
Térame est l’une de ces villes dont on n’entend jamais parler aux informations. Dans la région des Abruzzes, elle se classe première pour la qualité de vie. Mais attention, il y a l’envers du décor : la vie y est douce, certes, mais pas si l’on considère le travail, l’environnement, les transports et l’administration publique, sans même parler de la criminalité. Comme dans de nombreux coins d’Italie, la ville est au milieu du gué entre une industrialisation déclinante et l’effacement des modes de vie ancestraux.
Et pourtant… dans un territoire montagneux comme les Abruzzes, la province de Térame, nichée entre le massif imposant du Gran Sasso (parc national) et la côte adriatique (située à seulement 50 km) est une terre bénie pour l’agriculture. La paysannerie y est encore bien vivante. Ses traditions, ancestrales, sont encore calquées sur le rythme des saisons.

Quand vient le printemps, au premier mai, les villages participent à la préparation d’une recette collective très ancienne, le Virtù (les vertus). Il s’agit d’une soupe épaisse de légumes frais, cuits avec des pâtes, de la viande, des légumes secs, et tout un tas d’autres choses. En italien, généralement, une telle soupe est un minestrone, sorte de grand frère de la plus petite minestra. Le mot dérive apparemment du verbe latin ministrare, l’action accomplie par le minister, le serviteur qui s’affolait au tour des tables, pendant les banquets.

Mais l’origine des Virtù se perd dans la nuit des temps, lorsque les peuplades indo -européennes de la péninsule fêtaient l’arrivée du printemps en célébrant la déesse protectrice de la fertilité et de la nature, connue à l’époque gréco-romaine sous le nom de Maia (la nourricière). En son honneur, les prêtres de son mari, le dieu du feu Volcanus, sacrifiaient aux calendes de maius (le 1 mai) une truie gestante pour féconder la terre et favoriser la croissance des végétaux (maius=plus grand…).

De nos jours, on a gardé pratiquement tous les ingrédients de l’Antiquité (on y a simplement ajouté des tomates). Même la cuisson, jusqu’il y a peu de temps, était encore effectuée dans un grand chaudron, au feu de bois (et on imagine bien là l’importance du travail d’équipe).
Reste à comprendre l’origine du mot « vertu ». Nul le connaît. Peut-être que les femmes paysannes, capables de gérer le garde-manger et de produire un plat si copieux à la fin de la mauvaise saison, étaient jugées « vertueuses » (et prêtes au mariage ?). Ou peut-être encore que les vertus sont les produits offerts par la terre. Une seule chose est certaine : à Térame on ne dit pas minestrone !

Il convient d’énumérer les ingrédients, susceptibles de varier dans chaque famille et chaque communauté. Histoire de se mettre en appétit. Soyez donc indulgents si j’en oublie quelques-uns en chemin. Commençons d’abord avec les légumes frais, présents en abondance : des blettes, du chou-fleur, de la laitue, des fèves, des endives, des navets, des petits pois, des artichauts, des asperges, des broccolis, des pommes de terre, des courgettes, des carottes, des épinards, du fenouil… il vaut mieux ébouillanter la veille les légumes les plus coriaces.
On y ajoute des légumes secs, des haricots et des lentilles sèches (des variétés italiennes, j’ai mis celles des Pouilles), qu’il faut faire tremper dès la veille.

Des pois chiches également.

Et aussi de la couenne de porc, avec un os de jambon. Comme disaient les anciens, tout est bon dans le cochon…

Le jour J, les légumes secs et la couenne devront être ébouillantés pendant un bon quart d’heure avant la cuisson principale. En revanche, il suffira de peu (six minutes) pour ébouillanter les petits pois, directement dans leur gousse (ce sera plus facile après les écosser).

Les fèves (déjà écossées) ont besoin d’un peu plus de temps (vingt minutes). Mais pour éviter qu’elles noircissent, il faut ajouter aussi du jus de citron.

