Seupetta di Cogne (Soupe de Cogne)

Récemment, je me suis retrouvé à dîner dans les montagnes de Savoie avec des copains français, originaires de la région. On discutait de la présence toujours plus massive des hardes de touristes skieurs anglo-hollandais, qui lentement poussent restaurants et supermarchés à modifier leurs produits, du local vers l’international… Et au beau milieu de la fondue (savoyarde) est arrivée la question de rigueur sur les pitances consommées dans ce lointain pays qu’est l’Italie, où – malheur – il n’y a ni tartiflette, ni fondue, ni raclette ! Ne sachant pas bien quoi répondre, rentré à Paris j’ai fait quelques recherches sur le sujet pour éclairer ma lanterne (et j’espère la vôtre aussi)…

Tout d’abord, un petit rappel sur l’exception savoyarde (cela va de soi) : composée des trois recettes susnommées, auxquelles il faut ajouter les 5 A.O.P. fromagères : beaufort, reblochon, abondance, tome de Bauges, et chevrotin, seul A.O.P. de Savoie au lait de chèvre. Et puis les crozets de blé dur, de la charcuterie, des pommes de terre, des lardons fumés, la tarte aux myrtilles et le gâteau de Savoie.

La région italienne la plus proche de la Savoie est la Vallée d’Aoste (le lieu du dîner était à 30 km à vol d’oiseau de la frontière, rien que ça). J’ai déjà traité du particularisme valdôtain, où l’on parle un patois – l’arpitan – qui ressemble à la langue française, et où d’ailleurs on se sent beaucoup plus proche – comme l’ex-première dame Carla Bruni – de la France que de l’Italie. Mais, n’en déplaise aux jacobins et aux indépendantistes, les choses ne sont jamais simples, aux frontières.

Tout d’abord, les races de vaches laitières. Qu’elles soient françaises, italiennes ou suisses (et oui, il y a eux aussi dans l’équation), elles sont toutes cousines et paissent la même herbe. Il est vrai que le produit final est différent, mais n’en faisons pas non plus tout un plat. Je connais des Français (je tairais leur noms) qui préfèrent – hérésie ! – la fondue savoyarde avec des fromages suisses parce que plus fruités.

Mais venons-en au sujet du débat, les recettes de la Valle d’Aosta. Tenez-vous bien. En plus des 14 A.O.P fromagères, on peut compter sur :

la polenta concia (maïs, fromage fontina, beurre); la carbonade (viande salée de boeuf ou de chèvre et/ou brebis, exclusivement locale, affinée en saumure, mélangée aux épices et cuite au vin rouge) ; nombre des soupes (à base de légumes, pain, viande, fromage) ; les chnéffléne (gnocchi de farine de pommes de terre, œufs, lait et sel) ; les schnolle (gnocchi à base de farine de maïs, lait, œufs et fromage) ; le favò et le puarò (crème de fèves et de poireaux) ; la soça (soupe de fèves, saindoux et saucisse, chou de Savoie et pommes de terre), mais encore…

les involtini de Fenis (escalopes de veau farcies à la mocetta, viande fabriquée à partir de morceaux maigres de bovins, d’âne ou de gibier et affinée en saumure) ; les côtelettes de veau à la Valdostana, farcies de jambon cuit et de fromage fontina, puis panées dans de l’œuf et de la chapelure et frites dans du beurre ; le flantze, une sucrerie à base de pain noir, de beurre, de fruits secs et de raisins de Corinthe. Et ce n’est pas fini !

Il y a aussi le mécoulin della Val di Cogne, une sorte de panettone à base de pain noir, de sucre, de lait, d’œufs, de beurre, de crème, de raisins secs et de zestes de citron, accompagné d’un petit verre de rhum ; la crema di Cogne, un dessert à la cuillère à base de chocolat, de crème, de sucre, de jaunes d’œufs et de rhum ; et le caffé alla valdostana, servi dans une grande tasse, où l’on verse du café bouillant avec de la grappa, du sucre, des zestes de citron et des clous de girofle.

