La Vallée d’Aoste est l’une des régions alpines italiennes (du côté franco-suisse). Elle présente de nombreux caractères typiques des montagnes et des frontières : pics abrupts et vallées reculées, population bilingue éparpillée, liens socio-culturels très étroits avec les voisins de palier. Voisins qui dans le passé ont profité de ces liens pour grignoter quelques territoires aux Italiens, souvent de façon définitive (Lugano et le Canton du Tessin pour les Suisses, Nice et la Corse pour les Français). La Vallée d’Aoste, passage obligé vers le Piémont et la plaine du Pô, a failli avoir le même sort. De Charles VIII à Henri II, puis avec Louis XIV et Napoléon Ier (sans oublier son neveu, Napoléon III), jusqu’au général De Gaulle, qui voulait annexer la région toute entière à la fin de la Seconde guerre mondiale, comme réparation de guerre…
La Vallée d’Aoste est, donc, un endroit clé. Les Romains l’avaient bien compris : ils développèrent sous l’empereur Auguste un réseau routier entre Milan et les Gaules avec pour épicentre la ville d’Aoste (Augusta Prætoria Salassorum), qui donna le nom aux territoires conquis. Pendant des siècles, le scénario resta inchangé. Sur les anciennes routes romaines de la Vallée transitèrent les pèlerins et les armées. Et avec la fragmentation du latin, au Moyen Age se créèrent de multiples langues romanes, appartenant au groupe franco-provençal, dont l’arpitan qui est encore couramment parlé dans toute la Vallée d’Aoste.
Pour compléter cette description du particularisme valdôtain, ajoutons aussi l’influence de l’Église évangélique vaudoise, qui se développa entre Lyon et Turin à partir du XIIe siècle, et qui fut persécutée par les royaumes de France et de Savoie à maintes reprises. Il faudra attendre Charles-Albert de Sardaigne en 1848 pour que les communautés vaudoises puissent sortir de leur ghetto alpin aux alentours d’Aoste, et voir reconnus par le roi de Turin des droits civiques et politiques à leur minorité religieuse (et linguistique)…
Vous vous en doutez, même la cuisine ici n’est pas en reste côté particularisme, puisque dans ces jolies vallées, situées entre 600 et 1.800 mètres d’altitude, on ne cultive ni le blé ni l’olivier, et la vigne a du mal à pousser (on va y revenir). Mais pour l’instant concentrons-nous sur les pâturages, et donc sur le bétail (bovin). La race locale autochtone, la rossa pezzata valdostana, est très résistante (les alpages montent jusqu’à 2.500 mètres !), et très prisée tant pour la viande que pour le lait.
D’ailleurs quelque 14 fromages de la région ont un label « dénomination d’origine protégée » (qui correspond à l’appellation d’origine contrôlée française) L’un des plus connus (même au niveau international) est la fontina (produit avec le lait entier cru de la pezzata depuis le XVe siècle)), qu’on utilisera pour la recette du jour.
Les tenaces montagnards cultivent un substitut du froment, une céréale à paille très ancienne, le seigle, adapté aux terres pauvres et froides. Avec sa farine, on fait le pain noir, à la croûte plus dure et aromatique que celle de blé. Il est riche en fibres, pauvre en calories, et possède un indice glycémique très bas.

Avec ces quelques ingrédients, on fait des merveilles, comme la zuppa (seupa en patois, soupe en français) della Valpelline. On la déguste surtout à Noël (et pendant l’hiver en général), et elle tire son nom d’une vallée, la Val Pelline, « à dou po de Aosta » (à deux pas); en fait 12 km de route de la ville d’Aoste. Composée, vous l’aurez compris, entièrement d’ingrédients locaux (ou presque). A savoir, du pain de seigle, du chou frisé, de la fontina, du beurre clarifié, du sel, du poivre, plus du bouillon de viande et un peu de cannelle râpée (certaines recettes ajoutent aussi du lard fondu dans la poêle et des tranches de jambon de porc).

Puis la fontina, à couper en fines lamelles (en enlevant la croûte extérieure).
Et enfin le pain, dont on fera des tranches fines.
Les feuilles (de la moitié) du chou iront dans un faitout, pour y être bouillies un court instant (dans le bouillon de viande).
Après quoi on aura vite fait. Dans un plat à four aux bords relevés, on posera d’abord sur tout le fond des tranches de pain, puis des feuilles de chou égouttées, et ensuite des tranches de fromage.
Salez, poivrez, ajoutez une autre couche de chou et de pain…
…et terminez avec le beurre. Râpez de la cannelle…
…et ajoutez quelques louches de bouillon de viande, qui devra couvrir tous les ingrédients.
Mettez au four pré-chauffé à 180°C, et laissez cuire une demi-heure. Le plat devra être ni trop dur, ni trop aqueux, mais plutôt de la consistance d’un risotto.
Venons finalement au discours du vin local, esquissé plus haut. Vous l’aurez compris, on n’en produit pas beaucoup dans la région (une moyenne de 20.000 hectolitres par an, moins qu’une seule entreprise de niveau national). La vraie particularité du vin valdôtain est le microclimat des vallées, où coule le grand fleuve local, le Dora Baltea.
Comme accompagnement à la soupe, je préconise le Fumin A.O.C., un rouge autochtone et de caractère, mais affiné en barriques de chêne française (ça aurait plu au général De Gaulle).
Ingrédients pour 4 personnes :
1 litre de bouillon de viande, 400 g. de pain de seigle, 200 g. de fontina, la moitié d’un chou frisé, 60 g. de beurre clarifié, sel poivre, cannelle.