
Passer quelques jours dans la campagne du Sud-Ouest pour profiter des fêtes de Pâques au grand air, loin du stress de la vie urbaine ? C’est génial… sauf quand il pleut à seaux, non stop. De guerre lasse contre l’humidité ambiante, il ne me restait qu’à choisir entre l’entretien de la cheminée ou me mettre aux fourneaux pour le(s) repas de fête.
J’ai vite fait de poser les bûches sur le feu, mais pour obtenir les ingrédients de la recette que j’avais en tête, ce fut un zeste plus difficile. Je voulais en effet me procurer des abats – cœur, poumons, foie, rate, etc. – d’agneau de lait, mais le boucher local m’a fait comprendre que désormais ce genre d’aliments est désormais réservé à la fabrication des croquettes pour chiens…
Je ne suis peut-être pas le couteau le plus aiguisé du tiroir, mais je sais que le doute – bien que désagréable – a ses avantages. Ainsi, grâce à internet, j’ai déniché une ferme dans les Pyrénées non loin de Tarbes qui proposait des abats d’agneau, utilisés dans la fressure, traditionnelle recette occitane. Bien évidemment, je me suis empressé de passer commande. Quelques jours après, quand j’ai commandé au même boucher local un chevreau (entier) de lait, il me l’a donné avec tous les abats. « Heureux soient les fêlés, car ils laisseront passer la lumière »…Je me suis donc retrouvé avec des abats d’agneau et des abats de chevreau.

Tout cela pour… la Coratella qui se déguste à Rome le jour de Pâques. En patois romain, la coratella désigne l’ensemble de coeur, foie, poumons, reins, rate et ris d’agneau (parfois de chevreau). Elle fait partie de la tradition culinaire du quinto quarto (cinquième quart), et pendant la période du « pape-roi » (jusqu’à la fin du XIX siècle), elle constituait la base de l’alimentation populaire lors des fêtes liées au calendrier liturgique.
Vous imaginez bien que dans la ville-Etat du pape, la fête de Pâques était particulièrement importante. Ainsi, le matin de Pâques, tout bon Romain qui se respecte était attendu à la messe, et gare aux absents ! Il existait en effet des « états des âmes », c’est-à-dire des registres que les curés remplissaient pour vérifier que tous, à l’exclusion des pécheurs publics, se confessaient et communiaient !

Mais Pâques signifiait aussi la fin des restrictions du Carême. Avant d’aller à la messe, les fidèles prenaient calmement un riche petit déjeuner à base de saucisson corallina, d’œufs durs, de pizza au fromage, ou encore coratella aux artichauts. Et ce n’est pas fini. Après l’homélie du prêtre, hop rebelote, ils enchaînaient avec un copieux repas à base d’abbacchio (agneau en patois romain) rôti (et beaucoup d’autres choses).
Comment on dit à Rome depuis toujours, « quello che nun strozza ‘ngrassa » (« ce qui ne vous étouffe pas, vous fait grossir », autrement dit « tout ce qui ne tue pas, fortifie »). Avoir de l’embonpoint à Rome, croyez-moi, c’est un art de vivre.

Reste à décrire l’autre ingrédient essentiel de la recette, les artichauts. Deux mots sur ce petit miracle de la nature. L’artichaut est riche en fibres, en antioxydants, en vitamines et en minéraux, il favorise la digestion, la régulation du cholestérol et la protection cardiovasculaire. Grâce à la présence de cynarine, le polyphénol responsable de son légère amertume, il favorise la production de bile et aide à éliminer les toxines du foie.
A Rome, il y a le célèbre artichaut romanesco ou les violets, plus tendres et petits. On les prépare à l’étuvée, ou frits, et la meilleure saison pour les goûter est le printemps. Ayant opté pour les violets, j’ai accompli la tâche principale, à savoir leur couper la tête et la queue et leur enlever les feuilles extérieures plus dures, avant de les couper en portions réduites et de les faire reposer dans un bol plein d’eau froide acidulée au citron pressé.

Pour les abats, j’ai séparé ceux qui sont durs – le coeur -, de ceux qui sont plus mous – le foie, les poumons, la rate – car la cuisson doit être différente. Il faut les couper en petits morceaux et éliminer les tissus excédentaires. Et si vous avez à disposition des animelles – rognons, ris et glandes dont les testicules – surtout ne vous gênez pas. Quello che non strozza…

Commençons alors à cuisiner. Tout d’abord on fait revenir une gousse d’ail dans une poêle avec un peu d’huile d’olive extra vierge. Une fois qu’elle sera dorée, on ajoutera les abats plus durs.

Puis quelques feuilles de laurier et autres aromates (romarin, sauge, persil, thym). Touillez toujours, à feu doux, pendant cinq minutes, avant de remettre le couvercle.

A présent, une louche ou deux de bouillon végétal. La cuisson nécessitera encore une dizaine de minutes.

Puis, on pourra ajouter foie et poumons, pour encore quinze minutes de cuisson.

Mais en attendant, on doit faire cuire aussi les artichauts égouttés. Dans une poêle, faites revenir une gousse d’ail dans l’huile pendant quelques minutes. Lorsque l’ail est bien doré, ajoutez les artichauts. Déglacez avec du vin blanc à feu vif et faites évaporer. La cuisson suivra les temps de la coratella.

Troisième étape, l’ajout des abats plus tendres et délicats, pour lesquels il faudra attendre encore cinq minutes.

Finalement, on versera les artichauts dans la poêle de la coratella, pour ensuite bien mélanger le tout avec une bonne dose de sel et de poivre noir moulu.

Et voilà le travail. Un plat au goût très délicat et à la saveur unique, pas du tout forte, comme on pourrait l’imaginer à tort.

À associer à un vin rouge puissant comme le Cesanese del Piglio A.O.C.G., un excellent cépage du Latium cultivé à environ 70 km au sud de Rome depuis l’Antiquité. Les empereurs, comme le pape et le peuple romain, ont toujours su comment ripailler et boire, et ça n’a pas changé, surtout pendant les fêtes religieuses !

Ingrédients pour 8 personnes : 1 kg d’abats d’agneau de lait (fois, coeur, poumons, et autres); 8 artichauts violets; 1 litre de bouillon végétale, 1 citron, 1/2 verre de vin blanc sec, quelques feuilles de laurier, thym, romarin, persil, huile extra vierge d’olive, sel, poivre noir.