Zuppa di zucca e fave alla viestana (Soupe de courge et fèves comme à Vieste)

Comme promis dans la recette précédente, je continue à parler de la Capitanata, dans le nord des Pouilles, en m’attachant cette fois à un plat de terre traditionnel de Vieste, une commune située à l’extrémité orientale du promontoire du Gargano. C’est une ville très ancienne, habitée à l’origine (XIème – Xème siècle av. J.-C.) par des populations venues des côtes dalmates et albanaises. Les qualités de son mouillage n’avaient pas échappé aux Romains, qui la baptisèrent Portus Agasus. Jusqu’à ce que les Lombards, très occupés à guerroyer au cours du Xème siècle dans la région, ne la renomment Portus Vesti (de Fest-ung-, la forteresse). D’où le nom Vieste de l’époque moderne.

Pour Vieste donc, le berceau a été marin. Et à bien la voir ainsi perchée sur les falaises, étendue sur l’Adriatique, on pourrait croire que toute sa tradition historique et culinaire est centrée sur son rapport avec l’eau (salée) et le feu (la lumière), deux des quatre éléments avec lesquels dans l’Antiquité on décrivait et analysait le monde : Feu, Air, Eau et Terre.

Voilà pourquoi il faut tourner le dos à la mer, et rebrousser chemin vers la Terre et l’Air, quelques km à l’intérieur. La nature a fait cadeau aux gens du Gargano de la Foresta Umbra, l’une des rares forêts primaires d’Italie (patrimoine Unesco depuis 2017). Les Latins la connaissaient sous le nom de Nemus Garganicum (la forêt du Gargano). Les modernes ont gardé le mot umbra (latin de ombre), qui signifie sombre, ténébreux, perpétuant ainsi la tradition moyenâgeuse qui voyait les espaces non « civilisés » comme des refuges pour le démon. Composée de hêtres, d’érables, de charmes et de chênes, sur une superficie d’environ 10.500 hectares grimpant jusqu’à 800 mètres d’altitude, elle a su résister – même si elle s’est contractée – aux injuries du temps et des hommes.

C’est dans ces contrées boisées qui se développa la civilisation daunienne, loin de l’influence des colonies grecques et de la Campanie, jusqu’à ce que Rome ne rafle la mise pour de bon. Au Moyen Age, face aux envahisseurs, les locaux arrivèrent tant bien que mal à se protéger en se cachant dans les bois. Jusqu’en 1554, lorsqu’ils eurent la mauvaise idée de se regrouper à Vieste pour résister au siège du pirate turc Dragut, pacha de Tunis. Quelque 5.000 prisonniers (ceux qui n’étaient pas utiles comme esclaves) furent alors massacrés…

Vous me direz… quel est le rapport avec la bouffe ? Et bien, la réponse est que pour arriver à calmer sa faim et rester vivant, il faut savoir déployer des stratégies bien rodées. Voilà pourquoi la forêt umbra, plus « sûre » que la mer étincelante, a été utilisée pendant des siècles comme garde à manger. Les parcelles cultivées se sont multipliées, tout comme les pâturages, pour lesquels on a déboisé massivement aux XVIIème et XVIIIème siècles.

En conséquence, même les villes côtières du Gargano comptent parmi leurs recettes des mélanges étonnantes. Le plat du jour par exemple est la soupe traditionnelle de Vieste, à base des fèves et des courges, en patois (imprononçable) “Févè e chècozz”. Le premier ingrédient, une légumineuse cultivée depuis la révolution du néolithique dans le pourtour méditerranéen, est bien présente sur le Gargano, qui a des sols argileux et calcaires.

Carpino, à 50 km de Vieste, est le centre le plus réputé pour leur production. Les locaux ont « redécouvert » ce légume après l’avoir supplanté, à la fin du XIXème siècle, avec la pomme de terre… Mais les temps changent, et à présent les fèves de Carpino, semées sans engrais, cultivées et fauchées à la main, puis séchées et écrasées par les sabots des chevaux pour les séparer de la paille, atteignent les 300 quintaux par an. Ce n’est pas beaucoup, mais la qualité du produit et le label de la filière font la différence.

