Baccalà alla cappuccina (Morue à la capucine)

Terminées les réjouissances païennes du Carnaval, il est temps d’être plus judicieux pour se préparer spirituellement et physiquement à la Carême (du latin Quadragesima, quarantième jour avant Pâque). Depuis belle lurette l’Eglise a en effet établi un code de pénitences et de renonciations à appliquer à l’alcool, au luxe, à l’allégresse et à la sexualité. Sans oublier, bien évidemment, la nourriture. Le vendredi en particulier, il fallait éviter absolument la viande et se contenter d’un poisson maigre (mulet, hareng, morue, maquereau, etc). A l’époque de Charles Magne on risquait même la peau pour un bon rôti. Puis, étant donné qu’avec les menaces on arrivait pas à convaincre totalement les brebis égarées, on essaya avec le rire. De ce fait, déjà au XIII siècle circulait un poème satirique, parodie loufoque de Chanson de Geste d’origine picarde, destinée à amuser châtelains, clergé et petit peuple : La bataille de Caresme et de Charnage, affrontement surréel entre les armées des viandes et celles des poissons.

L’histoire fit souche, puisque trois cents ans après, dans le plein du conflit entre Réforme protestante et contre-Réforme catholique, elle fut prise à modèle dans le IV libre de Pantagruel par le gourmand et evangeliste Rabelais, dans l’épisode des offrandes faites par les gastrolâtres au dieu Gaster (estomac, en grec ancien), maître des arts et du ventre. Sur la même ligne on retrouve son contemporain, le peintre hollandais – et protestant – Pieter Bruegel l’Ancien, qui peint Le Combat de Carnaval et Carême, fresque d’un monde chaotique dans le quel la vie est perpétuellement partagée entre le plaisir (les protestants qui se donnent à coeur joie au carnaval) et l’observance religieuse (les catholiques qui suivent les – tristes – règles de l’Eglise de Rome).

Hélas, n’en déplaise aux disciples de Luther et Zwingli, en Italie, terre d’histrions aux moeurs douteux, on est resté liés à la tradition papiste de la Carême, mais sans renoncer pour autant à se faire plaisir, même le vendredi, jour du poisson ! Et puisque cette année le Carnaval de Venise est mal terminé à cause du coronavirus, j’ai décidé de lui rendre hommage en choisissant un plat à base de morue, typique des mers du Nord mais adopté depuis des siècles en Vénétie et dans le Frioul-Vénétie Julienne (en gros, tout le nord est de la péninsule). Des terres où on sait fort bien mélanger fois religieuse, art de la table et joie de vivre.

Regardons donc de plus prés ce poisson, péché de la Mer Baltique à la côte Est des Etats Units, au golfe de Gascogne : le Gadus morhua, (morue ou cabillaud en français), que en bon italien on devrait appeler merluzzo artico, même si tout le monde utilise le mot stoccafisso (stockfish) s’il est séché à l’air libre, ou baccalà (presque comme en portugais), s’il est soumis à la salaison. Et justement avec le Portugal on partage le goût pour ce voyageur des abysses (on est, après eux, les deuxièmes consommateurs mondiaux). Mais tout cela a un prix : à cause de la sur-pêche la morue est désormais parmi les espèces à risque de la liste UICN (Union internationale pour la conservation de la nature).

De plus. Le majeur exportateur du marché, la Norvège, comme il a bien démontré un reportage de la chaine France 5, envoie les poissons dans des usines chinoises pour les faire fileter à un prix plus bas. Après quoi, les filets (toujours en Chine) sont gonflés avec des injections d’eau pour les rendre plus « gros » aux yeux des consommateurs européens. 30.000 km aller/retour pour une histoire de bénéfices et de marketing…Et ce n’est pas fini. Pour empêcher le processus d’oxydation, les filets sont souvent traités avec un additif alimentaire, l’E 451 – ou triphosphate de sodium – légal en Europe (on l’utilise même dans les détergents), mais seulement entre certaines limites, et avec l’obligation d’un label de contrôle qui vas avec (et qu’on voit jamais, chez les poissonniers). De quoi réfléchir, pendant la Carême.

