
Les terres à la frontière entre les régions des Pouilles et de la Basilicate sont connues en Italie sous le nom de Murge (au pluriel), terme qui vient du latin murex, « murice, rocher pointu ». C’est une série de haut-plateaux, façonnés durant des millénaires par l’érosion, riches en ravins et en gouffres karstiques. Ce relief ainsi qu’un climat semi-aride ont donné lieu à des cultures agricoles uniques.

La Murgia ne vous dit rien ? Mais si ! c’est le décor de super productions hollywoodiennes telles que Le Roi David avec Richard Gere, La Passion du Christ de Mel Gibson, ou plus récemment, le dernier James Bond, Mourir peut attendre. Il faut bien avouer qu’entre les maisons troglodytiques de Matera et le Parc National dans les alentours de Gravina di Puglia, il a de quoi fasciner les plus blasés.

Au-delà de ces quelques paysages de carte postale, il y a la steppe herbeuse qui n’a rien d’hollywoodien, elle, lieu d’élection des troupeaux de brebis, qui pratiquent la transhumance entre les Abruzzes et les Pouilles depuis la nuit de temps. La race locale, la gentile di Puglia, est une race hybride créée au Moyen Age avec la carfagna italienne et la merinos espagnole, très prisée pour sa laine et pour sa viande.

La recette du jour non plus n’est pas glamour. Et pourtant, il convient de s’y attarder si l’on aime (comme moi) ces plats issus du passé. C’est une potée d’agneau, cutturidd’ en patois local. Les pasteurs d’autrefois (mais pas tant que ça) avaient l’habitude de cuire dans un pot en céramique (pignatta), au four à bois, la chair d’un animal trop vieux ou qui était tombé dans une crevasse en se cassant un patte. De nos jours, on utilise plutôt une jeune femelle (la ciavarra) qui n’a pas encore mis bas, ou à la limite un jeune de moins d’un an, l’agnellone (agneau gris).

J’ai commandé pour ma part un gigot d’agneau, que j’ai moi-même désossé en éliminant l’excès de graisse des fibres musculaires. Après quoi, j’ai coupé le tout en morceaux de petite taille.

L’odeur et la saveur de la bête qui broutait des mois dans la nature pouvaient être un peu forts. Par conséquent, les bergers laissaient mariner la viande quelques heures dans une marinade de vin blanc et de vinaigre de vin (blanc, lui aussi). J’ai effectué la même opération, en ajoutant quelques plantes de la garrigue et du poivre de moulin.

Le jour J, j’ai retiré la viande de la marinade et l’ai faite sauter quelques minutes dans une poêle à feu vif avec un peu d’huile extra vierge d’olive, de façon qu’elle puisse perdre un peu du jus de cuisson. Après quoi, je l’ai mise de côté.

A présent, la garniture. Elle est composée de quelques oignons rouges, de céleri, d’une gousse d’ail, d’une carotte, de quelques pommes de terre…

… de tomates, de chicorée de Catalogne, de quelques muscaris (petits bulbes comestibles au goût légèrement amer)…

… et pour finir, quelques lamelles de pecorino, des tranches de saucisson au piment, et du canestrato pugliese, un fromage A.O.P. au lait entier à pâte pressée non cuite, affiné dans des paniers en jonc des Pouilles, d’où son nom.

La suite est simple. Il suffit de couper en morceaux les légumes et de les placer en premiers dans la pignatta en terre cuite (avec un peu d’huile extra vierge, du gros sel et quelques aromates).

Il faut ensuite ajouter la viande.

Puis les fromages et le saucisson, pour terminer avec la chicorée et les muscaris. Parsemez-le tout de canestrato râpé. Versez enfin un verre d’eau et un verre de vin blanc.

Pour la cuisson, ne couvrez pas avec un couvercle en céramique, mais, comme le veut la tradition, d’une belle pâte à pizza, simple mélange de farine, eau et sel.

La pignatta sera ainsi prête pour aller au four, pré-chauffé à 160°C, pendant trois heures.

Le moment venu, sortez la pignatta du four…

… Cassez la croute de pain à l’aide d’un couteau. Savourez le moment.

L’humidité, préservée par la pâte, aura gardé toutes les senteurs des différents ingrédients.

Il ne vous restera qu’à dresser les assiettes.

Et si vous êtes surpris par le goût très fin, ne vous inquiétez pas. Vous n’êtes pas les seuls.

Pour accompagner ce plat de bergers (et pas que), un vin s’impose : l’Aglianico del vulture, un rouge A.O.C.G. cultivé en Basilicata dans la province de Potenza déjà au VIIe siècle avant J.-C., apprécié aussi (mais pas que) par Charles Ier d’Anjou, roi de Naples et de Sicile au XIIIe siècle.

Ingrédients pour 6 personnes : un gigot d’agneau (celui que j’ai commandé pesait 2,3 kg; après le desossage, il faisait 1,3 kg. En gros, en fin de cuisson, 200 g. de viande par personne). Pour la garniture : 500 g. de pommes de terre, du céleri, deux carottes, trois oignons rouges, une gousse d’ail, 200 g. de tomates, des tranches de saucisson pimenté, 500 g. de chicorée catalogne, 300 gr. de muscaris à toupet (lampascioni), deux ou trois lamelles de pecorino, 200 g. de fromage canestrato, aromates (persil, basilic, fenouil commun, laurier), vin blanc, vinaigre de vin blanc, gros sel, poivre, 300 g. de farine pour la pâte.
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