Melanzane al cioccolato della costiera amalfitana(aubergines au chocolat de la Côte amalfitaine)

C’est une vérité irréfutable : la Côte « amalfitaine« , qui serpente pour 40 km entre Salerne et Naples en Campanie, est connue depuis des siècles pour sa beauté à couper le souffle, la diversité de ses paysages, ses villages pittoresques. Déjà la noblesse romaine y possédait des villae somptueuses pour s’y prélasser en oisive tranquillité. Plus de mille ans après, Boccace, l’un des plus grands lettrés de son temps, confirmait les dires de Cicéron et Pline le Jeune. Tout comme les modernes amants du Grand Tour, sir Francis Neville Reid, Richard Wagner, David Herbert Lawrence, ou André Gide…

L’envers du décor c’est que ses virages en épingle à cheveux, creusés à même la roche des falaises, voient passer désormais trop de monde. C’est l’overtourism en cars, voitures, mobylettes, dans les deux sens, non stop, du matin au soir, pendant des mois. Au cours de l’été 2022, le long de la côte ont été enregistrés 13.000 passages quotidiens de véhicules. La nouvelle Travel Bucket List 2023 du Daily Telegraph, parmi les conseils de voyage, suggère désormais de ne pas s’y aventurer, et propose comme alternative la Calabre !

Tout de même, ce serait bien dommage de se priver d’un tel patrimoine, ne serait-ce que l’espace d’un court instant. D’autant plus que une fois attablés pour casser la croûte, vous n’aurez plus aucune intention de vous lever. Les locaux le savent très bien, en bons héritiers des Grecs anciens, ils séduisent les voyageurs avec une malice digne d’Ulysse et de Circé. Et si vous ne me croyez pas, attendez d’avoir goûté leur dessert à base d’aubergines et chocolat. Intrigués ? Je vous promets que c’est un délice.

L’aubergine (melanzana en italien) est connue en Italie depuis le XVIème siècle. Tout commence justement en Campanie, lorsqu’en 1442, Alphonse V, roi d’Aragon, chasse la Maison d’Anjou du Royaume de Naples et s’y installe à sa place. Alphonse tombe vite sous le charme de la Renaissance italienne, et de son coté il y introduit cette jolie plante violette, cultivée en Espagne pour son légume-fruit grâce aux Arabes.

Les pics abrupts de la Costiera amalfitaine accueillaient, depuis le Moyen Age, de nombreux monastères et ermitages, notamment sur le mont Falerzio. Ici, le monachisme ancien et réformé coexistait avec les bénédictins, les basiliens, les clunisiens, les cisterciens et les camaldules de Flore (rien que ça). Tout ce petit monde aimait cultiver un potager et faire la cuisine, donc il est fort probable que les premières expériences (peut-être à l’époque baroque) de gâteau d’aubergines, mélangées à une sauce à base de liqueur, ont été menées quelques part entre Positano et Vietri.

Quoi qu’il en soit, l’association avec le chocolat ne fut pas immédiate. Après les conquistadors, le premier monarque européen qui goûta le cacao (en boisson) fut le roi Philippe II d’Espagne, en 1544, et puis en cascade on l’apprécia à Naples, à la cour des Médicis à Florence, en Angleterre (presqu’en même temps que le café et le thé), et en France, surtout à l’époque du mariage du roi Louis XIV et de l’infante espagnole Marie-Thérèse.

Mais il faudra attendre le XIXème siècle pour que le chimiste néerlandais Coenraad Johannes van Houten découvre (en 1828) un moyen d’obtenir de la poudre de cacao. Par la suite, il mit également au point la presse à cacao, qui permet de séparer le beurre des fèves torréfiées, afin de produire facilement et économiquement de la poudre…à la base de toutes les préparations chocolatées. La tablette de chocolat, elle, est attribuée à l’Anglais Joseph Fry, qui, en 1847, fabriqua une pâte de chocolat moulable en ajoutant du beurre de cacao mélangé à de la poudre de cacao.

C’est ainsi que commença l’ère moderne du chocolat…et que vit le jour notre dessert amalfitain. Mais avant de passer aux fourneaux, sachez qu’il existe une autre recette (étrange elle aussi) qui mélange le chocolat avec des ingrédients hors du commun. Comme ce dessert sicilien, à base chocolat…et de viande.