Deuxième ingrédient principal de la recette, la courge. Le mot courant en italien, zucca, pourrait être une déformation du latin cucutia, tête. Appelée aussi « cochon de pauvres », pour ses nombreuses qualités et sa facilité de cultivation. Mais attention. Il ne s’agit pas des cucurbitacées importées d’Amérique après Cristoforo Colombo, mais plutôt des leurs cousines éloignées, cultivées en Europe depuis…on ne le sait pas, en tout cas sûrement bien avant la pax romana.

Leur origine se situe peut-être en Inde, ou en Afrique, voire les deux (il en existe 90 genres et 900 espèces dans le monde). Celles qui nous intéressent sont la lagenaria siceraria (du latin classique lagena, récipient), connue en France comme calebasse ou gourde, et puis il y a la lagenaria longissima, plante grimpante cultivée à pergola, utilisée dans la cuisine du Sud de l’Italie, de la Campanie à la Sicile.

Et U Mast en tout ça? Lui s’est adapté, comme toujours, pour pouvoir s’assoir à table. Voici donc un potimarron du nouveau monde, et de fèves (sèches) italiennes, de Basilicata (on reste tout de même très proches des Pouilles !).

Pour exécuter cette recette; procédons dans l’ordre. Première étape : faire bouillir les fèves. Généralement il faut les faire tremper la nuit précédente dans un bol d’eau froide, avec une poignée de bicarbonate alimentaire. Pour ensuite les faire bouillir des heures durant. La variété que j’ai utilisée ne nécessitait qu’une cuisson d’une heure environ (il ne faut pas faire de la bouillie).

Il faut ensuite couper la courge en morceaux. C’est toujours un peu compliqué, si on ne veut pas éclabousser les murs de la cuisine. Et puis il faut enlever les pépins et séparer la pulpe de l’écorce.

On peut garder la soupe telle quelle, ou y ajouter d’autres ingrédients, pour rendre l’ensemble encore plus savoureux. Pour ma part, j’ai choisi des petites tomates cerises, des olives noires, un piment rouge, et de la charcuterie de porc très prisée, le capocollo de Martina Franca (dans la province de Tarente, toujours dans les Pouilles). L’oignon reste l’ingrédient de base pour lier tous les autres.

Deuxième étape. On commence à faire revenir l’oignon émincé dans une casserole avec un peu d’huile extra vierge d’olive (des Pouilles).

On y ajoute ensuite le capocollo, les tomates…

…les olives, et la courge. On touille comme il faut, on verse un verre de vin blanc sec, et on recouvre, pour faire cuire à feu doux pendant une vingtaine de minutes. On ajoute enfin les fèves, qui devront cuire avec le reste encore une dizaine de minutes.

Comme souvent dans la cuisine paysanne, la soupe se déguste avec des tranches de pain grillé. Cela tombait bien, j’avais sorti une miche du four le matin même…

Finalement, il suffira de mettre quelques louches de soupe dans une assiette avec le pain, assaisonnés d’un fil d’huile d’olive à cru, avant de passer à table. Là, vous pourrez vous lancer dans une discussion sur le cinquième élément, l’éther, dans lequel baignent les quatre autres…

La discussion sera plus aisée si vous accompagnez ce plat avec un vin à 13° comme le Favùgnë. Un rouge locale A.O.C. à base de cépage Montepulciano, cultivé dans les alentours de l’ancienne ville romaine de Teanum Apulum (la Tiati daunienne), au nord de San Severo (et à deux pas de Vieste).

Ingrédients pour 4 personnes : 500 g. de courge (ou potimarron), 500 g. de fèves (sèches), tomates cerises 200 g., charcuterie (capocollo) 50 gr., quelques olives noires, 1 piment rouge, 1 oignon, sel, 1 verre de vin blanc sec, quelques tranches de pain grillé, poivre, huile extra vierge d’olive.

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