
Parmi les communautés d’origine étrangère résidentes en Italie, il y en a une en particulier qui a su garder ses traditions, langue et coutumes pratiquement intactes, bien qu’elle soit arrivée il y a désormais cinq cents ans. Je fais référence à la minorité albanaise d’Italie (arbëreshi i Italisë), concentrée dans le Sud de la péninsule entre les Abruzzes, les Pouilles, la Basilicata, la Calabre et la Sicile. Son origine est liée à des hauts faits de guerre, quelque peu oubliés dans les livres d’école, mais qui ont tout de même contribué à façonner l’histoire de l’Europe moderne.
Depuis les temps anciens les Albanais, en bons montagnards, étaient réputés de valeureux guerriers. A la Renaissance, nombre d’entre eux – avec femmes et enfants – furent invités à s’enrôler comme mercenaires en Italie à plusieurs reprises par les Vénitiens, le pape et les rois d’Aragon, en lutte contre les Angevins. L’intervention la plus importante, en 1459, fut l’œuvre du héros national albanais, George Castriote, seigneur de Krujë. Le seul dans tous les Balkans à n’avoir jamais perdu contre les Turcs, qui en cette période avançaient comme une marée inarrêtable vers Occident. Le seul à obtenir, vingt cinq ans durant, des victoires éblouissantes et sanglantes, qui lui valurent de la part de ses ennemis le surnom de S(i)kander beg – Prince Alexandre – en l’honneur d’Alexandre le Grand…

Il faudrait bien plus que quelques lignes pour rendre honneur à cet homme, à la stature politique et historique gigantesque, mais un blog de cuisine ce n’est pas fait pour ça. Disons seulement que après sa mort les survivants de ses troupes – les légendaires stratioti (soldats) – vinrent trouver refuge dans le Royaume de Naples. Durant les décennies suivantes, ces Albanais durs comme l’acier gardèrent leur langue et le rite byzantin de l’Eglise catholique orientale, et repeuplèrent plusieurs territoires qui avaient subi les dégâts de la peste et des incursions des pirates barbaresques. Tout en continuant à pratiquer l’art de la guerre…

Bref, les liens entre les deux pays n’ont jamais été entièrement coupés. Et pour cause ! Le trajet le plus court entre les Pouilles (punta Palascia, dans le territoire d’Otrante) et la côte albanaise (Vlora), n’est que de 38 milles nautiques (71 km). De quoi donner des envies…

Et ce n’est pas un hasard si en 1991, à la chute du régime communiste albanais, entre mars et août, en seulement deux jours, débarquèrent à Brindisi 27.000 et à Bari 20.000 personnes, qui allèrent rejoindre l’ancienne communauté arbëreshë. De ce fait, aujourd’hui les shqiptari sont la deuxième ethnie d’origine étrangère en Italie – après les Roumains – avec 500.000 habitants.

Bien évidemment les stratioti amenèrent dans leur bagages non seulement des armes, mais aussi des traditions culinaires. L’une d’entre elles, le kabunì, un dessert de Noël typique de la Calabre, a éveillé ma curiosité à cause de ses ingrédients : bouillon de mouton, mélangés à du riz, de la cannelle, de la vanille, des clous de girofle, des amandes, du raisin sec, du sucre… alors, pour ne pas mourir bête, je me suis lancé dans l’aventure.

Première étape : s’occuper du bouillon. En trouver de mouton au supermarché ce n’est pas chose facile, alors j’en ai commandé sur internet, en provenance d’Angleterre. J’ai donc procédé en mettant un cube alimentaire à réchauffer dans un peu d’eau. Puis, j’ai fait tremper le raisin sec dans de l’eau tiède.

Ensuite, j’ai ajouté au bouillon quelques clous de girofle (éventuellement moulus), un bâton de cannelle, et une gousse de vanille. Le tout doit bouillir doucement. Le fumet qui s’en dégage est délicieux.

Deuxième étape : il faut dissoudre un peu de beurre dans une casserole, et ajouter le riz, qui devra cuire comme pour un risotto.

Il faut ajouter une louche de bouillon après l’autre, tout en touillant à l’aide d’une cuillère en bois, pendant de longues minutes. Au final, le riz devra être al dente et avoir absorbé tout le liquide.

Vous aurez alors le temps d’égoutter le raisin, d’émincer les amandes…

… Pour enfin mélanger le risotto avec le raisin, du sucre…

…et des amandes. Une fois que l’ensemble aura bien été retourné, il devra refroidir au réfrigérateur pendant au moins quatre heures.

Pour la présentation de l’assiette à table, on ajoutera du sucre glace, du raisin sec et quelques amandes entières. Puisque le kabunì est très sucré, vous pourrez aussi le couper en fines tranches et le savourer au fur et à mesure. Si vous voulez bien me croire sur parole, le goût de mouton ne transparaîtra pas, et ce plat de gourmet saura satisfaire vos attentes (et votre gourmandise).

En ce qui concerne le vin, j’ai choisi un Moscato di Saracena, vin de paille de Calabre produit dans la province de Cosenza, l’un de territoires les plus peuplés par les Albanais de Castriote. Et justement les premières information sur les cépages utilisés remontent au XVIe siècle. Alors, Alla salute e buon appetito (Për shëndetin dhe ju bëft mirë) !

Ingrédients :
70 g. de riz, 600 ml d’eau, une cube de bouillon de mouton, 1 bâton de cannelle, 1 gousse de vanille, deux clous de girofle, 50 g. de beurre, 50 g. de sucre, 50 g. de raisin sec, 30 g. d’amandes émincées.