Pignataccia viterbese, stracotto di vitello al forno (Pignataccia à la façon de Viterbe, potée de veau au four)

Saviez-vous qu’il y a une autre ville des papes en plus de Rome ? Je ne me réfère pas à Avignon, mais à Viterbe, une commune du Latium située à 100 km au nord de la Capitale. Perchée sur un piton rocheux, avec un centre historique parmi les plus grands d’Europe, elle est connue surtout pour son Palais où à partir de 1268 furent élus cinq pontifes dans des circonstances souvent périlleuses.

A l’époque qui nous intéresse (le XIIIème siècle), depuis déjà deux cents ans la papauté italienne se disputait avec les empereurs germaniques (les fameux Guelfes et Gibelins de dantesque mémoire) le contrôle des âmes et des biens matériels du monde chrétien catholique (l’Europe occidentale). La lutte (presque) à mort, connue sous le nom de Querelle des Investitures, impliquait nobles, bourgeois et cardinaux, qui à leur tour poussaient le petit peuple et les moinillons à prendre parti pour l’un ou l’autre. Il en résulta un état de guerre quasi permanent, en plus de famines, maladies et délires mystiques…

Aujourd’hui, la médecine sait très bien que la gangrène et les hallucinations du « feu de saint Antoine » sont en réalité générées par un champignon vénéneux, l’ergot du seigle. La « danse de Saint-Guy » (ballo di San Vito pour les Italiens) n’est rien d’autre que le symptôme d’une maladie infectieuse du système nerveux, la chorée de Sydenham. Les « apparitions mariales », liées à une vision de la vierge marie, n’étaient rien d’autre que des troubles visuels subis par des gens diabétiques ou souffrantes de cataracte. C’est le syndrome de Bonnet, si bien décrit – parmi d’autres – par le célèbre neurologue Oliver Sacks. En revanche à l’époque, si la foi ne trouvait pas de raison à l’incompréhensible, on mettait tout sur le compte de la sorcellerie ou des démons, en passant vite à l’étape suivante, les massacres des « coupables » : la faction adverse ou les hérétiques.

Viterbe ne fit pas exception à cette état d’hystérie collective. En 1233 naquit ici Rose, qui devint dès l’adolescence une pénitente mystique du Tiers-Ordre franciscain, vivant dans la pauvreté et pratiquant le jeûne presque absolu à la manière d’autres saintes anorexiques telle que Claire d’Assise ou Angèle de Foligno, qui en Ombrie survivaient dit-on grâce à la seule eucharistie…La pauvre Rose trapassa à 18 ans (depuis 2010 on sait qu’elle souffrait de la pentalogie de Cantrell), après avoir prêché contre les Cathares et avoir prédit la mort de l’empereur Frédéric II. Le peuple établit rapidement qu’elle avait ressuscité sa tante, qu’on emmenait au cimetière, et qu’elle avait marché dans le feu sans se blesser.

Le pape Alexandre IV, qui avait fui Rome et ses gibelins pour Viterbe, se saisit de cette figure locale (du pain béni !) et amplifia sa légende. Sept ans après sa mort, il fit transporter sa dépouille (intacte, dit l’histoire) sans cercueil par des cardinaux, jusqu’au sanctuaire qui prit son nom. Les fidèles furent même autorisés (jusqu’à la Renaissance) à toucher son corps à travers une petite ouverture dans l’urne…

Depuis, son culte n’a jamais cessé parmi les habitants de Viterbe : elle est devenue la patronne de la ville et est fêtée lors d’une procession où sa statue illuminée est portée sur un dais, qui a acquis des dimensions de plus en plus colossales au fil des siècles. De nos jours la « macchina di Santa Rosa » est un baldaquin de 51 mètres de hauteur, qui pèse 5.100 kg, et est transporté le soir du 3 septembre (veille de la fête patronale) sur les épaules de 100 hommes spécifiquement entraînés, les facchini (porteurs) di Santa Rosa, sur un kilomètre et demi à travers les ruelles du centre historique. Un spectacle imposant, qui a été inscrit au Patrimoine immatériel de l’Unesco.

