Bisato in tecia alla veneta (Anguille à l’étuvée à la manière de la Vénétie)

Ahhh, Venice pendant le carnaval ! Ses monuments, ses canaux, ses gondoles, et le spectacle des touristes quinquagénaires, déguisés comme Tom Cruise en Eyes Wide Shut ou en Casanova sur le retour, bas de soie bien serrés, tricorne sur la tête, et bras dessus bras dessous avec leur demoiselles masquées et silencieuses…personnellement je suis vieux jeu, et depuis mon enfance je suis fan d’Arlequin, le valet moqueur de la Commedia dell’Arte.

Et puis, je suis allé encore une fois à Venise parce que je voulais renouer avec les moeche, les petits crabes d’estuaire typiques de la lagune. Je me suis même levé de bonne heure pour aller – en vaporetto et à pieds – jusqu’au marché aux poissons de Rialto, mais, hélas, les pêcheurs m’ont dit qu’il fallait attendre encore quelques semaines pour les trouver.

En revanche, ils m’ont proposé de jeunes anguilles, tombées la nuit d’avant dans le filet d’un pêcheur (ils sont interdits à la pêche proprement dite). J’ai dit « OUI » tout de suite, même si je n’ai compris que la moitié de la phrase. Les Vénitiens parlent beaucoup en patois, et il m’a fallu un peu de temps pour découvrir qu’ils désignent ces poissons avec le mot bisato, ce qui en italien veut dire biscia (du latin vulgaire bistia, bête), sorte de petite couleuvre d’eau qui ressemble à l’anguille (du latin anguis, serpent).

Il me restait à choisir la façon de les cuisiner. La recette la plus commune dans la Vénétie depuis toujours est le bisato in tecia, où tecia est le tegame (du grec ancien τηγάνιον, poêle en français). Tout d’abord, il faut laisser deux heures les anguilles – déjà vidées, lavées et divisées en tronçons d’environ dix centimètres sans les séparer les unes des autres – dans un bol avec de l’eau froide et un demi litre de vinaigre blanc, quelques feuilles de laurier et du poivre en grains, pour parfumer leur chair.

Faites ensuite chauffer un peu d’huile extra vierge d’olive dans une large poêle (autrefois en terre cuite), assaisonnez avec de l’ail écrasé et retirez-le. Ajoutez ensuite des carottes, un morceau de fenouil et de l’oignon en mirepoix, et laissez réduire à couvert un bon moment.

Égouttez les anguilles sur du sopalin pour bien les sécher…

Roulez les morceaux – cette fois-ci complètement détachés – dans un grand bol plein de farine T 45 bio…

…et placez-les directement sur la garniture de légumes maintenant bien ramollie. Ajoutez encore du vinaigre blanc et du vin blanc sec. Laissez évaporer, salez, poivrez…

… Versez de la pulpe de tomates.

Sans oublier quelques feuilles de basilic. Recouvrez à nouveau et laissez mijoter une bonne demi heure à feu doux.

Le moment venu, préparez la garniture traditionnelle, la polenta de maïs, l’autre élément « allogène » de la recette (en plus de la tomate), mais tout de même utilisé en Italie depuis la moitié du XVIe siècle. En particulier, il faut utiliser la variété de semoule blanche (le Biancoperla), plus délicate et typique de la Vénétie.

Attention : il existe sur le marché des farines pour la polenta d’Amérique du Sud qui peuvent contenir des OGM. A éviter.

Il suffit de mélanger la semoule avec de l’eau bouillant pendant quelques minutes, et le tour est joué.

Il ne vous restera qu’à l’étaler sur une planche en bois…

…avant de la servir, à côté de l’anguille, parsemée de persil frais haché. Vous verrez, c’est un plat au goût extrêmement délicat.

Et comme vin d’accompagnement ? Le Friulano (l’ancienne dénomination Tocai del Friuli n’est plus autorisée) est incontournable. C’est un cépage autochtone à baie blanche, originaire du Frioul Vénétie-Julienne, l’angle nord est de la péninsule, entre terre et mer.

Ingrédients pour 4 personnes : 1,2 kg d’anguille (jeune, plus tendre et moins épaisse), 1/2 litre de vinaigre blanc, 1 verre de vin blanc sec, farine 00 de blé, farine de maïs, pulpe de tomates, sel, poivre, oignon, ail, carottes, fenouil, laurier, basilic, persil.

Et je vous assure, après le repas vous aurez largement le temps de retourner embêter – comme Arlequin – les nobles dans les calli (ruelles) de la Serenissima.

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