Enfin, revenons à nos casseroles. En espérant avoir bien choisi mon cabillaud, je l’ai mis dans de l’eau froide pendant 36 heures (en changeant l’eau toutes le six heures), pour éliminer totalement le sel présent sur la chair.

Le moment venu, j’ai rassemblé les autre ingrédients : sel, poivre, vin blanc, du lait, des filets d’anchois, de la farine de mais, de l’oignon blanc, du raisin de Corynthe, de la chapelure, de la noix de muscade, de la cannelle…et si on en trouve, aussi des pignons, et éventuellement, du cacao amer. La recette est dite alla cappuccina (à la capucine), typique du Frioul, mais strictement liée au baccalà qu’on cuisine à Vicenza (sauf que dans la ville de la Vénétie on utilise du stockfish, même si on l’appelle bacalà avec un seul c. Ne cherchez pas à comprendre…).

Bien. Une fois égoutté la morue, je l’ai séchée, coupée en morceaux pas trop gros, et saupoudrée de farine (tamisée).

J’ai ensuite préparé la polenta de maïs, la garniture traditionnelle pour ce plat. J’ai réchauffé de l’eau dans une grande casserole, et puis j’y ai ajouté, au fur et à mesure, la farine, en touillant à l’aide d’une cuillère en bois, pour environ trois quarts d’heure, avec une poignée de sel fin. Je sais, c’est long. Il faut avoir un peu de patience et de bons biceps, mais c’est pour la bonne cause.

Le résultat – dense, mais pas trop – devra être étalé dans un plat, le même dans le quel on servira le poisson, et placé dans le four, en modalité maintien de la chaleur.

A present, la cuisson du poisson. Dans une poêle très large, j’ai fait réchauffer de l’huile extra vierge d’olive, et puis j’ai ajouté la morue, le temps qu’elle soit bien dorée de chaque côté. Puis, je l’ai enlevée.

A sa place j’ai mis à dorer un oignon blanc coupée en rondelles, quelques filets d’anchois (ils doivent se déliter complètement), et un verre de vin blanc, que doit évaporer.

Finalement, j’ai ajouté à nouveau la morue…

…le raisin sec, le sel, le poivre, la noix de muscade et la cannelle râpées, le verre de lait (dans certaines recettes, il y a aussi les pignons, le laurier et la cacao amer)…et puis j’ai laissé cuire avec le couvercle et à feux doux pendant une dizaine de minutes.

Dernière étape : à l’aide d’une spatule, j’ai mis les morceaux de morue avec la sauce sur la polenta, dans le plat à four de toute à l’heure, puis j’ai saupoudré de chapelure la surface, et finalement je mis le tout à cuire à 180°, en modalité grill, pour dorer un instant l’ensemble.

Le résultat le voici, avec une dernière rajoute de noix de muscade. Un mélange de saveurs, à moitié entre la mer du Nord et les parfums de l’Orient, avec un zeste de nouveau monde. A compléter le cadre, rien de mieux que un bon vin blanc de l’arrière pays de Vicenza, le Breganze Vespaiolo superiore A.O.C.

Ingrédients pour 4 personnes : un filet de morue d’environ 600 gr., 250 gr. de farine de maïs, de la farine T45, 4 filets d’anchois, deux oignons blancs, deux cuillère à soupe de raisin sec, deux décilitres de lait, cannelle, noix de muscade, sel, poivre, chapelure de pain, huile extra vierge, éventuellement quelques feuilles de laurier, et une cuillère de cacao amer.

Au fait, avant que j’oublie. Les contraintes spirituelles n’empêchent pas de s’offrir, avant le plat de résistance, des entrées légères, toujours dans le respect du « maigre ». En Italie, « Carême ou jeûne n’ennuient pas, qui fait grand chère à tous repas… »

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