Coda di rospo in potacchio alla marchigiana (Lotte en cocotte à la façon des Marches)

En Italie, la région des Marches, pour nous les gens du Sud profond, c’est un peu un avant-goût du Nord, sans pour autant l’être vraiment. Contrairement à nous, habitués depuis des siècles à être le « talon de la botte », dans tous les sens du terme, chez eux c’est un peu toujours la fête (et on les envie). La nature généreuse a fait prospérer toutes ses provinces, bien ancrées dans leurs particularismes (on compte quelque 256 beffrois pour 228 communes)…En effet, loin d’être une entité unique comme d’autres régions, les Marches ont développé une pluralité qu’on perçoit déjà dans son nom, décliné au pluriel. La cuisine est, bien sûr, l’expression à plein titre de cette corne d’abondance, entre collinesplaines, et mer. Ce n’est pas un hasard si dans les Marches plusieurs restaurants figurent au guide Michelin (trois étoiles rien qu’à Mauro Uliassi, à Senigallia). Le secret de leurs créations est, cela va sans dire, lié aux traditions, aux ingrédients, et à l’environnement. La mer, par exemple. L’Adriatique, en général pas très salée, présente à cette latitude des fonds sablonneux à faible profondeur (entre 20 et 200 mètres). Un milieu idéal pour un astucieux chasseur, la baudroie commune, connue par les consommateurs comme la lotte.En italien, on l’appelle rana pescatrice (grenouille pêcheuse) ou coda di rospo (queue de crapaud), quand on la vend sans tête, en raison peut-être de sa gueule, horrible. Sa technique de chasse est impeccable et mortelle. Elle se fond dans le décor avec la bouche grande ouverte et utilise la première épine de la nageoire dorsale, l’illicium (du latin illicere, «amorcer»), une sorte d’hameçon qui possède à son extrémité un leurre et que le poisson déplace devant lui pour attirer ses proies. D’où son nom scientifique, Lophius (piscatorius), du grec λόϕιον, petit panache.La lotte a un cousin qui vit entre 200 et 4.500 mètres, la baudroie abyssale de Johnson, ou diable noir (melanoceto en italien), dont le panache émet même de la lumière, grâce à des bactéries luminescentes. Hélas, à la différence de Nemo et Daisy, les hommes ne rencontrent jamais ce effrayant monstre des abysses. Tout le monde sait en revanche depuis belle lurette que la chair de la lotte commune est délicieuse.

Dans les Marches, on la cuisine au moins depuis le XVIe siècle en potacchio, une déformation dialectale de la langue française qui indique non pas un potage, mais une cocotte en terre cuite où l’animal va cuire lentement. De nos jours, on a substitué les cocottes en terre cuite par des faitouts en fonte ou en acier, et à la place de la braise on a l’induction, mais la façon de préparer le poisson n’a heureusement pas changé.

Le lotte, vendue souvent déjà sans tête, doit être aussi pelée. Vous pouvez confier cette tâche au poissonnier, ou l’accomplir vous-même. C’est chose facile : il suffit d’inciser le poisson sur le dos, sur toute sa longueur, et puis de retirer la peau comme un gant. Mais n’oubliez pas d’éliminer aussi la partie terminale de la queue et la fine membrane interne, transparente, qui enveloppe les tissus.

La particularité de la lotte est qu’elle n’a pas d’arêtes, sauf l’arête centrale.

Ce qui permet d’obtenir facilement deux filets de taille égale. 

L’étape suivante prévoit le partage des filets en morceaux de la taille d’un oeuf. 

Ensuite, on prépare la garniture : quelques gousses d’ail, un piment rouge, du persil, du romarin, et si vous le souhaitez d’autres aromates.

Derniers ingrédients, les tomates. A couper en petits morceaux. 

Puis vient le temps de la cuisson. Dans une poêle au fond anti adhérent, on fait chauffer d’abord de l’huile extra vierge d’olive, puis les aromates…

…les morceaux de lotte, que l’on fait dorer…

…avant d’ajouter un verre de vin blanc sec. Une fois évaporé on poursuit la cuisson un court instant. Attention à ne pas trop laisser mijoter la lotte, faute de quoi vous risquez de vous retrouver avec de la chair caoutchouteuse.

Bien. Une fois l’opération terminée, on retire vite le poisson, et on ajoute à sa place les tomates. Couvrez, et laissez mijoter une bonne dizaine de minutes avec le piment rouge. 

Quand les tomates seront complètement fondues et la sauce bien réduite, ajoutez à nouveau les morceaux de poisson, pour les imprégner de sauce.

Vite fait, bien fait, voilà un plat digne d’un restaurant étoilé. Pas mal, pour une demie heure de travail, eh?

En revanche, pour le vin, j’ai hésité parce que dans les Marches il y a deux écoles de pensée. Il y a ceux qui préfèrent un rouge puissant (comme celui de Monte Conero, à pic sur la mer à deux pas d’Ancone), à cause du piment et des tomates. D’autres optent pour un blanc plus délicat, en raison de la saveur délicate de la lotte. Moi j’ai finalement choisi un blanc A.O.C. : un Verdicchio dei Castelli di Jesi, produit dans les provinces de Macerata et Ancona, sur les collines à une trentaine de km de la mer.

Ingrédients pour deux personnes :

800 g. de lotte ; 400 g. de tomates de taille moyenne, deux gousses d’ail, un piment rouge, un verre de vin blanc sec, romarin, laurier, persil, huile extra vierge d’olive, sel.

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