Il suffit de lire les noms de ces recettes pour se rendre compte que le particularisme des vallées alpines (d’au moins celles italiennes) est, dans une certaine mesure, argument à démystifier. Pendant de millénaires, les hommes n’ont pas eu besoin de tunnels pour franchir les montagnes, amenant avec eux armes, bagages, et nourriture. En Vallée d’Aôste, on a ainsi l’héritage romain en ce qui concerne la civilisation, les soupes (minestre), les légumes, le vin et la charcuterie, l’influence des peuplades germaniques avec leurs gnocchi et viandes fumées, le clin d’oeil de la France avec les fromages, sans compter la main mise de la cour des Savoie de Turin du Moyen Age au XIX siècle avec le riz, les épices, le maïs, le café, le chocolat, le sucre…

Quand j’ai voulu faire une recette telle que la carbonade ou les involtini de Fenis, j’ai dû me rendre à l’évidence : à Paris, je n’aurais pas trouvé tous les ingrédients nécessaires. J’ai choisi donc un plat qui a l’avantage d’être traditionnel mais il est aussi originaire d’une ville où l’on retrouve d’autre spécialités pas tout à fait valdôtaines.

Il s’agit de la seupetta de Cogne, petite bourgade au pied du massif du Grand Paradis. La seupetta (petite soupe en patois) a une histoire très particulière, basée sur la présence de fromage fontina et de riz, qui n’est pas produit ici, mais dans la plaine. A Cogne, à partir du Moyen Age, fut réouverte une minière d’hématite, déjà utilisée par les Romains. Et puisque pour creuser des minéraux on a besoin de main d’oeuvre, on fit venir nombre de gens du Piémont. D’où l’origine « externe » des certaines excellences de la région.

La fontina est attestée en Vallée d’Aôste au moins depuis 1477, puisqu’elle est citée dans le premier traité sur les fromages, le Summa Lacticinorum de Pantaleone de Confienza, médecin et diplomate lombarde actif en Piémont à la Renaissance. Le riz fut introduit à la même période. Et aujourd’hui comme à l’époque, le Piémont est à l’avant-garde pour sa culture.

Quant au troisième élément de la recette, le pain de seigle, il est resté immuable depuis l’époque pré-romaine, puisque il était le seul que les peuples celto-ligures pouvaient cultiver avec le climat des Alpes. Bref, pour un plat de la cuisine « pauvre », on a invité l’Histoire des derniers deux mille ans de l’Europe…

Mais passons aux fourneaux. Le déroulement est classique : dans une casserole, on fait fondre un morceau de beurre, et puis on ajoute une échalote émincée.

On ajoute après le riz, qu’on laissera torréfier quelques minutes avec une pincée de cannelle râpée, avant de le mouiller avec un verre de vin blanc sec.

Dès que le vin est évaporé, on commence à faire chauffer avec le bouillon de viande, qui servira à la cuisson du riz (environ 15 minutes).

Entre temps… il faudra couper de fines tranches de pain de seigle, avant de les déposer dans une poêle, avec un peu de beurre sur la surface. Le tout ira au four pendant dix minutes, à une température de 200°C.

Une fois la cuisson du riz terminée, en dehors du feu on ajoutera un morceau de beurre pour bien le lier, en plus d’un peu de cannelle râpée, du poivre (râpé lui aussi) et du sel fin. Tout de suite après, le pain bien croustillant devra être déposé en partie sur le fond d’un plat à four.

La suite est facile : il faut poser, couche après couche, du riz, du fromage fontina en petits morceaux, et puis à nouveau des morceaux de pain…

La dernière couche sera composée de fontina en lamelles et de quelques morceaux de beurre. Le plat ira ainsi dans le four pour cuire encore dix minutes à 180°C. Le résultat le voici.

Servez tout de suite, bien chaud. Vous verrez, la seupetta est à mi-chemin entre une soupe (très dense) et un risotto, elle est vraiment particulière et savoureuse.

Et surtout c’est pratiquement un plat unique, capable de calmer la faim avant de reprendre le travail (ou le ski).

Pour l’accompagner d’un vin, j’ai choisi un cépage autochtone très résistant au froid, le Fumin, cultivé au moins depuis le XVIII siècle. Appelé ainsi à cause de la couleur gris fumé des baies riche en pruine, il a été sauvé de l’extinction par les vignerons locaux dans les année 70, et finalement récompensé d’un A.O.C. pendant les année 90.

Ingrédients pour 4 personnes : 320 g. de riz carnaroli (du Piémont); 300 g. de fromage fontina, 100 g. de beurre doux, 200 g. de pain de seigle, 1 litre de bouillon de viande, 1 verre de vin blanc sec, cannelle, sel fin, poivre.

Un commentaire sur “Seupetta di Cogne (Soupe de Cogne)

  1. bonjour. Petite précision pour illustrer l’origine piémontaise de la recette : ce sont apparemment des piémontais qui venaient en estive en vallée de Cogne et qui ont fini par se sédentariser. Il n’y avait aucun moyen d’accès depuis le val d’Aoste à l’époque.

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