Mais pour soutenir un tel effort, il faut bien manger ! Pas de panique, le plat traditionnel de Viterbe, le stracotto (la potée), est à la hauteur de la situation. Il est composé de viande et d’abats de la célèbre Maremmana, une race bouchère élevée à l’état presque sauvage dans les marais du sud de la Toscane et dans les prairies du nord du Latium.

La potée est un mélange entre la coda alla vaccinara et la trippa alla romana, deux plats typiques de Rome et des alentours. On y mélange de la queue, de la langue, des tripes, du jarret, de la joue, de l’épaule (paleron) et de la viande hachée de veau. Bien évidemment à Paris, on peut faire quelques ajustements selon de la disponibilité d’un tel ou tel ingrédient (moi par exemple j’ai pu dénicher que du boeuf), mais n’ayez crainte, ce sont les morceaux les plus maigres qui soient.

Mettons nous donc à l’oeuvre. La première étape consiste à mettre toute la viande et les abats dans un litre d’eau salée et un quart de vin blanc sec, et à les laisser reposer au moins quatre heures.

Ajoutez aussi un peu de sel et quelques clous de girofle, pour aromatiser l’ensemble.

Entre temps, on s’occupera du trito, un mélange de céleri, carottes, piment rouge, tomates et oignon haché finement…

..avant d’être mis de côté, lavé, dans un saladier.

Autre particularité de la potée de Viterbe, il y a des pommes de terre pour donner de la substance au bouillon. Elles aussi devront être épluchées et coupées en morceaux, mais pas trop petits.

Comme récipient, on utilise la pignatta, une marmite vernie caractéristique de la cuisine rustique d’antan en Toscane et Latium (mais pas que). C’est un pot en terre cuite à la bouche bien large, que jadis on mettait dans le four à pain après son utilisation, en utilisant ainsi la chaleur résiduelle qui permettait une lente cuisson. La première couche sera donc composée de pommes de terre et quelques gouttes d’huile extra vierge d’olive…

Suivront les morceaux de viande, bien égouttés et coupés en petits morceaux.

Puis les légumes verts. Encore un peu d’huile…

… et à nouveau des pommes de terre. Et ainsi de suite. Ajoutez aussi thym, origan et sauge pour bien aromatiser l’ensemble.

Une dernière couche de pommes de terre, la marinade filtrée, et hop au four 180°C…

… mais avant d’y mettre la pignate, la tradition veut que sa bouche soit couverte avec une feuille de papier paille, qui sera fermée avec de la ficelle de cuisine. De cette façon, la chaleur à l’intérieur restera bien humide.

Et c’est parti pour… si vous avez du veau, peut-être que deux heures et demi suffiront. Moi avec mon boeuf, j’ai dû attendre quatre heure et demi. Mais ça valait le coup !

La viande était extrêmement tendre et juteuse, sans compter que le bouillon, le lendemain, a été réutilisé pour une bonne soupe avec les restes et des spaghetti coupés en morceaux. Mais ça c’est une autre histoire…

Le vin qui va avec la potée…Autrefois le Latium n’était pas vraiment connu pour les vin rouges, mais depuis quelques années, la situation a changé. Voici donc le Maru, un rouge puissant à base de cépage Montepulciano, cultivé dans les alentours de Civita Castellana, petite ville à 50 km à l’Est de Viterbe.

Ingrédients pour 4/6 personnes : 1 litre d’eau, 1/4 de vin blanc sec, 1 kg de viande et abats de veau (queue, langue, tripes, jarret, joue, épaule, et viande hachée), 1 oignon, 1 branche de céleri, 1 piment rouge, deux carottes, quelques tomates, 1,5 kg de pommes de terre, quatre clous de girofle, aromates, sel, poivre, huile extra vierge d’olive.

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