Tortionata di Lodi (Tarte de Lodi)

Lodi c’est une petite ville cossue de Lombardie sur le fleuve Adda. C’est aussi un important carrefour de la région, à moitié du chemin entre Milan et Plaisance, Cremona et Pavia. Lodi c’est surtout, chers Gaulois, la patrie du mascarpone (avec son e finale à prononcer). A la voir comme ça, un peu perdue dans son coin entre pâturages, rivières et sentiers de campagne, on aurait la tentation de l’associer à une vieille grand-mère qui tricote devant la cheminée. Et bien, vous seriez surpris d’apprendre que cette dame charmante a eu, dans sa jeunesse, ses heures de gloire et ses haut faits d’armes, et qu’elle a fait preuve d’une grande force de volonté.

Tout d’abord il y a deux Lodi, une vieille et une nouvelle. L’ancienne était une fondation celte, et le toponyme Laus pourrait bien être une adaptation latine du mot alauda (alouette dans la langue d’Astérix). Quoi qu’il en soit, les Romains en firent le plus important verrou routier de la région, et son pavé vit le passage – à la haute époque – des plus célèbres personnages, de Pompée (père) à Jules César, des siècles après la séquence habituelle des invasions barbares jusqu’à la renaissance de l’An mille. Mais à partir de ce moment, Laus (Pompeia, en l’honneur du consul romain) entra en collision avec Milan, jadis capitale de l’empire des Césars, désormais désireuse d’imposer son joug à toute la Lombardie.

En 1111, les milices de Milan prennent d’assaut les murailles de Laus, pour ensuite terminer le travail en 1158. Mais, coup de théâtre, la même année, l’empereur du Saint Empire romain germanique, Frédéric Barberousse, vient aider les rescapés à fonder la nouvelle Laus à seulement 7 km de distance. Lodi venait de naître. Depuis, la ville n’a jamais cessé d’être LE carrefour par lequel tout le monde devait passer, ou se rencontrer pour stipuler un accord, un traité, écrire une partition musicale (comme Mozart avec son Quatuor à cordes K.80), ou encore gagner une bataille, comme celle de Marignan en 1515, ou celle du Pont de Lodi en 1796, lorsque le général Buonaparte se substitua aux Autrichiens en prenant le contrôle de la Lombardie…

Je sais, depuis le début vous n’attendez qu’une chose : le mascarpone qu’on retrouvera dans la recette du jour. Voici donc son histoire. Tout d’abord, il est bel et bien né à Lodi pendant le XIIème siècle (au moins), et son nom a des origines incertaines. Secondo, s’agit-il d’un fromage, ou d’un produit laitier (latticino en italien) ?

La question n’est pas anodine dans le (deuxième) pays des fromages (après la France, bien sûr…). Il est vrai qu’il est obtenu à travers le caillage, autrement dit la floculation des matières en suspension dans un liquide, à savoir les protéines du sérum du lait, comme la ricotta. Selon ces critères, définis dans la loi italienne (depuis 1925), c’est un fromage. MAIS pour obtenir la crème de mascarpone il faut aussi du sucre, capable d’améliorer sa structure et son éclat. De plus, elle est acidifiée à l’aide d’acide citrique après stérilisation, donc point de bactéries fermentées comme les autres « fromages » qui sont, on l’a compris, produits grâce à la coagulation acide. Donc il se pourrait que le hiatus soit issu de la loi qui remonte à presque un siècle.

Le législateur de l’époque a probablement voulu noter l’acidification causée par les bactéries, c’est-à-dire ce que nous appelons aujourd’hui l’acidification « naturelle », qui est typique de nombreux fromages. Si tel était le cas, le mascarpone n’appartiendrait pas à la catégorie des « fromages » mais à celle des produits laitiers. Et d’ailleurs aujourd’hui bien que inscrit dans la liste des fromages, il est aussi catalogué parmi les Produits alimentaires traditionnels de Lombardie où, comme par hasard, on le trouve dans la catégorie définie : « Produits d’origine animale ». Miracles de la langue italienne…

Au-delà de cette querelle technique, le mascarpone est un ingrédient de choix de la cuisine italienne, et depuis exporté et copié dans le monde entier. Il entre dans la composition de nombreuses recettes de cuisine (y compris salées) et particulièrement dans les desserts, dont le célèbre tiramisù. Dans la recette de la tortiornata il vient accompagner le gâteau, probablement né à la moitié du XIXème siècle dans une pâtisserie locale.

Quant à la tortionata, elle est composée de farine de blé T45, de sucre, d’amandes décortiquées, de beurre, de jaune d’un œuf et du zeste d’un citron (possiblement tout bio).

Tout d’abord il faut hacher finement les amandes décortiquées, puis les torréfier dans une poêle avec une noix de beurre et une pincée de bicarbonate de soude. Ensuite, dans le mélangeur planétaire, on va ajouter au fur et à mesure la farine de blé, celle d’amandes…

Le zeste de citron…

Le jaune d’oeuf…

…le beurre à température ambiante…

…une pincée de sel, et en dernier, le sucre. Le tout devra être mélangé à l’aide de la « feuille » jusqu’à obtenir une pâte bien souple…

…qui ne sera pas nécessaire d’étaler avec un rouleau à pâtisserie mais plutôt avec le bout des doigts, à l’intérieur d’un moule à charnière circulaire (d’environ 24 cm.), préalablement beurré et saupoudré de farine.

Avec une fourchette, on réalisera la décoration caractéristique de la tortionata en dessinant une grille, comme celle d’une tarte classique (crostata en italien).

Faites-la cuire à 200°C dans le four pendant 20 minutes. Puis laissez-la refroidir à l’intérieur de four, en laissant la porte légèrement ouvert.

Vous aurez ainsi le temps de préparer (avec du mascarpone !) la pucia dulsa, qui en patois de Lodi désigne tout type de sauce. Il faut, pour ce faire, séparer les jaunes des blancs d’œufs et fouetter les premiers avec le sucre jusqu’à ce qu’ils soient légers et mousseux.

Puis on ajoute – finalement – le mascarpone (à température ambiante), toujours en fouettant.

Après avoir monté les blancs d’oeufs en neige, il faut les intégrer doucement au reste de la pucia.

Dernier invité surprise : du rhum (blanc ou rouge), pour aromatiser l’ensemble.

Voilà, on est prêts pour un vrai goûter, à la façon de grand-mère. Saupoudrez de sucre glace, et…Au fait, on dit tortionata parce que à l’origine probablement on utilisait un tortijon, un fil de fer torsadé pour la découper. Et bon appétit !

Pour accompagner ce mets, il vaut mieux aller du côté des Alpes car Lodi, comme une bonne partie de la Vallée du Po, est gorgée d’eau. Un passito (vin de paille) de la province de Sondrio à base de cépages traminer et riesling fera l’affaire.

Ingrédients :

pour la tortionata = 150 g d’amandes épluchées, 1 citron, 170 g. de beurre et un morceau pour la poêle, un jaune d’oeuf, 150 g. de sucre, 300 g. de farine T45, une pincée de bicarbonate de soude, une pincée de sel; sucre à voile

pour la pucia dulsa = 300 g de mascarpone, 3 oeufs, 3 cuillères de sucre, 2 cuillères de rhum.

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