Farsumagru alla catanese (faux-maigre à la façon de Catane)

Un plat d’hiver, copieux, juteux, chaleureux ? On en a bien besoin. Et figurez-vous que j’ai dégoté une recette de Catane, en Sicile. Étonnant, n’est-ce pas, alors qu’on a toujours en tête l’image de l’île écrasée par le soleil et la chaleur. Personnellement, j’ai visité la ville en pleine canicule, où la chaleur était encore amplifiée par les bâtiments construits en pierre volcanique. Mais à la différence des touristes, les gens de Catane sont, pour ainsi dire, vaccinés contre toutes les calamités – éruptions de lave, invasions étrangères, tremblements de terre, épidémies, aléas du climat – susceptibles de les déranger de leur activité principale, la bouffe !

La recette du jour – le farsumagru – en est un exemple concret : un rôti de viande de veau, avec une farce composée de poitrine fumée, fromage râpé, oeufs, chapelure, saindoux…A se lécher les babines, même si on pourrait penser qu’il n’y a rien de bien nouveau là dedans. Et pourtant, je vais vous montrer que le bon sens des Siciliens a anticipé de plusieurs siècles ce que la chimie moderne a bel et bien prouvé de façon définitive.

Deux mots sur l’origine du plat : à Catane, il remonterait à la période angevine de l’île au XIVème siècle. Le nom de la recette évoque en effet le mot français « farce » – hachis d’aliments – et sa traduction en italien farcia (prononcez fartchia). Mais au-delà de la farce, le nom de la recette qu’on peut traduire par faux maigre – farsu maru (en sicilien), et falso magro (en italien) – pourrait aussi renvoyer à la différence entre l’extérieur et l’intérieur du rôti, et évoquer une sorte de trompe-l’œil culinaire où les trésors se cachent. Ce qui est plus certain, c’est qu’en Italie la première mention connue d’un rôti est présente dans un livre de sermons toscan datant de 1306. Et pour le coup, le verbe rôtir – arrostire en italien – est un germanisme – raustjan – là où en latin on aurait dit assare.

Tout gourmand qui se respecte se réjouit immédiatement en respirant l’odeur de viande rôtie sur le feu ! Et pour cause : selon la réaction dite de Maillard (chimiste français du XIX siècle) : si vous faites cuire une viande à haute température, et qu’elle devient brune, il s’en dégage de la tyramine, un acide aminé libéré par la dégradation de la tyrosine et qui occasionne chez l’humain la libération de sérotonine et de dopamine, les neurotransmetteurs responsables des sensations de plaisir et de sérénité. C’est ce mécanisme qui conduit physiquement l’eau à la bouche.

Sans compter que dans un rôti classique, badigeonné de graisse et cuit à la flamme, la surface extérieure est scellée et les saveurs sont préservées ; dans un rôti roulé, le rapport volume/surface de la viande est plus élevé (parce qu’elle est mince) et donc encore plus de glutamate et de liquide intracellulaire sont libérés vers l’intérieur, c’est-à-dire vers la farce. Vous voyez pourquoi à Catane on nage dans le bonheur ?

Encore faut-il bien choisir son morceau de viande. Généralement on demande de la poitrine de veau, spécifiant au boucher qu’on veut la partie maigre (le morceau n°16 de la photo, positionné au dessous de la gorge), plus tendre et fine, autrement vous risquez de vous retrouver (comme ce fut mon cas à Paris) avec un peu trop d’épaisseur et de côtes à enlever.

Bref, attendrissez le morceau de poitrine et éliminez les quelques filaments nerveux qui pourraient gêner.

Ensuite, pour la farce : râpez le fromage pecorino (sicilien, cela va sans dire)…

…et le caciocavallo (toujours de Sicile).

La viande, quant à elle, devra être badigeonnée de saindoux, pour la rendre plus tendre pendant la cuisson.

Bien, passons aux choses sérieuses : dans un bol, mélangez à l’aide d’une cuillère en bois un oeuf entier, le jaune d’un autre oeuf, de la chair à saucisse, les deux fromages, et de la chapelure, plus un peu de poivre moulu, du sel, et quelques aromates de votre choix.

La farce ainsi créée ira recouvrir l’ensemble de la poitrine de veau.

Ajoutez des fines lamelles de poitrine fumée de porc. Certaines recettes suggèrent de la mortadella, mais une delikatesse de l’Emilie Romagne en Sicile, pour moi cela n’a pas de sens.

Ce n’est pas fini. Ajoutez encire trois oeufs durs, et quelques lamelles de fromage caciocavallo (c’est pour la bonne cause).

A présent, le plus difficile : enroulez la poitrine sur elle-même. Généralement, on referme le rôti dans le sens de la longueur, mais cela eut été trop difficile dans mon cas, j’ai dû effectuer l’opération dans le sens de la largeur, tout en m’aidant avec de la grosse ficelle de cuisine. Vous n’êtes pas au bout de vos peines : il vous faudra aussi coudre les deux extrémités. Et si jamais de la farce s’échappe du rôti, surtout ne la jetez pas. Vous pourrez en faire de superbes boulettes de viande à mettre dans la sauce…

C’est le moment Maillard. Dans une large casserole, à l’aide d’un peu d’huile extra vierge d’olive, dorez la viande de deux côtés, tout en gardant la tête froide malgré les arômes qu’elle va dégager. Versez un verre de vin blanc, faites évaporer. Une fois cette opération terminée, éteignez le feu, et gardez la viande au chaud.

En ce qui concerne la sauce : dans une poêle, faites frire un oignon émincé, du céleri et une carotte avec de l’huile extra vierge d’olive, après quoi ajoutez de la pulpe de tomates. Laissez réduire.

Revenons au rôti. Une fois bruni, il devra aller cuire dans une large cocotte, avec la sauce, pendant une heure.

Après une demi-heure, ajoutez les boulettes de viande…

…et les petits pois. Attention à ne pas faire coller la viande au fond de la cocotte. Le cas échéant, ajoutez un peu d’eau.

Finalement, coupez le farsumagru en tranches pas trop épaisses, et dressez l’assiette avec, en plus de la garniture et quelques gouttes de vinaigre balsamique. Succès garanti.

Le vin pour accompagner le plat? Le choix est large, mais avec un Nero d’Avola vous n’aurez jamais de regrets.

Ingrédients (pour six personnes) : une tranche de poitrine de veau de 800 g.-1 kg, 300 g. de viande hachée (de veau ou de porc), 150 g. de poitrine fumée, 100 g. de fromage pecorino salé, 100 g. de fromage caciocavallo, trois oeufs durs, un oeuf plus le jaune d’un autre oeuf, 500 g. de pulpe de tomate (poids net), 50 g. de saindoux, chapelure, une carotte, une branche de céleri, un oignon, huile extra vierge d’olive, sel, poivre, aromates, un verre de vin blanc sec.

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