Bien, retournons sur la Côte. D’abord il faut laver les aubergines et éliminer les deux extrémités (de la variété longue)…

Il faut ensuite les éplucher et les couper en lamelles, dans le sens de la longueur, avec une épaisseur d’environ 0,5 cm. La deuxième étape consiste à les empiler dans un égouttoir, mélangées à du gros sel, pendant une heure et demi, pour évacuer l’amertume typique de ce légume.

On aura ainsi le temps de préparer la sauce. Commençons à écraser en petits morceaux une tablette de chocolat noir à dessert.

Puis il faut faire un sirop, avec de sucre (tamisé) mélangé à de l’eau portée à ébullition. ll faudra cuire le sirop quelques minutes (en le fouettant) sans le faire caraméliser.

Le moment venu, on y ajoutera le chocolat écrasé, en le faisant fondre à feu doux. Une fois l’opération terminée, éteignez le feu et gardez la casserole au chaud.

A présent dans un saladier, il faut mélanger du cacao (tamisé) avec de l’eau froide…

…puis de la farine T45 (tamisée elle aussi), et touiller, touiller, touiller, jusqu’à obtenir une crème dense, sans grumeaux.

Rallumez le feu, ajoutez la crème au sirop de chocolat.

Fouettez toujours, en ajoutant un morceau de beurre, jusqu’à que la sauce soit bien dense (mais pas trop). Laissez reposer le tout dans le four éteint.

Revenons aux aubergines : elles devrons être lavées et séchées, puis trempées dans la farine (tamisée), passées dans l’oeuf battu et frites (dorées légèrement).

Pour cette opération j’ai suivi les conseils de chefs pâtissiers locaux, qui utilisent – tenez vous bien – un mélange d’huile extra vierge d’olive (dans le meilleur des cas) ou de tournesol, et de saindoux ! En Campanie, jusqu’après la Seconde guerre mondiale, le saindoux, beaucoup moins cher que l’huile d’olive, était utilisé partout. Rassurez-vous, l’odeur peut être un peu forte, mais il n’y a aucun conséquence sur le goût.

Avant d’effectuer un deuxième passage dans le mélange huile/saindoux, les tranches d’aubergines devront être saupoudrées d’un mélange de cacao (en poudre), cannelle et écorce de citron (les deux râpées). Déposez-les ensuite sur du sopalin pour le faire sécher.

Et ce n’est pas fini ! Reprenons la sauce au chocolat. Il est temps d’ajouter l’ingrédient surprise, la liqueur des moinillons. Traditionnellement, sur la Côte amalfitaine, on utilise le Concerto, un distillé de plusieurs herbes aromatiques et épices. A Paris, j’ai pu m’appuyer sur un cheval de bataille indémodable, la Chartreuse.

On y est presque ! Dans un plat à four il faut étaler une première couche de sauce au chocolat, et puis une d’aubergines.

Continuons ainsi, en ajoutant des pignons de pin…

…des amandes effilées et du cédrat confit (une autre spécialité d’Amalfi, en plus des citrons)…

…et finalement du raisin de Corinthe.

Voilà voilà, la dessert est prêt. Et je peux vous dire, si vos hôtes arrivent à déceler le goût des aubergines, alors ils sont prêts pour l’épreuve de la chambre noire à Top Chef ! Pour ce qui concerne le vin on n’ira pas chercher trop loin…

Voici un Melizie Passito Fiano Doc 2013 Mastroberardino, vin de paille produit sur les hauteurs d’Avellino, en Irpinia (toujours en Campanie, cela va sans dire).

Ingrédients pour huit personnes : 1,2 kg d’aubergines, 100 g. de cacao amer en poudre, 200 g. de chocolat fondant, 500 g. de sucre, 550 ml d’eau , 50 g. de farine T45, 50 g. de beurre, 1 citron, cannelle à râper, 1 litre d’huile (olive ou tournesol), 200 g. de saindoux, 100 g. de cédrat, 50 g. de pignons, 50 g. d’amandes et 50 g. de raisins secs, deux oeufs, deux (petits) verres de liqueur.

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