Ensuite, place pour les autres légumes frais, à couper en tronçons (ou à éplucher), avant de les mettre dans une (très grande) casserole.

Les asperges, étant donné leur fragilité, doivent être introduites en dernier.

Il y en d’autres, bien plus solides, dont il faut prendre soin…

Mais avant de bouillir, il faut frire. La base des virtù est constituée d’un trito (haché) de légumes frais – fenouil (à Térame ils utilisent le fenouil sauvage, dit annit en patois), carotte et céleri – avec des gras nobles : du lard (ou de la bas joue) et du jambon sec en morceaux, de l’ail et de l’oignon, plus des aromates : clous de girofle, noix de muscade, poivre noir moulu, et sel.

Et ce n’est pas fini ! C’est d’ailleurs là la touche un peu bourgeoise de la recette : on y ajoute de toutes petites paupiettes de viande hachée de veau…

Certains légumes – comme les artichauts, les courgettes et les navets – auront droit au double supplice de l’eau et du feu. D’abord il faut retirer les pieds, et couper en morceaux les coeurs d’artichauts. Ensuite, il faut les laisser une demi heure dans l’eau acidulée avec du jus de citron. Puis, égouttés, les faire sauter dans la poêle en compagnie des courgettes et des navets…

…avec de l’huile extra vierge et du cumin, pour donner davantage de saveur à l’ensemble.

Bien. C’est le moment de tout mettre ensemble. On commence avec l’ail et l’oignon à dorer dans de l’huile d’olive. Puis le haché de tout à l’heure. Touillez, ajoutez un verre de vin blanc, attendez qu’il soit évaporé, et puis…

…ajoutez au fur et mesure tous les légumes frais et secs, les paupiettes, la couenne en morceaux, les aromates (marjolaine, thym, romarin, menthe, sauge, laurier, persil, basilic), un peu d’eau de cuisson, et laissez mijoter une dizaine de minutes. Ajoutez à présent de la sauce tomate, et attendez encore un quart d’heure. Vous pourrez alors vous consacrer au dernier ingrédient…

…les pâtes, sèches et fraîches. Celles de blé dur iront tout de suite dans les virtù pour cuire le temps nécessaire, tandis que pour celles de blé tendre on attendra les dernières minutes.

Le résultat c’est un mix des goûts et de parfums sans nul autre pareil.

Pour accompagner un plat de tradition, il faut un vin blanc du terroir. Le Trebbiano d’Abruzzo A.O.C. est cultivé dans les provinces de Chieti, L’Aquila et Térame. Le même cépage est utilisé en France pour la production de l’Armagnac et du Cognac. Dans les Abruzzes, il est connu au moins depuis l’époque romaine : Pline l’Ancien l’appelait uinum Trebulanum. Sa particularité est due aux conditions climatiques favorables, entre les montagnes et la mer, et aux terrains colinéaires où il pousse, calcaires et argileux.

Ingrédients pour 4 personnes : il faut tenir compte du fait que les légumes frais réduisent en volume, lorsqu’il sont cuits. Mais il ne faut pas exagérer avec les quantités et tenir compte de la taille de la casserole : si vous n’avez pas des gros volumes, mieux vaut se caler sur la photo que j’ai mise en haut: un ou deux pièces, ou quelques poignées (ou 100 g.) de chaque variété : haricots, petits pois, pois chiches, lentilles, fèves, laitue, blette, carottes, endives, chou-fleur, broccolis, pommes de terre, céleri, navets, chicorée (si vous la trouvez), épinards, fenouils, asperges, artichauts, persil, marjolaine, romarin, sauge, thym, menthe, noix de muscade, poivre noir, clous de girofle, oignon, ail ; 250 g. de jambon cru, 100 g. de lard, 100 g. de couenne, un os de jambon, 400 g. de sauce tomate ; 400 g. de pâtes dures et fraîches, huile extra vierge d’olive, vin blanc.