Salve
Si Vous vous êtes un vieux rital nostalgique, moi je suis un Stravecchio rital à 50%qui se régale en lisant vos recettes
Merci!
Auguri
Cecco
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Bonjour
Je cherche désespérément ces artichauts mammola, et justement j habite près d Aligre ! Vous avez le nom de ce primeur /épicerie ???
Merci d avance
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C’est le magasin Naturalia de la rue d’Aligre. Mais attention, cela dépend des arrivages. Il est fort possible que cette année il n’y en ait pas.
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