
Le Monferrato est une « région historique » du sud du Piémont, qui comprend les provinces d’Asti et Alessandria. Avec ses excellentes productions de vins et de spumanti (vins effervescents) qui ont fait la renommée mondiale du Piémont, c’est un peu la cave noble de la région. C’est aussi le berceau de la confiserie traditionnelle (et industrielle) recherchée par tous les Italiens (et pas que), avec en tête de liste des noms tels que Novi, Pernigotti, Elah Dufour, Saiwa. D’ailleurs les atouts agro-alimentaires du Piémont ont contribué au rayonnement de la culture européenne depuis le Moyen Age, avec des résultats étonnantes. Par exemple…

Les Français ont adopté les biscuits de Savoie, mieux connus chez nous comme savoiardi (utilisés de nos jours pour le tiramisù). Ils furent élaborés dans la seconde moitié du XIVème siècle par les cuisiniers d’Amédée VI de Savoie, seigneur du Piémont (le fameux Conte Verde, le comte Vert) qui recevait l’Empereur romain germanique Charles IV à la cour de Chambéry (à l’époque la Savoie était un seul domaine transfrontalier où l’on parlait provençal et français).

Grâce à la légèreté de ces biscuits, composés de farine de blé (et pas encore de fécule de pommes de terre comme par la suite), jaunes et blancs d’œufs, sucre (non raffiné) et zeste de citron, les pâtissiers avaient récréé la forme du duché de Savoie, surmonté de la couronne impériale. Le comte lui même apporta à cheval dans la salle des fêtes le dessert, en anticipant de quelques siècles la frime italienne.
Et puis il y a le Bavarois…il est peut-être arrivé en France grâce à Isabeau de Bavière, épouse de Charles VI en 1385. C’est un entremet froid et moulé (dans la matrice homonyme en cuivre), et il fait partie de la famille des crèmes. A l’époque, il devait être composé d’une mousse de fruits, ensuite de « crème anglaise », agrémentée d’alcool, gélifiée et parfumée.

Si je m’attarde sur ces deux exemples c’est parce que leur héritage culturel et culinaire a donné vie, à la fin du XVIIIème siècle, au Bonet (prononcez bunét en patois piémontais), littéralement le bonnet. L’une des recettes de gâteaux les plus prisées du Monferrato en particulier (et du Piémont en général). C’est un flan (budino en italien), proche de la panna cotta, composé de cacao amer en poudre, sucre, jaune d’oeuf, lait et biscuits amaretti en poudre, le tout aromatisé au rhum (ou à l’amaretto, liqueur à base d’amandes amères). Il est cuit à bain mairie dans le four, à l’intérieur d’un moule « à bavarois », qui rappelle beaucoup un chapeau masculin – le bonnet – du Moyen Age.
Pour expliquer pourquoi le Monferrato revendique la « paternité » de ce dessert, il faut savoir qu’à la fin du siècle des Lumières, un chef pâtissier de Mombaruzzo, dans le province d’Asti, eut l’idée – peut-être en partant de l’exemple des savoiardi d’Amédée VI – de créer les premiers biscuits amaretti, à base de farine d’amandes, sucre, blancs d’oeufs et armelline (noyaux d’abricots écrasés). La renommée gastronomique de la cour des Savoie – à Turin, cette fois -, et l’industrie agro-alimentaire piémontaise, très active entre le Monferrato et la Ligurie adjacente, ont fait le reste.

Voici donc la recette du Bonet, façon U Mast, avec les ingrédients disponiblesà Paris. Pas de liqueur amaretto – du rhum à sa place – mais pour le reste on y est.

Première étape (surprise ) : la réalisation du caramel, qui viendra couler à la surface du dessert. Pour l’obtenir, il faut réchauffer de l’eau dans une casserole, avant d’y ajouter du sucre tamisé.

Attendez que le sucre soit fondu dans l’eau, sans remuer avec la cuillère, jusqu’à ce que le caramel prenne une couleur cuivrée.

Ensuite, versez-le immédiatement dans un moule « à bavarois » (pour respecter la tradition), et mettez-le de côté.

Maintenant, la préparation du budino. Dans un bol très large versez d’abord des oeufs entiers (plus le blanc d’un autre oeuf) et le sucre tamisé. Utilisez le fouet manuel (ou électrique) pour bien mélanger les ingrédients.

Ensuite ajoutez le cacao amer, tamisé lui aussi. Continuez à fouetter.

C’est le tour des amaretti, bien réduits en miettes (à la main ou au mixer) pour mieux être incorporé à l’ensemble. Continuez avec une pincée de sel fin et un bouchon de rhum.

Dernier invité, le lait à température ambiante. Petite astuce de cuistot : pour mieux faire « tenir » le bonet et éviter qu’il soit trop flageolant au moment de le sortir du moule, j’ai utilisé une feuille de gélatine alimentaire (quelques minutes dans de l’eau froide et puis incorporée avec le lait).

Reprenez le moule, et versez-y le contenu du bol. Ne remuez pas, mais…

…posez le moule à l’intérieur d’un récipient rempli pour 2/3 d’eau, et mettez le tout dans le four, pré-chauffé à 170°C, pendant une heure.

Sortez ensuite le moule du four et faites-le refroidir. Après quoi, le bonet devra reposer dans le réfrigérateur au moins deux heures (voir plus).

Au moment de passer à table, râpez l’écorce d’un citron (bio), utilisez un couteau mouillé pour détacher le bonet de la parois du moule, et réchauffez le fond du même moule dans de l’eau bouillante pendant deux minutes pour rendre à nouveau liquide le caramel. Ensuite, très rapidement, renversez-le avec un geste assuré sur un plateau de présentation.

Et parsemez la surface avec le citron râpé.

La largeur des tranches sera à votre discrétion, mais le résultat – garanti – sera superbe. Et ce n’est pas de la frime.

Deux mots sur la liqueur qui accompagne traditionnellement le bonet. Les Piémontais aiment boire avec un digestif, souvent amer, dont la région garde une ancienne et glorieuse tradition grâce à ses atouts de toujours : la Nature et son savoir faire dans la matière. Santé !
Ingrédients pour 4/6 personnes :
pour le caramel : sucre 150 g., eau 50 g.
Amaretti 200 g., cacao amer en poudre 35 g., lait entier 500 g., 4 oeufs moyens, 1 jaune d’oeuf, sucre 150 g., une pincée de sel fin, 1 bouchon de rhum (ou amaretto), 1 citron, 1 feuille de gélatine alimentaire.
Une délicieuse découverte régionale ! Bonne fin de soirée
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